Daphne Caruana Galizia est morte – Que faut-il de plus pour ouvrir les yeux ?

, par Théo Boucart

Daphne Caruana Galizia est morte – Que faut-il de plus pour ouvrir les yeux ?
Le Premier Ministre maltais Joseph Muscat. Des membres de sa famille ainsi que de son Cabinet ont été directement accusés de corruption par Daphne Caruana Galizia. CC BY-NC-ND 2.0

Lundi 16 octobre, une voiture piégée explose dans le Nord de l’île de Malte. Cette voiture, c’est celle de Daphne Caruana Galizia, la blogueuse et la journaliste la plus célèbre du pays. Elle n’a pas survécu à l’attentat. C’est indéniablement un jour noir pour la liberté de la presse en Europe et cela doit nous rappeler qu’il faut plus que jamais défendre ce droit face à des intérêts économiques et des gouvernements déterminés à étouffer les affaires trop compromettantes.

La nouvelle de cette mort a déclenché un torrent de réactions affligées de la part de l’Union Européenne et des gouvernements européens et de messages de solidarité pour la famille de cette journaliste largement méconnue en dehors de son pays, le plus petit de l’UE avec une superficie de 320 km² et une population d’environ 450000 habitants.

Daphne Caruana Galizia était une infatigable journaliste d’investigation dans la lutte contre la corruption présente selon elle à tous les niveaux de l’administration maltaise. Elle a notamment enquêté sur les scandales des Panama Papers (impliquant des réseaux mondiaux d’évasion fiscale) et révélé des informations embarrassantes pour le gouvernement travailliste de Joseph Muscat, concernant du blanchiment d’argent venant de la mafia sicilienne, omniprésente dans plusieurs secteurs économiques de l’archipel (en particulier le secteur des jeux d’argent qui représente près de 12% du PIB maltais) ou des pots de vin versés par la famille Aliyev qui dirige l’Azerbaïdjan. [1]

Toujours selon elle, de nombreux hommes d’affaires étrangers achèteraient des passeports maltais pour bénéficier d’un taux d’imposition favorable sur leurs entreprises, contribuant ainsi au budget national. Même l’épouse du Premier Ministre, Michelle Muscat, a été accusée par la blogueuse et journaliste d’être impliquée dans le scandale des Panama Papers.

Si cela s’est produit à Malte, cela peut se produire dans d’autres pays de l’UE

Daphne Caruana Galizia, de par ses enquêtes minutieuses, gênait de nombreux intérêts économiques et politiques très puissants à Malte et au-delà. Sa mort nous pousse à chercher si ces intérêts sont plus ou moins liés à cet assassinat, comme l’affirme Matthew Caruana Galizia, son fils. [2]

Il ne faut néanmoins en aucun cas accuser immédiatement Malte d’être un commanditaire de l’attentat. Une enquête va être ouverte, elle doit être conduite avec rigueur et impartialité et il faudra attendre ses conclusions pour y voir un peu plus clair dans cette affaire. Cependant, en dépit des condamnations un brin hypocrites de cet acte horrible, il ne faut pas oublier que Malte n’est pas le seul pays membre de l’Union Européenne à être concerné par le recul de la liberté de la presse. Selon les informations de Reporters sans frontières, la situation en Europe du Sud-Est est pire qu’à Malte (notamment en Bulgarie) et ne cesse d’inquiéter en Hongrie et en Pologne. [3]

Même nos grands pays soi-disant parfaitement démocratiques comme la France, le Royaume-Uni ou l’Allemagne ne sont pas à l’abri de conflits d’intérêts touchant les journaux et leurs propriétaires, souvent à la tête d’entreprises très importantes. Daphne Caruana Galizia est peut-être la première journaliste tuée cette année en Europe pour avoir pointé quelque chose de trop sensible pour quelqu’un de trop important, mais rien ne dit que cela ne se reproduira pas ailleurs dans l’Union.

Plus que jamais, l’Union Européenne doit protéger la liberté de la presse

Actuellement, toute tentative pour aboutir à plus de transparence dans la taxation des entreprises multinationales est bloquée par des États membres comme Malte, le Luxembourg ou l’Irlande. En février dernier, des eurodéputés Verts se sont plaints du fait que la Commission essayait de bloquer l’enquête sur les Panama Papers en Europe. La directive « Secrets des affaires » a été votée par le Parlement européen et le Conseil l’année dernière, ce qui inquiète les journalistes et les lanceurs d’alerte quant à leur liberté d’informer et leur protection en cas de litige avec des intérêts économiques. Tout cela n’est pas très encourageant pour la liberté de la presse et la sécurité des journalistes. Pourtant, si l’Union Européenne apparaît dans le monde comme un havre de paix relatif dans ces domaines, elle doit impérativement apporter des garanties, et pas seulement dans la lutte contre les fake news. Même le Parlement Européen est peu enclin à discuter liberté de la presse en session plénière.

Une hypothétique directive protégeant davantage la presse et les journalistes ne va pas faire revenir Daphne Caruana Galizia. Elle pourrait cependant protéger tous ceux qui, à l’instar de la journaliste maltaise, reçoivent ou ont reçu des pressions voire des menaces de mort. Il faut absolument faire quelque chose pour ceux qui essayent de nous informer du mieux qu’ils peuvent. Si l’émergence d’un journalisme pan-européen est récente, la protection pan-européenne des journalistes doit suivre. La mort de Daphne et la douleur suscitée ne doivent vraiment pas rester vaines.

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