Contenus illicites en-ligne : Facebook s’invite à Luxembourg

, par Perrine Rossi

Contenus illicites en-ligne : Facebook s'invite à Luxembourg
La Cour de Justice de l’Union européenne, à Luxembourg. Source : Flickr, Alexandre Prevot

Luxembourg, le 4 octobre 2018

« A déménagé à Luxembourg », voilà ce qu’on peut lire sur le mur Facebook des stagiaires qui font, en ce début de mois d’octobre, leurs premiers pas à la Cour de justice. Liker, commenter, n’est-ce pas merveilleux ? Même à des milliers de kilomètres, vous pouvez les accompagner à leur premier afterwork. Tout irait pour le mieux dans le monde créé par Mark Zuckerberg si nous n’y avions que des amis. Mais ne soyons pas candides, l’online space n’est pas exempt de comportements déviants.

Madame Eva Glawischnig-Piesczek, femme politique autrichienne appartenant au parti écologique, en a fait les frais. Tout est parti d’un commentaire qu’un utilisateur de Facebook a posté sous un article de presse illustré par une photographie de la politicienne. Ce commentaire fut jugé par un tribunal autrichien comme étant « de nature à porter atteinte à l’honneur de la requérante au principal, à l’injurier et à la diffamer », mieux vaut donc ne pas en reproduire les termes.

Jugement à l’appui, Eva Glawischnig-Piesczek, demanda à Facebook de retirer le commentaire. Facebook s’exécuta pour le commentaire originel mais voilà qu’on pouvait trouver en ligne des répliques et paraphrases des propos jugés illicites.

Facebook répond prudemment

Facebook n’a pas fait grand-chose face aux demandes de Madame Glawischnig-Piesczek de retirer les messages similaires au commentaire initial. Le géant du social networking s’est réfugié derrière son exemption de responsabilité. Pour ne pas freiner le développement des plateformes électroniques, les acteurs du processus législatif européen ont prévu que Facebook n’est pas responsable si son site est utilisé pour diffuser une information illicite dès lors que la plateforme n’en a pas connaissance. Si une information illicite est flaguée par un utilisateur, Facebook doit alors agir rapidement pour la retirer.

De retour devant devant les juges autrichiens, Eva Glawischnig-Piesczek a demandé que l’accès soit interdit à l’échelle mondiale au contenu identique et au contenu équivalent au commentaire illicite.

Facebook au pied du mur

La demande est a priori louable, rien de plus facile et rapide dans l’online world que de répliquer, dupliquer et diffuser sous des formes variables des propos diffamant et ce, sans rencontrer aucune frontière.

Néanmoins, des interrogations surgissent : comment déterminer les contours du contenu équivalent ? Facebook peut-il jouer le rôle de nettoyeur sans empiéter sur le pouvoir du juge d’identifier les contenus illicites ? La liberté d’expression ne s’en trouverait-elle pas menacée ?

Un numéro de funambule requis par le droit européen

La réponse du droit européen en la matière s’apparente à un numéro d’équilibriste. Les États membres ne peuvent pas mettre à la charge de Facebook une surveillance généralisée. Seuls, dans des cas spécifiques définis par le droit national, Facebook peut être obligé de réaliser une surveillance spécifique en vue de supprimer une information identifiée comme illicite.

Une idée déjà difficilement réalisable sur le papier, mais dans la vraie vie, même avec beaucoup de bonne volonté, il n’est pas certain que Facebook puisse identifier et éradiquer complètement les répliques de contenus illicites.

S’engageant dans cet exercice de funambule, la Cour de justice vient essayer de mettre un peu d’ordre sur la Toile. En résumé, Facebook doit se débarrasser des contenus identiques et de certains contenus équivalents. Pour l’étendue géographique de l’interdiction d’accès, l’échelon mondial peut être retenu par les juges nationaux tout en s’assurant que la mesure n’entre pas en conflit avec des règles internationales.

La Cour a pris soin de borner la notion de contenus équivalents. De manière schématique, il s’agit des contenus quasi identiques au contenu illicite qui véhiculent en substance le même message mais sous une autre forme. Par ailleurs, la Cour réitère l’interdiction pour Facebook de réaliser une appréciation autonome du contenu pour décider de son caractère équivalent. Bon courage Facebook pour mettre au point les « moyens de recherche automatisés » qui permettront d’identifier les contenus entrant dans cette définition !

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Nous sommes le jour d’après à Luxembourg. Les tours dorées de la Cour de justice miroitent majestueusement dans le soleil matinal, se donnant des airs de Schönbrunn moderne. Le Kirchberg est si paisible, comme figé dans un monde au ralenti à des années lumières du brouhaha des réseaux sociaux.

Mais ne nous y trompons pas, si Facebook agite dernièrement les conversations à Bruxelles entre la taxe GAFA et la question de la protection des données personnelles, c’est à Luxembourg que le géant vient de perdre une bataille.

La liberté d’expression va-t-elle y laisser des plumes au passage ? Tout dépendra des juges nationaux et de la portée qu’ils donneront à leur obligation de supprimer des contenus illicites.

[1] Il est bien question d’information illicite et non d’information inexacte (fake news)

Lire le jugement Lire le communiqué de presse Article 14 et 15 de la Directive 2000/31/CE du 8 juin 2000 dite e-commerce directive

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