Comac : un danger pour le duopole Airbus-Boeing ?

, par Allan Malheiro

Comac : un danger pour le duopole Airbus-Boeing ?
Avion C919 de COMAC © Wikimedia Creative Commons

Après des décennies de compétition, Boeing et Airbus semblent parvenir à une trêve. Entre les USA et l’Union européenne, les accusations mutuelles de pratiques déloyales et anticoncurrentielles en faveur de leurs constructeurs aériens respectifs s’étaient multipliées atteignant leur paroxysme sous la présidence de Donald Trump. Accusant les européens de subventions illégales en faveur d’Airbus, le président américain avait imposé des droits de douane punitifs sur près de 7,5 milliards de dollars de biens européens (25% de taxe sur les vins et 15% sur les avions Airbus).e qui a poussé l’UE à réagir à son tour en imposant des droits de douane sur 4 milliards de dollars d’importations américaines. En 2021, après l’élection de Joe Biden, l’UE et les Etats-Unis ont finalement suspendu les droits de douane et leur contentieux vieux de 17 ans sur les subventions illégales accordées à leurs avionneurs. La fin de ce litige n’était pas seulement motivée par la volonté américaine de se rapprocher à nouveau de l’Europe après l’administration Trump : cette trêve montre également la nécessité d’éviter un conflit Boeing-Airbus face à la naissance d’un nouveau concurrent, COMAC.

Un développement du C919 qui inquiète…

Fondée en 2008, l’entreprise d’Etat COMAC (Commercial Aircraft Corporation of China) s’est donnée comme objectif de pénétrer un secteur jusque-là réservé aux géants Airbus et Boeing : la construction d’avions de ligne. Au prix de forts investissements de l’Etat chinois, d’achats de technologies étrangères et d’espionnage industriel (la Chine a par exemple été accusée par la DGSE d’avoir démonté un de ses avions Airbus A320 afin de se renseigner sur son processus de construction), l’avion C919 de COMAC a effectué son premier vol en mai 2023, avec 5 ans de retard tout de même.

Cumulant officiellement 1200 commandes, COMAC est un nouvel avionneur qui inquiète. En effet, ce ne serait pas la première fois que la Chine arriverait à dépasser les Occidentaux . Beaucoup craignent que se répète la situation du marché ferroviaire. Dans les années 1990, le français Alstom et l’allemand Siemens ont bénéficié de juteux contrats avec la Chine pour la construction de son réseau TGV… en échange de transferts de technologie. Les entreprises ont ainsi bénéficié d’un accès à des technologies de pointe leur permettant de développer leurs propres TGV.Si en 2006, les premiers TGV chinois ne paraissent pas être un danger pour les compagnies européennes,ils n’atteignent que 200km/h, la situation commence à changer à partir de 2010 avec des TGV atteignant les 400km/h. Sûre de sa technologie, la Chine ferme alors progressivement son marché ferroviaire aux entreprises européennes et laisse les acteurs nationaux se développer. En 2015, les deux principales entreprises ferroviaires chinoises fusionnent pour créer CRRC.La compagnie développe alors progressivement ses activités en dehors de Chine, rivalisant avec Alstom et Siemens. Aujourd’hui, son chiffre d’affaires de 28 milliards de dollars est deux fois supérieur à celui d’Alstom (15 milliards) et 3 fois supérieur à celui de Siemens (9 milliards) et le refus de la fusion de ces deux constructeurs par la Commission européenne ainsi que le projet des routes de la soie risquent d’accentuer la tendance.

… mais Boeing et Airbus restent solidement installés

Les menaces que COMAC fait peser sur les perspectives futures de Boeing et Airbus restent pour l’instant des menaces à long terme. En effet, le C919 est très dépendant des technologies occidentales, sa production reste lente tandis qu’ il n’est pas encore certifié par les autorités européennes et américaines de l’aviation qui servent souvent de références aux autres pays. De plus, obtenir une position dominante sur le marché de l’aviation est bien plus compliqué que sur le marché ferroviaire en raison des coûts et de la complexité de fabrication d’un avion. Après des décennies de recherche et 1000 milliards de yens (7 milliards d’euros) investis, la société japonaise Mitsubishi a ainsi abandonné le “Space Jet”, un projet d’avion de ligne pour concurrencer Airbus et Boeing. Après le développement de son avion , la compagnie chinoise ambitionne maintenant de diversifier son offre d’avions : elle travaille ainsi en partenariat avec la Russie (qui souhaite également rivaliser contre Airbus et Boeing avec le modèle MC21 d’Irkout, certifié par les autorités russes de l’aviation fin 2022) à la production d’un avion long-courrier, le CR929.

L’innovation pour maintenir ses parts de marché ?

Si l’émergence de COMAC n’est pour l’instant pas la priorité principale de Boeing, qui fait face à de graves problèmes de sécurité pour ses avions 737 MAX. Récemment, une porte d’un Boeing 737 MAX s’est ouverte en plein vol de l’Alaska airlines, menant à nouveau à une série d’inspection par les autorités américaines.De son côté Airbus s’inquiète progressivement de cette menace. Guillaume Faury, patron du groupe, a notamment reconnu qu’ [« il ne faut jamais sous-estimer la concurrence, ne jamais croire qu’une solution est acquise pour toujours »] . Pour lutter face à cela, le groupe mise donc sur la réduction de la consommation d’essence de ses appareils et même, à plus long terme et de manière plus incertaine, sur l’avion à hydrogène

Sur le court terme, le duo Airbus-Boeing peut cependant s’inquiéter de leurs positions sur le marché chinois, nul doute que COMAC y sera favorisé à leurs dépens : pour les 20 prochaines années, Airbus avait prévu que la Chine commanderait près de 8400 avions de ligne constituant près de 20% du futur marché mondial., il est donc très probable que COMAC s’empare d’une grande partie de ce marché. De plus, à terme, il est possible que COMAC se développe fortement sur des marchés relativement ignorés des Occidentaux : Huawei comme CRRC ont ainsi commencé à se développer en Chine puis dans des pays en développement avant de s’implanter en Occident. Enfin, à plus long terme, même si un remplacement d’Airbus et de Boeing semble improbable, il est probable que le duopole régnant sur marché de la construction d’avion deviennent un triopole.

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