Sortir de la zone euro : aspects juridiques

2ème partie

, par Florent Banfi

Sortir de la zone euro : aspects juridiques

Deux éléments de nature économique sont nécessaires : sortir rapidement et le faire en bloquant les capitaux. On peut y ajouter que dans des Etats de droit, cela doit se faire conformément au droit. Ces trois conditions peuvent-elles être respectées ?

Sortir de la zone euro par les traités européens et internationaux

Il n’existe pas dans les traités européens de disposition permettant de sortir de la zone euro. Certains vont même jusqu’à penser que l’adoption de l’euro est irrévocable [1]

En revanche, l’article 50 du TFUE para.1 stipule que : Tout État membre peut décider, conformément à ses règles constitutionnelles, de se retirer de l’Union. La porte est ouverte à une sortie de l’Union Européenne. Si cet article venait à être invoqué pour sortir de l’euro, il obligerait le pays concerné à sortir complètement de l’Union Européenne.

Un tel pays devrait sortir de l’UE puis renégocier avec les 27 autres pays un nouveau traité. Ce dernier entrerait en vigueur après l’approbation des 27 membres (avec des referenda). Ces trois phases du processus (sortie, négociation et ratification) sont longues et incertaines et par conséquent ne correspondent pas à la temporalité nécessaire pour que la sortie de l’euro soit économiquement fructueuse (un week-end au grand maximum).

Les traités européens n’offrent pas un cadre juridique permettant la sortie d’un pays de la zone euro suffisamment rapidement pour que ce dernier ne soit pas assujetti aux anticipations des marchés financiers.

Les traités européens n’en restent pas moins des traités internationaux et le droit international pourrait offrir des opportunités. Sortir de l’Union Européenne (peut être juste de la zone euro) en utilisant la Convention de Vienne sur le droit des Traités (article 56) est possible mais avec un délai de prévenance de 12 mois. Un pays pourrait se retirer des traités mais la mesure ne pourrait prendre effet que 12 mois après son annonce. Si cette décision peut être prise unilatéralement (sans impliquer les 27 autres Etats membres de l’Union Européenne), la durée nécessaire à son implication est toujours trop importante pour remplir les conditions économiques favorables à une telle sortie.

Par ailleurs, une étude de la Banque Centrale Européenne [2] indique trois possibilités pour une dénonciation unilatérale des traités :

  • Un Etat Membre enfreint de façon répétée les traités
  • Les institutions européennes agissent ultra vires
  • Un Etat Membre fait face à des difficultés exceptionnelles. Dans tous les cas, cela revient à dénoncer l’ensemble des traités européens et pas simplement à sortir de l’euro. Un Etat serait donc contraint de quitter l’Union Européenne en sortant de la zone euro.

Les traités internationaux n’offrent pas de base juridique permettant une sortie rapide de la zone euro. Peut-on envisager de s’appuyer sur le droit national pour en sortir rapidement ? Cela présuppose que les Etats ne soient pas égaux face à la sortie de la zone euro car leur droit national est forcément différent d’un pays à l’autre.

Sortir de la zone euro par le droit français ?

La Constitution française prévaut sur les traités européens donc si cette dernière est en contradiction avec un traité européen, ce dernier est considéré comme inférieur. L’utilisation de la Constitution pour sortir de la zone euro pourrait être envisagée si le droit européen ne permet pas (ce qui est le cas). Cette suprématie a été confirmée par un arrêt du Conseil d’Etat (Sarran, Levacher et autres [3] ).

Y-a-t’il une base juridique dans la Constitution Française permettant à la France de sortir de la zone euro ?

Aucun article de la constitution Française ne stipule les modalités claires permettant une sortie de la zone euro. En revanche, l’article 16 [4] donnant les pleins pouvoirs au chef de l’Etat pendant une durée de 30 jours permettrait de faire pression sur les autres Etats de la zone euro pour négocier. Les conditions permettant son application sont néanmoins difficilement compatibles avec une sortie de la zone euro pour des raisons économiques :

« Lorsque les institutions de la République, l’indépendance de la Nation, l’intégrité de son territoire ou l’exécution de ses engagements internationaux sont menacés d’une manière grave et immédiate et que le fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels est interrompu,… »

De plus, cela est difficilement envisageable sans débat au Parlement [5].

Enfin, il faudrait que la négociation avec les partenaires européens se déroule dans un temps très court pour que les marchés ne soient pas en mesure d’agir. Difficile à imaginer dans un Etat de droit.

