Ces affaires ne sont pourtant que la partie émergée d’un iceberg encore aujourd’hui tenace. Si la corruption en France ne semble concerner que les hautes sphères économiques et politiques, payer l’officier de police ou soudoyer l’employé municipal sont pratiques courantes en Roumanie. La corruption est l’affaire de tous, sclérose le fonctionnement d’une économie prometteuse et en quête d’un véritable décollage, paralyse les administrations et l’action du service public, mine la confiance que les individus portent aux politiques et ronge le lien social d’un pays encore fragile. Cette situation contraste avec les autres Etats membres de l’Union européenne, issus de l’élargissement de 2004 et également concernés par le phénomène.
Bien qu’initialement rongées par la corruption, la Pologne, la Hongrie ou encore la République Tchèque ont démontré des avancées significatives dans ce domaine. Ce constat détermine alors la singularité du cas roumain, je vous propose trois éléments d’explication.
L’héritage communiste
La gestion communiste de l’économie fut un catalyseur de la corruption. L’orientation des facteurs de production vers l’industrie lourde entraina un phénomène de sous-investissement chronique dans de nombreux autres secteurs. Coupures de courant régulières, manque de chauffage et d’infrastructures, de nourriture et autres produits de première nécessité étaient fréquents. Le marché noir comble en partie ces pénuries récurrentes. De nombreux trafics émergent, souvent liés à la distribution de nourriture, d’alcool et de cigarettes. Se référer au marché noir est encore monnaie courante en Roumanie et ces trafics perdurent.
Bien que la libéralisation du pays empêche toute pénurie ou famine, le poids de l’économie souterraine dans le PIB national y est encore conséquent. Par ailleurs, ce phénomène encourage les Roumains à solliciter ces réseaux mafieux là où l’Etat ne répond pas à leurs besoins. Aujourd’hui, l’inefficacité des administrations entretient cette habitude héritée d’une époque pourtant révolue.
Une transition ratée
A la différence de la majorité des pays d’Europe centrale et orientale, la Roumanie ne se débarrassa pas de ses élites après 1989. Au contraire, ces dernières légitiment leurs positions et rester formellement au pouvoir jusqu’en 1996. Anticipant la fin du communisme dans la région, Ion lliescu, alors lieutenant de Ceausescu, organise le jugement de son ancien mentor et s’érige en sauveur du peuple roumain, garant de la transition libérale et démocratique du pays. Cet opportunisme a empêché tout renouvellement de l’ancienne classe politique qui compense la perte de ses privilèges politiques (introduction de la démocratie) par sa mainmise sur l’économie.
Aujourd’hui encore, le poids des élites anciennement communistes se fait sentir, et par cela, la perpétuation des anciennes pratiques. Le président Băsescu lui-même est issu du sérail, lui qui, pendant des années, collabora avec les services secrets roumains en Belgique.
Un système institutionnel peu adapté
En choisissant un système semi-présidentiel, la Roumanie ne s’est pas pourvue du meilleur modèle institutionnel afin de lutter contre la corruption. Bien que doté de pouvoirs moins étendus qu’en France, le président de la République roumaine reste, dans les faits, presque omnipotent. Les juges sont nommés, l’apolitisme du président pourtant consacré par la constitution n’est pas respecté et ses liens avec les services secrets toujours aussi denses. Deux procédures de mise en accusation lancées en 2007 et 2012 à l’encontre de Băsescu ont toutes échouées.
L’exécutif roumain est aujourd’hui toujours protégé, immunisé face aux contre-pouvoirs pourtant nécessaires au bon fonctionnement d’une démocratie. Cette impunité laisse alors place aux mauvaises pratiques, à l’opacité du processus de décision, à la confiance quasi nulle qu’accordent aujourd’hui les Roumains à leurs propres dirigeants.
Des solutions ?
Bruxelles y a apporté pourtant plusieurs réponses, d’abord en repoussant la date d’entrée de la Roumanie dans l’Union à 2007, puis en lui imposant une liste de conditions à appliquer après son entrée.
