Controverse : Un projet de loi sur le péage des routes allemandes

, par Marjorie Even

Controverse : Un projet de loi sur le péage des routes allemandes
Les autoroutes, comme l’ensemble du réseau routier allemand, se parent de balises de signalisation, annonçant les importants travaux de rénovation et de remise aux normes engagés par le gouvernement allemand - Collin Key

Les autoroutes allemandes sont appréciées des automobilistes européens pour leur gratuité et pour l’absence partielle de limitation de vitesse. Or, le ministre des transports allemand, Alexander Dobrindt (CSU), voudrait mettre en place une taxe routière pour tout usager des routes allemandes d’ici 2016, contraignant dans les faits uniquement les étrangers.

Les routes allemandes ont besoin d’être rénovées

La politique des transports en Allemagne s’est, des années durant, concentrée principalement sur la construction de nouvelles routes, si bien que l’entretien des routes existantes a été quelque peu négligé. De fait, les conséquences, qui ne sont mesurables qu’après un certain temps, se font à présent sentir : ponts d’autoroutes en morceaux, nids-de-poule, routes en mauvais état… Un constat a été établi : sur le périphérique de Cologne, certains ponts sont fermés aux poids-lourds, ou bien praticables qu’à une vitesse limitée ; des points de trafic névralgiques à Berlin, Munich et Stuttgart nécessitent également d’être rénovés [1].

Cette situation trouve également son explication dans le budget aux infrastructures, investi en priorité pour la reconstruction de l’ex-Allemagne de l’Est dans les années 1990, et dans le désintérêt du maintien des routes, qui n’a pas été prioritairement pris en compte face à d’autres nécessités budgétaires. D’après certaines estimations, il manquerait à la République Fédérale d’Allemagne, aux Länder ainsi qu’aux communes à peu près sept milliards d’euros par an pour financer les travaux les plus urgents [2].

La libre circulation des citoyens en Allemagne : entre principe sacré et pression des lobbies

Par ailleurs, la politique des transports est un sujet épineux en Allemagne. Ce pays est en effet culturellement très attaché à la libre circulation de ses citoyens – phénomène qui s’est certainement accentué à la fin du XXe siècle, période durant laquelle la liberté de circulation des citoyens de la RDA fut entravée. Ce n’est donc habituellement qu’à demi-mesure que les hommes politiques osent mettre en place des réformes liées aux infrastructures et aux transports, afin de ne pas faire de vagues.

Dans un premier temps, la question récurrente de la limitation de vitesse sur les autoroutes provoque fréquemment une onde de choc. L’enjeu est de taille pour les constructeurs automobiles allemands, dont les modèles sont conçus pour prendre facilement de la vitesse. De plus, l’ADAC, puissant lobby allemand existant depuis plus de cent ans et deuxième plus grand club automobile au monde, avec près de dix-neuf millions de membres, joue un rôle particulièrement influent à ce propos en s’opposant constamment à tout projet de loi qui mettrait un frein à cette liberté de rouler sans limitation de vitesse sur les autoroutes.

Dans un second temps, la question du péage des routes a également créé des remous pendant un certain temps. Après plusieurs vagues de protestations de l’ADAC, il a été décidé que les fonds pour financer les autoroutes proviendraient des seuls impôts et de la taxe Kfz-Steuer. A cette dernière, sont soumis ceux qui possèdent un véhicule et elle est destinée à l’entretien des voies de circulation. Finalement, seuls les poids-lourds ont été soumis au système du péage : d’abord suite à l’introduction de l’eurovignette en 1995, puis, suite à une loi allemande du début des années 2000 contraignant au péage les camions d’un poids de plus de douze tonnes, transportant des marchandises.

A présent, le ministre des transports, Alexander Dobrindt, jette un nouveau pavé dans la marre avec son projet de loi concernant le péage des routes par les seuls étrangers, qu’ils soient automobilistes ou conducteurs de camion.

La CSU, parti bavarois, connue pour sa réticence vis-à-vis du droit européen

En réalité, ce projet est contraire au principe européen de non-discrimination des étrangers, et révèle surtout un clivage entre l’idéologie du parti bavarois qu’est la CSU (Christlich-Soziale Union) et les valeurs européennes. La CSU est un parti de Bavière, où il est d’ailleurs la force politique dominante. Ce parti coopère de très près avec son parti-frère, la CDU, le parti d’Angela Merkel. La CSU prône une politique plus conservatrice que la CDU sur les valeurs fondamentales, mais plus sociale d’un point de vue économique. CDU-CSU forment le parti communément dénommé « l’Union » [3].

