Au cours de son histoire, l’Union européenne a connu une intégration par étapes, de crise en crise. Ce sont elles qui ont rythmé la construction européenne par les questionnements et les opportunités nouvelles qu’elles ont créées. La crise engendrée par le COVID-19, tant dans son aspect sanitaire et économique, que politique dans la remise en cause de la souveraineté européenne dans un monde globalisé, nous amène à repenser entièrement nos sociétés, et donc notre projet commun. Pour se réinventer, l’Union européenne doit miser sur ses citoyens.
Une Conférence sur l’avenir de l’Europe qui tombe à pic
Annoncée dans le programme de la Commission von der Leyen, la Conférence sur l’avenir de l’Europe qui devait débuter ses travaux le 9 mai 2020, date anniversaire de la Déclaration Schuman, arrive à point nommé. Si la crise du COVID-19 reporte sine die le lancement de ses travaux, et que ses contours sont encore flous, elle pourrait pourtant s’avérer le projet idéal pour dessiner l’Europe d’après.
Dans sa résolution du 15 janvier 2020, le Parlement européen a défini sa position concernant la Conférence sur l’avenir de l’Europe [1]. Initialement programmée de mai 2020 à l’été 2022, la Conférence sur l’avenir de l’Europe devait profiter des présidences française et allemande du Conseil pour envisager une transformation ambitieuse. Le Parlement envisage clairement dans sa résolution une réforme des institutions de l’Union. Il rappelle la nécessité de « relever à la fois les défis internes et externes auxquels l’Union est confrontée, ainsi que les nouveaux défis sociétaux et transnationaux » et ajoute « que le nombre de crises importantes que l’Union a subies montre que des réformes sont nécessaires dans de multiples domaines de la gouvernance ». Il ajoute que ce processus de réforme doit placer au centre du débat les citoyens européens eux-mêmes.
Ainsi, le Parlement européen propose une remise à plat des compétences et des institutions de l’Union et esquisse une démarche participative. Cette démarche « ascendante » associerait des citoyens sélectionnés de manière aléatoire au sein d’agoras citoyennes à travers l’Union européenne, et ce dans un cadre transnational pour éviter tout débat focalisé sur des intérêts strictement nationaux. Elles seraient doublées d’une plateforme numérique. Cependant, l’assemblée plénière que le Parlement européen suggère, chargée de recueillir les résultats de cette consultation, est une assemblée ad hoc mêlant représentants nationaux, parlementaires européens nombreux, représentants de la Commission, des parlements des États membres et de collectivités locales, ainsi que quelques représentants seulement de la société civile. En somme, une conférence intergouvernementale élargie.
C’est ainsi que d’un processus constituant, l’on réduit cette démarche à une énième consultation citoyenne donnant lieu à une conférence intergouvernementale, bien qu’elle implique nombre de députés européens. Il faut saisir l’opportunité qu’offrent la crise du COVID-19 et le questionnement sur l’Europe d’après pour transformer cette conférence en une concertation ambitieuse dans le cadre d’un véritable processus constituant.
Une Convention citoyenne tirée au sort à l’initiative du Parlement européen
Si le Parlement européen a esquissé l’idée d’agoras citoyennes thématiques composées de citoyens européens, il doit toutefois revoir la structure de la Conférence sur l’avenir de l’Europe pour viser un objectif plus ambitieux.
En effet, le Parlement européen, fort de sa légitimité d’assemblée élue au suffrage universel, gagnerait à convoquer lui-même une Convention citoyenne tirée au sort. Composée de citoyens européens, représentatifs de la population européenne et de l’ensemble des États membres, cette assemblée citoyenne serait à même de travailler avec le Parlement européen pour imaginer les contours de l’Europe d’après et les réformes à engager. En relation permanente avec les élus du Parlement européen, elle pourrait lister les propositions concrètes de réforme et remettre à plat la gouvernance de l’Union.