Le Mécanisme de Coopération et de Vérification, chargé du suivi de ces conditions, montre aujourd’hui toute l’étendue de ses limites. Depuis maintenant sept ans, aucune amélioration tangible n’a été perçue. Cette situation pose alors la question plus large du pouvoir de l’Union européenne face aux Etats membres souverains. De nombreux scientifiques se sont penchés sur ce sujet. Parmi eux, Alina Mungiu, universitaire et dissidente virulente des années 1980, suggère la mobilisation massive de la société civile contre ses élites politiques. D’autres insistent sur la pression positive des forces économiques. La corruption représente un coût que les entreprises ne souhaitent pas porter, ce qui engendre moins d’investissements.
Afin de s’assurer un véritable décollage économique, la Roumanie aurait alors tout intérêt à diminuer son niveau de corruption et ainsi offrir aux investisseurs un marché attrayant. Bien des exemples ont montré l’efficacité de certaines mesures contre la corruption. Celle-ci n’est pas une fatalité mais doit faire l’objet d’une mobilisation globale. Volonté politique, organisation des forces sociales, pressions économiques et internationales sont autant d’éléments qui, à terme, permettraient à la Roumanie de se défaire de son héritage par une véritable réforme de l’Etat et de ses composantes.
1. Le 7 novembre 2014 à 17:19, par Besse En réponse à : Corruption en Roumanie : Le poids d’un héritage encore vivace
Il est vraiment curieux (voire carrément malhonnête ?) que vous parliez d’« héritage », car en fait, la Roumanie n’a jamais été aussi corrompue qu’aujourd’hui. Il ne s’agit plus d’héritage mais bien d’un mode de gestion économique que, l’Europe n’a jamais (et certainement pas en repoussant l’adhésion de la Roumanie à l’U.E.) tenté de modifier... En fait, le taux de corruption a continué de monter avec l’adhésion à l’U.E (http://www.transparency-france.org/ewb_pages/i/indice_de_perception_de_la_corruption644.php), la quelle (l’adhésion), loin de l’empêcher, l’a en fait empirée ( voire, qu’elle eût pu servir de catalyseur, dans une certaine mesure)... C’est faire preuve de cécité, voire de mauvaise foi idéologique que d’écrire un article comme celui ci (cette mauvaise foi, mène oublier que l’Europe, en l’état n’a rien apporté à un pays qui regrette de plus en plus Ceausescu, pour des raisons compréhensibles, http://old.rri.ro/arh-art.shtml?lang=6&sec=397&art=124202 ) . Je préciserai d’ailleurs que, les solutions que vous proposez ne sont que des invocations des bonnes volontés, mais en rien utile ou concrètes. En revanche, nous pouvons nous poser la question de savoir en quoi l’U.E permettrait de faire ce qu’elle n’a pas fait (« les mêmes causes produisent les mêmes effets » c’est le principe de causalité), et demandons nous si au contraire, il ne faudrait pas pour la Roumanie, re-centraliser son État, se réapproprier une partie des moyens de productions,... pour minimiser cette corruption, ce qui risquerait en ce cas précis, de montrer les limites de l’U.E. .
2. Le 10 novembre 2014 à 17:37, par Komrad En réponse à : Corruption en Roumanie : Le poids d’un héritage encore vivace
l’Europe, en l’état n’a rien apporté à un pays qui regrette de plus en plus Ceausescu, pour des raisons compréhensibles" Voici un propos largement tendancieux. S’il est vrai qu’il existe une nostalgie pour la Roumanie des années 60/70, qui bénéficiait d’une relative prospérité, il n’y a en revanche aucun regret en ce qui concerne le Ceaucescu des années 80. Quand il n’est plus resté que l’arbitraire en plus de la crise économique, la dictature s’est effondrée. La corruption actuelle est caractéristique d’un ordre politique jeune, qui ne pourra que s’améliorer. Ce ne sont pas les institutions Européennes qui sont responsables de la situation actuelle. Il faudrait aussi que les requins esclavagistes Allemands et Français cessent de faire leur marché pour fournir les agriculteurs de leurs pays respectifs en « travailleurs détachés », par exemple.
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