Aussi, le quotidien allemand de la Süddeutsche Zeitung [4], réagissant vivement au projet de Dobrindt, explique que « présentement, la CSU ne prend pas en compte le droit européen […] et que chacun sait pertinemment que la Cour de Justice de l’Union Européenne s’opposera à tout système de péage qui discriminerait les automobilistes issus d’autres États-membres et favoriserait les automobilistes allemands ».

Dobrindt avait fait du péage des routes une priorité lors des négociations des accords de coalition, et espère certainement garder la tête hors de l’eau avec cette réforme : les Allemands ne devraient, théoriquement, guère payer davantage. Les propriétaires de véhicule doivent en effet d’ores et déjà payer la taxe Kfz-Steuer ; or, si le projet de péage se met en place, la somme que les Allemands devront verser pour acquérir une vignette leur sera déduite de cette taxe en question, si bien que ce système de péage ne les contraindrait finalement pas. Ceci ne serait pas donc pas le cas des étrangers, puisqu’ils seraient pénalisés par rapport à eux en s’acquittant de la vignette pour circuler sur l’ensemble du réseaux routier allemand. En instaurant une telle loi, Dobrindt espère également pouvoir faire baisser la hauteur du péage pour les poids-lourds.

L’Allemagne devra s’attendre à des conséquences : des pertes économiques et une image ternie

Avec ce projet de réforme, le ministre des transports nage à contre-courant de l’idée européenne d’unité, de libre-circulation et de solidarité. Cela nuirait à l’image de l’Allemagne, déjà quelque peu ternie par la montée, certes balbutiante mais alarmante, des partis eurosceptiques. De plus, cette loi sur le péage pour les étrangers risque de provoquer des ricochets non désirés : les voisins européens répliqueraient certainement en instaurant à leur tour un système de péage à l’encontre des Allemands. Ces points-ci ont notamment été mis en exergue par d’autres ministres-présidents allemands au sein même de la CDU et de la CSU, mais aussi par d’autres ministres européens représentant les régions et pays frontaliers tels que la Belgique, la Sarre, la Lorraine, l’Alsace, le Luxembourg, dans une lettre de vive désapprobation adressée à Dobrindt [5]. Ils y soulignent que plusieurs secteurs transfrontaliers seraient perturbés par cette loi : la circulation transfrontalière, les migrations pendulaires liées au travail, le tourisme, le commerce. Cela dissuaderait les touristes et en premier lieu les voisins européens de se rendre en Allemagne, et les régions frontalières en souffriraient particulièrement.

Ainsi, la question du financement des infrastructures allemandes est épineuse. Si elle apparaît révoltante aux yeux des europhiles, la loi que Dobrindt veut instaurer met finalement en lumière un manque de coordination politique entre les pays européens, ici en matière de financement et d’harmonisation des politiques en matière d’infrastructures. Il sera intéressant d’examiner la suite des débats au sein de la nouvelle Commission européenne.

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Notes

[2Article du Spiegel n°30, 21.04.2014, p. 31, écrit par Böll, Krüger et Middelhoff

[3Dossiers de civilisation allemande, Férec Laurent et Ferret Florence, Ellipses, 2014, pp. 68-69.

Vos commentaires
  • Le 6 octobre 2014 à 05:20, par Xavier C. En réponse à : Controverse : Un projet de loi sur le péage des routes allemandes

    Mais pourquoi ne suppriment-ils pas la taxe Kfz-Steuer (payée seulement par les Allemands) pour instaurer seulement une vignette (payée par les Allemands et les étrangers), comme en Suisse ?

    Utilisateur-payeur, cela a du sens.

  • Le 6 octobre 2014 à 10:55, par Bernard Giroud En réponse à : Controverse : Un projet de loi sur le péage des routes allemandes

    Les sujets de discorde peuvent se multiplier à l’infini, lorsqu’on s’engage dans les mauvaises pentes.

    Pour coopérer, il faut faire acte de prévoyance, réflexion et liberté. Cela nous permettrait d’examiner avec calme les sujets d’intérêts communs, dans l’énergie par ex., ici dans le transport.

    Comme l’exprimait l’auteur d’un article précédent, cette situation de guerre économique entre nos pays européens affaiblit le niveau général. Il nous éloigne de la maitrise de notre devenir ;

    Tout le problème est de trouver les acteurs lucides, dans toutes les sphères de nos sociétés démocratiques qui peuvent concourir à redresser le cap.

    Le premier point serait de nous faire une opinion libre, (dépassionnelle, actualisée), avec des techniciens ( ou praticiens) de différents bords, sur ces réalités des transports et de l’énergie.

    On pourrait ainsi reprendre la route d’un progrès soutenu , parce que compris, donc maitrisé dans sa construction.

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