Censures multiples et « presse batte de baseball » : les médias en Bulgarie

Un article de la série « la liberté de la presse en Europe en 2020 »

, par Quentin Joigneaux

Censures multiples et « presse batte de baseball » : les médias en Bulgarie
La Cathédrale Alexandre Nevski à Sofia. Licence Pixabay

35ème du classement de la liberté de la presse dans le monde établi par Reporter sans Frontières en 2006, la Bulgarie occupe depuis 2018 la 111ème place sur 180 pays analysés. Le pays s’écroule donc dans le classement, se classant ainsi derrière tous les pays de l’Union européenne. La raison de cette lourde chute semble venir des agissements des politiciens et hommes d’affaires bulgares qui entre corruptions et spéculations, tiennent d’une main de fer et oppressent les médias du pays.

« La corruption et la collusion entre médias, politiques et oligarques sont extrêmement courantes ». C’est ainsi que RSF décrit la situation de la presse en Bulgarie, bonnet d’âne de l’UE en la matière, bien derrière des pays comme la Hongrie et sa dérive illibérale. Depuis quelques années, les attaques se multiplient envers les journalistes bulgares, les violences verbales se sont accentuées et les menaces se font de plus en plus nombreuses. La situation actuelle fait donc craindre le pire à tous les acteurs du métier. Une réelle tension s’est installée entre les hautes autorités du pays et les journalistes.

Le grand problème réside dans le contrôle et la surveillance que subissent les médias. En effet, les journaux n’ont pas d’indépendance et dépendent très fortement des acteurs économiques et politiques qui les dirigent. Cependant, ceux qui tentent de s’émanciper sont directement visés par le gouvernement.

De manière générale, lorsque le gouvernement et les politiques doivent trouver un coupable pour justifier leur place obtenue au classement RSF, il ne faut pas chercher bien loin, le coupable, c’est l’accusateur. En effet, les politiciens et les hommes d’affaires bulgares tiennent d’une main de maître les médias du pays, et monnayent leur situation dans la presse.

Un enchaînement de scandales

Récemment, le 4 février 2020, le Premier ministre bulgare en personne, Boïko Borissov, a suscité la polémique lors d’une conférence de presse à Sofia en se moquant des journalistes, imitant les gloussements d’une dinde. Cette mauvaise blague destinée aux femmes journalistes, qu’il venait tout juste de comparer à l’animal en question, a tout de suite fait réagir la salle remplie qui s’est mise à protester. Ce type d’évènement n’est pas rare dans le pays et semble être l’écho d’une situation plus que chaotique pour les journalistes qui tentent tant bien que mal d’exercer leur métier.

Rappelons qu’en 2018, la journaliste Viktoria Marinova, âgée de 30 ans, avait été frappée, violée et étranglée à mort en représaille à ses enquêtes sur la corruption dans le pays. Ce meurtre avait créé une véritable onde de choc dans le monde, et avait même raisonné dans les sphères des institutions européennes. La même année, Delyan Peevski, alors député et homme d’affaires contrôlant la distribution de journaux, avait été accusé d’avoir fait disparaître 10.000 exemplaires d’un tout nouveau magazine satirique nommé Pras-Pres.

Dénonciations et mises en causes

En 2019, de nombreuses organisations de défense des médias ont tenté d’alerter sur la situation dans “la lanterne rouge en Europe” car ils estiment que le gouvernement bulgare bafoue la liberté des médias. En août 2019, les choses se sont même accélérées lorsque le parquet de Sofia a demandé aux autorités françaises d’enquêter sur Atanas Tchobanov, rédacteur en chef de Bivol, un site d’investigation, actuellement en exil en France. Les ONG ont alors demandé à la ville de mettre un terme à sa démarche en précisant que cela n’était qu’un “prétexte pour faire taire Bivol, [...] qui avait publié plusieurs enquêtes révélant des détournements de fonds européens et des cas de corruption gouvernementale”.

De part son importance dans le paysage médiatique bulgare, cela fait un moment que Bivol se sent dans le collimateur des autorités et acteurs économiques bulgares, surtout après avoir mis en lumière de nombreux cas de corruption impliquant des personnalités au pouvoir. Selon Atanas Tchobanov, les collaborateurs de son magazine reçoivent fréquemment des menaces et des "messages (mafieux) à la sicilienne".

Quelle vision du monde médiatique bulgare ?

Selon beaucoup d’ONG, la situation du paysage médiatique bulgare est révélatrice d’un mal plus profond. Dans son étude sur les médias, l’ONG américaine International Research and Exchanges Board (IREX) précise que les médias sont soumis à “une pression politique visible" et ajoute que "des tabloïds, sites d’information en ligne et chaînes de télévision sont utilisés par des oligarques locaux pour exercer leur influence, ruiner la réputation d’opposants et manipuler l’opinion".

Un vrai combat pour les journalistes. Selon l’Association des journalistes européens, 92% des journalistes bulgares interrogés dans le cadre d’une enquête déclarent que leur travail est fréquemment l’objet d’ingérences politiques et économique.

Faisant écho aux pratiques d’intimidations des mafieux locaux, les Bulgares ont inventé l’expression de "presse batte de base-ball" afin de qualifier la presse au service d’intérêts politiques et économiques particuliers.

Nombreux sont ceux critiquant les menaces publiques proférées lors de plateaux de télé. Il faut noter ici que les agressions physiques ne se font pas rare.

Tout cela crée un climat de méfiance extrême parmi la société bulgare : selon un sondage cité par le quotidien régional français La Dépêche, seuls 10% des Bulgares ont confiance dans la presse de leur pays.

Ainsi, si l’Union européenne veut garder sa réputation dans le domaine de la liberté de la presse et de la défense des droits fondamentaux, elle doit protéger constamment ceux qui lèvent le voile sur les agissements de certains pays qui n’hésitent pas à bafouer les valeurs de l’UE. Elle doit alors prendre des mesures conséquentes afin de ramener les mauvais élèves sur le droit chemin de la liberté des médias.

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