Une solution à l’impasse de l’article 7 ?
La conditionnalité des fonds européens au respect de l’État de droit a été en partie avancée comme une solution face à l’impasse que constitue l’article 7. En effet cette procédure visant à protéger les valeurs européennes (art.2 TUE) n’a jamais pu être mise en œuvre, les États ne voulant pas mettre au ban l’un de leur pair.
C’est face à une forme d’obstruction politique à l’échelon intergouvernemental que la Commission a en 2018 lancé la réflexion autour d’une nouvelle réglementation permettant de conditionner l’octroi des fonds européens au respect de l’État de droit. Comme l’a pourtant écrit Daniel Kelemen, une telle procédure existe déjà dans les dispositions communes relatives au budget. Une possibilité que la Commission n’a jamais utilisée qui démontre d’un “manque de volonté politique”, notamment vis-à-vis de la Hongrie dont les députés européens appartiennent majoritairement au PPE.
A la suite de cette proposition, le texte a fait l’objet d’amendements du Parlement européen qui est venu définir plus précisément la notion de “carence à l’État de droit” (5 cas) et a dressé une liste de conditions permettant de constater un tel manquement. Ces discussions ont également permis de mettre sur un pied d’égalité le Parlement avec le Conseil qui était à l’origine le seul à pouvoir s’opposer à la majorité qualifiée au déclenchement de la suspension des fonds.
Depuis les amendements du Parlement en janvier 2019, les discussions sont restées au point mort. C’est en juillet dernier, lors du Sommet extraordinaire concernant le prochain budget pluriannuel et le plan de relance que la question a été relancée. En effet dans ses conclusions le Conseil européen a appelé à l’introduction “d’un régime de conditionnalité visant à protéger le budget et Next Generation EU”.
Un accord au rabais
Une introduction qui a donc fait un grand pas en avant le 5 novembre dernier lorsque le Parlement européen et la Présidence du Conseil de l’Union européenne - assurée par l’Allemagne - sont arrivés à un accord en vue de l’assentiment par les 27.
Un accord essentiel mais qui a revu les ambitions de cette réglementation à la baisse. En effet, alors que l’ancienne version parlait de carence à l’État de droit, il s’agit dorénavant d’une violation. Un terme plus strict qui tend à réduire la marge de manœuvre de la Commission pour établir un lien de causalité entre une “violation de l’État de droit” et une atteinte aux fonds européens et in fine sur le déclenchement de la procédure. Par ailleurs, la liste des cas considérés comme constitutifs d’une violation, bien que non exclusive a été réduite passant de 5 à 3 situations de violation. Enfin, et malheureusement, le Parlement européen est réduit au rang d’observateur tout au long de la procédure contrairement au Conseil qui statuera à la majorité qualifiée sur les mesures proposées par la Commission européenne.
C’est cette réglementation au rabais qui a déclenché les foudres hongroises et polonaises, chassées depuis par le compromis trouvé avec la Présidence allemande en ouverture du Sommet européen. Un compromis qui vient enfermer davantage la régulation dans une interprétation unique et qui rappelle que d’autres procédures peuvent être plus efficaces, comme celle prévue dans les dispositions communes relatives au budget, ou bien la procédure d’infraction (articles 258 et 260 TFUE) déjà utilisée par la Commission et qui ont donné lieu à des décisions de la Cour de Justice, parfois restées lettre morte en Pologne ou en Hongrie.
Surtout ce compromis vient illégalement retarder l’entrée en vigueur de la réglementation. En effet, elle impose à la Commission d’établir des lignes directrices qui viendront encadrer l’application de la procédure. Des lignes directrices qui ne pourront être finalisées qu’après que la Cour de Justice aura procédé à un contrôle de légalité (article 263 TFUE), ce qui pourrait prendre des mois. En effet le Conseil européen ne dispose d’aucune prérogative inscrite dans les traités lui permettant d’imposer une façon d’agir à la Commission européenne qui “exerce ses responsabilités en toute indépendance” parmi lesquelles le devoir de veiller “à l’application du droit de l’Union”, i.e. des traités.
Une situation vivement dénoncée par les députés européens réunis en séance plénière à Bruxelles ce 16 décembre. Manfred Weber (PPE) a souligné que l’essentiel était que le mécanisme en lui-même reste intact, tout en appelant à ce que son utilisation soit faite de manière indépendante. D’autres élus se sont montrés moins diplomates, comme Ska Keller (Verts) qui a exigé une application directe du mécanisme sans attendre une décision de justice, ou encore Guy Verhofstadt (Renew) qui a dénoncé une forme d’hypocrisie du Conseil européen “qui ne peut pas garantir le respect de l’Etat de droit d’un Etat membre si en réalité vous attaquez celui de l’Union européenne”.
Un compromis de nécessité ?
Lors du Sommet européen, les 24 autres États membres n’ont pas discuté longtemps autour de compromis. En effet, face à la nécessité de renforcer la pression sur les États s’éloignant des valeurs européennes, cette régulation, bien que vraisemblablement enfermée dans une interprétation, n’a pas été modifiée en substance et constitue une avancée en soi. Elle ouvre la voie dans le futur à des évolutions, bien que la première étape soit de constater son effectivité une fois que la Commission pourra s’en saisir alors qu’elle n’a pas utilisé des mécanismes similaires déjà à sa disposition.
De l’autre côté, et comme certains observateurs l’ont fait remarquer, cela ne constitue qu’un gain de temps pour la Pologne et la Hongrie. Une victoire d’ailleurs beaucoup plus profitable à Viktor Orban qui pourra mener campagne en 2022 sans s’encombrer d’une procédure visant à suspendre les fonds européens versés à la Hongrie, alors qu’en Pologne cela a failli marquer l’éclatement de la coalition gouvernementale formée autour du PiS fragilisée depuis plusieurs mois.
C’est pour cela que le compromis propose une solution douce-amère : il risque de sacrifier définitivement l’État de droit hongrois et polonais au nom d’un mécanisme dont on ne connait pas encore l’efficacité. Pourtant l’Union européenne se veut être un communauté de valeurs, un idéal qui sera vain s’il n’est pas universel.
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