Pilotée par le Parlement européen, avec l’aide du Conseil et de la Commission européenne, la Convention serait également nourrie par les travaux des agoras citoyennes, déjà imaginées par le Parlement européen, ainsi que par l’audition de nombreux acteurs européens de la société civile, des gouvernements locaux et nationaux, des parlements nationaux et d’autres personnalités ressources. Une plateforme numérique pourra, comme prévue, permettre la participation dans toutes les langues de l’Union à tout citoyen qui le désire. Alimentée par ces propositions et ces expertises, la Convention citoyenne sera chargée de rendre un nombre important de propositions esquissant les réformes dont l’Union a besoin.
Dans ce processus de concertation de haut-niveau, qui pourrait durer une année voire 18 mois, la Convention citoyenne se devrait d’entretenir des liens étroits avec les parlementaires européens, les mieux placés pour transcrire ses propositions finales en actes.
Le Parlement doit investir son rôle constituant
Dans cette entreprise, l’Union n’a pas besoin d’imaginer la composition d’une assemblée constituante ad hoc. Cette assemblée existe déjà : c’est le Parlement européen. Grâce à sa commission des affaires constitutionnelles, et comme ce fut le cas par le passé, le Parlement européen se doit d’affirmer son rôle constituant. Il doit s’engager à transcrire en projet de traité les propositions imaginées par le Convention pour la réforme de l’Union européenne.
A la suite du processus de concertation, le Parlement européen devra lui-même synthétiser et compléter les propositions de la Convention citoyenne pour donner naissance à un nouveau projet de « traité-constitution ». Ce projet serait coordonné par sa commission des affaires constitutionnelles, commission compétente pour porter un pareil projet et coordonner les différents acteurs de la concertation et de l’élaboration du nouveau traité.
Revoir le calendrier pour un référendum européen en 2024
Alors que la Convention citoyenne pourrait rendre sa copie en 2022, selon le calendrier initial de la Conférence sur l’avenir de l’Europe envisagée par la Commission, il est impératif que les résultats de cette concertation ne passent pas à la moulinette d’une conférence intergouvernementale, aussi ouverte soit-elle aux autres institutions de l’Union.
C’est pourquoi, il faut abandonner l’idée d’assemblée plénière que propose le Parlement européen et qui compte un nombre important de parlementaires européens, des parlementaires nationaux, des membres de la Commission, du Comité des régions, du Conseil économique et social européen, des organisations syndicales et patronales, ainsi que des représentants des gouvernements nationaux. En effet, il y a fort à parier que les diplomates tirent les ficelles des négociations et que cette assemblée plénière ne soit que le théâtre d’une conférence intergouvernementale élargie favorisant le plus petit dénominateur commun et une réforme peu ambitieuse.
L’alternative est le projet parlementaire évoqué ci-dessus. En formalisant un nouveau projet de traité, le Parlement européen, qui dispose de la légitimité démocratique suffisante pour le faire, esquiverait le piège de la conférence intergouvernementale. Il serait chargé d’élaborer ce projet de traité, de l’adopter et de le transmettre directement pour ratification aux organes constituants des États membres, sans passer par des négociations gouvernementales. Cette démarche constituante en ferait un véritable projet de « traité-constitution ».
Et pourquoi pas un référendum européen ?
Au-delà même de cette méthode, nous pourrions aller plus loin dans cette démarche et envisager la ratification de ce projet de traité par un référendum européen. Ce référendum pourrait demander un taux de participation minimum et une victoire du « oui » dans chaque État membre. En s’alignant sur le calendrier des élections européens de 2024, les citoyens européens pourraient voter le même jour pour leurs députés européens et pour le nouveau traité, qui entrerait alors en vigueur pour la prochaine mandature.
C’est seulement par ce processus constituant que nous pourrons garantir la transformation profonde de l’Union européenne, tant de ses compétences et de ses moyens d’action que de son fonctionnement et de sa gouvernance. Le Parlement doit y assumer son rôle prépondérant. Aux grandes réformes, les grandes méthodes.
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