Russie, plusieurs coups de géopolitique anticipés
Malgré une superficie modeste, Chypre est depuis 2004 l’extension de l’Union européenne. Son emplacement géographique lui permet d’être un carrefour reliant l’Europe au Moyen-Orient. Cet atout géographique qui donne accès au marché méditerrannéen et oriental est à l’origine de ses liens tels que nous les connaissons aujourd’hui avec la Russie. La Russie, protectrice de l’orthodoxie de l’Europe orientale, a également exploité la religion comme similitude culturelle pour se rapprocher de Chypre et son identité pour ne pas se limiter aux relations diplomatiques liées à l’économie et la politique. Durant la Seconde Guerre mondiale, alors que l’île n’était qu’une colonie Britannique, Chypre a fait office d’échiquier pour la Russie et les États-Unis à qui la Grande Bretagne était alliée. À la suite de la Seconde Guerre mondiale, l’île, qui ne s’était pas encore déclarée indépendante, faisait déjà l’objet de convoitises. L’adhésion de la Grèce et de la Turquie à l’OTAN en 1952, dont l’un des objectifs était de faire de l’île une partie intégrante de leur État, a été perçue par l’URSS comme un potentiel abandon de neutralité de la part du dossier chipriote, l’île étant notamment devenue par la suite binationale grecque, et turque en 1974. Plus concrètement, des affronts militaires entre la Grèce et la Turquie à la suite de l’indépendance de Chypre en 1960 et des tensions entre la communauté turque et la communauté grecque ont résulté en un schisme territorial : la République du Nord de Chypre qui est uniquement reconnue par la Turquie et la République du Sud de Chypre. D’après le professeur de relations internationales de l’Université de Chypre, Costas Melacopides, l’URSS a été parmi les premiers pays à reconnaître l’île en tant qu’État indépendant et uni. L’Union soviétique s’est même portée garante de la protection de cette nouvelle indépendance. Cette présence soviétique et plus tard russe, s’est avérée utile et presque tangible lorsqu’il s’agissait de dissuader les survols turcs durant la crises des missiles chypriotes des années 1990 avec la vente de missiles S-300.
Depuis les années 1950, la Russie a maintenu une influence persistante, perpétuant ainsi des relations qui avaient débuté à l’époque de l’URSS.
Selon les résultats du recensement de la population chypriote en 2011, il y avait 8 663 Russes parmi les 849 000 personnes résidant sur l’île. Aujourd’hui plus de 60 000 citoyens russes vivent à Chypre, et plus précisément dans la ville Limassol.
Une Inattendue Brèche dans l’Échiquier de l’Union européenne
La visite de l’ex-Président russe Dmytri Medvedev en 2010, pour la célébration des 50 ans des relations diplomatiques entre les deux pays, a fait preuve de la confiance russo-chypriotte. Effectivement, 15 accords renforçant les liens bilatéraux ont été conclus dont un supprimant la double taxation des investisseurs russes en Chypre. Il s’agit d’une contrainte à laquelle Chypre devait se soumettre afin d’être retirée de la liste noire de la Banque Centrale Russe, dans laquelle elle figurait depuis 2008.
En 2022, le PIB chypriote dépendait à presque 80% du secteur tertiaire qui se trouve être pour une grande partie des investissements russes. Le média Euronews, affirme qu’avant la guerre en Ukraine, le marché des touristes russes représentait 10% du PIB chypriote et n’était donc pas négligeable. Selon un rapport écrit par la Commission européenne en 2022, les services chypriotes de consultation, de comptabilité, et des services de transports et de communication digitale représentaient uniquement 17,5% des exportations chypriotes. Ces trois secteurs, déjà affaiblis suite à la covid-19, ont subi de nouveaux revers en conséquence de l’intervention militaire illégale russe en Ukraine. Les droits et privilèges qu’avaient les Russes autrefois sur le territoire chypriote ont diminué à la suite des sanctions imposées par l’Union européenne. Cependant, la présence et l’intégration des résidents russes et le manque d’investissement d’entités dans le développement du pays témoignent d’une manœuvre presque imprévisible et qui n’a pu être anticipée par les institutions européennes.
Golden-Passports, le chemin doré des oligarques (russes) vers l’Union européenne
Les “Golden Passports” (“passeports dorés”) aussi appelés “Golden Visas (“les visas dorés”) consistent en ce que la citoyenneté soit acquise par l’investissement. Beaucoup d’oligarques russes comme Alexei Mordashov, ou encore Roman Abramovich se servent de ce programme pour s’infiltrer dans l’UE et ainsi jouir des droits territoriaux. En effet, le Organised Crime Index (l’Index de Crime Organisé dans le monde) nous confirme l’influence de la mafia russe, prédominante en termes de puissance financière et économique. Très impliquées dans le blanchiment d’argent, de nombreux résidents russes sont accusés ou suspectés de ne pas déclarer leurs revenus.
Nonobstant la prétention des Russes à vouloir créer des liens avec l’île sur le plan politique depuis plus de 60 ans, sur le plan économique l’argent russe qui circule en Chypre ne semble pas être bénéfique à Nicosie. Alors que la Commission européenne a permis d’observer une exposition fortement limitée des banques chypriotes en Russie, elle ne manque pas de faire également remarquer que seulement 4% de la totalité des dépôts bancaires proviennent de résidents russes. Dans son article pour Forbes,Tim Worstall, a souligné que le taux fixe de l’impôt sur le revenu de 13% n’est pas la raison principale pour laquelle des investissements ont été faits dans des paradis fiscaux. “L’explication de ces flux incongrus de liquidités est que les nationaux fortunés mettent leur revenu à l’abri à l’étranger pour échapper à l’impôt, puis le ramènent chez eux déguisé en investissement étranger pour dissimuler la source des fonds.”, explique-t-il. Ainsi, la Russie compte Chypre comme sa plus grande source d’investissement étranger, non pas pour éviter la taxation nationale mais pour la législation chypriote en matière financière.
La Défense de l’Europe et l’Incertitude de la Riposte
En octobre 2020, la Commission européenne a décidé d’infractions à l’encontre de Chypre et Malte. La raison : les Etats membres pourvoient la citoyenneté par investissements à des ressortissants d’Etats-tiers dont les liens avec l’État membre qui les accueille ne pouvaient être considérés comme authentiques ou justifiables. Ce rapport soutient que la citoyenneté par investissement met en péril la sécurité du pays mais également celle de l’Union européenne. Lors de la session plénière ayant eu lieu le 22 novembre 2023 au Parlement européen à Strasbourg au sujet de l’enquête « Cyprus confidential », Sophie in ’t Veld a affirmé que législation de l’Union européenne ne sont pas appliquées par les États ou par la Commission européenne elle-même. C’est ce manque de transparence et d’application qui fait de l’Europe, selon ses propos, un “paradis pour gangsters”. Malgré la déclaration ferme “zéro tolérance pour la corruption” prononcée par le Président chypriote Christodoulides, les actions, ou du moins l’absence d’actions, de Chypre contredisent ses propos.
Dans un contexte de guerre entre la Russie et l’Ukraine, l’implication de la Russie dans le fonctionnement économique de Chypre vient davantage ternir les relations de cette dernière avec le reste de l’Union européenne. La Russie, profitant de la faiblesse de l’Etat de droit chypriote, a discrètement et légalement jouit du programme de citoyenneté par investissement. Si bien qu’elle est devenue un socle économique pour l’île. Alors que l’UE adopte le 12ème paquet de sanctions à l’encontre de la Russie, Chypre -qui a également participé aux décisions européennes- est dans l’incapacité de subvenir aux revers de son indécision.
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