De nouvelles sanctions européennes contre la Turquie sont-elles inévitables ?

, par Kareem Salem

De nouvelles sanctions européennes contre la Turquie sont-elles inévitables ?
Angela Merkel (Allemagne), Recep Tayyip Erdogan (Turquie), Vladimir Poutine (Russie) et Emmanuel Macron (France) Image : kremlin.ru

Le président turc Recep Tayyip Erdogan ne cesse de compromettre ses relations avec l’Union européenne et ses États membres dans l’intention de restituer à la Turquie sa puissance et sa grandeur d’antan. Les tensions avec la Turquie ont particulièrement accru au cours de la seconde moitié de cette année, ce qui pourrait amener l’Union à établir de nouvelles sanctions européennes lors du prochain Conseil européen, prévu en décembre.

Jamais la Turquie sous la présidence d’Erdogan n’a été aussi engagée militairement au sud de sa frontière. L’armée turque est présente en Syrie, en manœuvre en Libye et en incursion perpétuelle dans le nord de l’Irak. La politique turque du reïs (chef suprême), est motivée par le désir de rendre à la Turquie sa sphère d’influence qu’elle occupait au temps de Mehmet II.

Pour redonner à la Turquie sa gloire d’antan, le président turc s’est surtout attaché depuis le coup d’État manqué de 2016 à réaffirmer l’influence de la Turquie au Proche-Orient et en Afrique du Nord. Le reïs a ainsi multiplié les incursions turques dans le nord de la Syrie et en Irak, commettant notamment des exactions contre les Kurdes en Syrie. En Libye, le président turc a déployé des centaines de mercenaires syriens et des dizaines de cargaisons de matériel militaire pour soutenir le gouvernement d’union nationale dirigé par Fayez Sarraj avec lequel il entend exploiter les gisements d’hydrocarbures dans les eaux libyennes de la Méditerranée. Cette politique expansionniste a profondément refroidi les relations entre Ankara et les Européens.

La politique de reconfiguration du président turc au Moyen-Orient n’est pas le seul point de tension entre l’Union européenne et la Turquie. Les tensions ont été particulièrement exacerbées récemment en raison des explorations de la Turquie dans les eaux maritimes grecques et chypriotes et de son implication dans le conflit du Haut-Karabakh. Il convient à présent d’analyser ces différences plus en détail.

Méditerranée orientale : les eaux de la discorde

Les relations entre Ankara et Athènes sont historiquement conflictuelles. Elles remontent à la conservation des îles de la mer Égée par la Grèce à la fin de la Première Guerre mondiale. Ce contentieux s’est accentué davantage lorsque l’Italie vaincue cède à la Grèce l’archipel du Dodécanèse, au grand dam de la Turquie après la fin de la Seconde Guerre mondiale. Les tensions maritimes entre les deux pays ont presque dégénéré en conflit armé à deux reprises, notamment en 1987 et en 1996.

La découverte de nouvelles ressources gazières en Méditerranée orientale, qui pourraient représenter l’équivalent des réserves de la Norvège, ravive une fois de plus les tensions entre Athènes et Ankara. En effet, le sous-sol de la Méditerranée orientale pourrait abriter 3 500 milliards de mètres cubes de ressources gazières.

Dans un contexte économique turc délicat où l’inflation est hors de contrôle et où les prix à la consommation s’envolent, l’annexion des eaux de la Méditerranée orientale pourrait permettre au reïs de restaurer la prospérité économique de la Turquie et de réduire ainsi l’érosion de son pouvoir politique, fortement touché par la crise économique.

Facilité par la paralysie des États-Unis et de l’UE par l’épidémie de Covid-19, le président turc a ainsi multiplié les coups de force cette année en Méditerranée orientale, au mépris du droit international. Afin de sonder les fonds marins, le reïs a déployé en août le navire de prospection Oruç Reis dans les eaux revendiquées par Athènes. Ce navire de prospection a également effectué des recherches de ressources gazières dans les zones maritimes revendiquées par Chypre.