Comme la Constitution Française de permet pas explicitement à la France de sortir de l’euro quand bon lui semble, on pourrait donc imaginer une modification de la Constitution française pour y intégrer cette option. Or une modification de la Constitution nécessite du temps et ne permet pas d’agir sans que les marchés soient informés.

Le droit constitutionnel français s’avère donc insuffisant pour compléter les traités européens et permettre une sortie rapide de la zone euro.

L’impact du temps

Il n’existe donc pas de solution juridique permettant de sortir rapidement de la zone euro. S’il existe une volonté politique suffisamment forte, une renégociation des traités est obligatoire mais c’est un processus long qui annule l’intérêt économique d’une dépréciation rapide. Si conséquences économiques positives il y a à une sortie de la zone euro ces dernières sont donc purement théoriques, car elles ne peuvent se réaliser juridiquement sous peine d’aller à l’encontre de l’Etat de Droit. Toute tentative de sortie de la zone euro serait donc naturellement un échec économique car les conditions (rapidité et blocage des capitaux) ne peuvent être réunies.

Sortie de la zone euro comme seule solution ?

Si l’objectif est de sortir de la zone euro pour dévaluer et regagner de la compétitivité, non pas pour bénéficier de cette mesure à long terme car l’effet n’est que temporaire (quelques années), mais pour bénéficier d’un ballon d’oxygène permettant de faire les réformes structurelles, alors on pourrait imaginer que ce gain temporaire de compétitivité soit créé par une dévaluation de l’euro.

Si l’euro est considéré comme trop fort par rapport aux autres monnaies une baisse de ce dernier impliquerait un gain de compétitivité dans la zone euro. Or sur le long terme, l’euro est à son niveau d’équilibre [6].

Une dévaluation de 10% de l’euro par rapport au dollar aurait pour conséquence une augmentation entre 0,7 et 1% du PIB. L’impact sur l’économie serait donc positif.

Or la BCE n’ayant pas un objectif de taux de change dans ses statuts, il faudrait modifier ces derniers (cela revient à une modification des traités européens) pour l’y insérer.

Néanmoins, la principale conséquence serait politique : en baissant la valeur de l’euro par rapport au dollar, on retire l’incitation à sortir de la zone euro pour dévaluer par rapport à cette même monnaie. Il s’agit là d’une initiative politique bien plus qu’économique.

Dans tous les cas, même avec une modification des traités, une dévaluation doit s’accompagner de réformes structurelles car son effet bénéfique disparaît à long terme.

Le droit ne permettant pas une sortie de la zone euro conforme aux conditions nécessaires à une dévaluation efficace, toute sortie volontaire pour des raisons économiques s’avère n’être que pure théorie. Ce sont bien des considérations politiques qui de facto motivent la sortie de la zone euro. Le renforcement de la zone euro en y ajoutant une Union fiscale reste donc la seule voie possible permettant de compenser les dysfonctionnements économiques actuels. Une modification des traités doit être réalisée afin de doter la zone euro d’un gouvernement économique qui permette de décider démocratiquement du sort des citoyens tout en évitant le risque de sortie « forcée » qui serait politiquement et économiquement désastreuse.

Notes

[1à partir des articles suivants : article 4 para 2 + 118 et 123 para 4 cité dans « The Euro break-up : the consequences », UBS, 2011

[2“Withdrawal and expulsion from the EU and EMU. Some Reflections”, Phoebus Athanassiou, 2009

[5“The break-up of the euro area », Barry Eichengreen.

[6« L’euro dans la « guerre des monnaies », Conseil d’Analyse Economique, 2014

Vos commentaires
  • Le 7 mai 2014 à 23:39, par Q En réponse à : Sortir de la zone euro : aspects juridiques

    Une dévaluation de l euro ne mettra pas fin à la dévaluation interne imposée par la monnaie unique + contrôle de la monnaie est indispensable pour acheter les réformes structurelles nécessaires.Le droit devra suivre, il n y a pas d alternative à Long terme

  • Le 8 mai 2014 à 21:32, par Florent Banfi En réponse à : Sortir de la zone euro : aspects juridiques

    @Q : à long terme, une dévalutation de l’euro ne mettra pas plus fin à la dévaluation interne que la dévaluation du franc. Par définition une dévaluation reste du court terme et ne règle pas les problèmes qui ont amenés à dévaluer. Les réformes structurelles dont vous parlez ne sont pas réalisées pour des raisons de courage politique ce qui n’a rien à voir avec la monnaie.

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