Ces actions hostiles ont suscité la colère des Européens, en particulier la France. En conséquence, la France s’est engagée à soutenir la Grèce et Chypre. Dans cet esprit, la France a envoyé des navires et des rafales à ses alliés européens. Le président français a également cherché à rallier les autres puissances européennes en Méditerranée, à savoir l’Italie, Malte et l’Espagne autour de cette question. Le président de la République avait notamment reçu les chefs d’État et de gouvernement de ces pays au Sommet des pays du Sud de l’Union européenne en septembre.

Cela dit, l’Allemagne qui assure actuellement la présidence de l’UE, a préféré privilégier la diplomatie plutôt que de soutenir pleinement les pays européens en première ligne face à la Turquie. Cela est dû au fait que le gouvernement fédéral allemand considère toujours Ankara comme un partenaire économique important pour l’économie allemande et pour sa capacité à éviter une nouvelle poussée de l’immigration en Europe. En effet, c’est Mme Merkel qui avait négocié pour le compte de l’UE un accord migratoire avec la Turquie afin de dissuader les migrants de traverser la mer Égée par bateau. Ainsi, le gouvernement fédéral allemand a intensifié ses efforts diplomatiques pour amener la Grèce et la Turquie à dialoguer. Ces efforts ont été récompensés puisque les deux États ont annoncé leur volonté de reprendre les négociations à la fin du mois de septembre.

Néanmoins, à la mi-octobre, la Turquie a repris de nouvelles recherches gazières en Méditerranée orientale, brisant ainsi les efforts diplomatiques de Berlin.

L’implication de la Turquie dans le Haut-Karabakh

L’ingérence turque dans le conflit qui oppose les forces séparatistes du Haut-Karabakh, soutenues par l’Arménie et les forces azerbaïdjanaises, ravive également les rancœurs et les craintes des Européens. Situé dans une région montagneuse du Caucase et peuplé d’Arméniens, le Haut-Karabakh connaît depuis fin septembre des combats intenses dans lesquels les forces azerbaïdjanaises soutenues par la Turquie tentent de reconquérir cette terre. Avec déjà 30 000 victimes, les Européens sont particulièrement inquiets de l’envoi par la Turquie de drones et de mercenaires pro-turcs présents en Libye et en Syrie pour soutenir les forces azerbaïdjanaises.

La Turquie est déterminée à aider le gouvernement azéri, avec lequel elle entretient des liens étroits depuis la chute de l’Union soviétique. Au-delà des liens ethniques et culturels entre les deux nations, l’activisme turc dans le Haut-Karabakh s’explique aussi par des intérêts géostratégiques. En effet, le reïs a pour ambition de renforcer la sphère d’influence de la Turquie dans les pays musulmans turcophones du Caucase et d’Asie centrale. La présence d’une population arménienne et chrétienne à 99 % dans l’enclave du Haut-Karabakh pour le président turc sape ainsi ses projets. C’est pour cette raison que le reïs se pose en soutien indéfectible du régime azéri dans le conflit du Haut-Karabakh.

L’heure de vérité

Lors du dernier sommet européen, le président du Conseil et les États membres ont convenu de donner une chance au dialogue politique avec la Turquie. Cependant, Ankara continue de faire fi des avertissements des Européens en prolongeant sa mission d’exploration gazière en Méditerranée orientale jusqu’au 4 novembre et en maintenant une ligne ferme dans le conflit du Haut-Karabakh. En parallèle, le président turc ne cesse de dégrader ses relations avec la France en appelant notamment à un boycott des produits français.

Ainsi, il est très probable que l’UE émette de nouvelles sanctions contre Ankara lors du prochain sommet du Conseil européen. Ces nouvelles mesures coercitives risquent d’accentuer une situation économique et sociale dégradée par la pandémie de Covid-19, mais ne suffiront pas à faire renoncer les ambitions hégémoniques d’Erdogan. Dans cet esprit, le résultat de l’élection présidentielle américaine du 3 novembre sera crucial pour l’UE. En effet, un gouvernement Biden tentera de renouveler ses relations avec les Européens et sera donc moins indulgent avec le président turc.

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