En plus de la discussion sur l’aide aux régions transfrontalières que nous avons traité précédemment, le même jour, mercredi 12 février, s’est tenu un débat sur “La collaboration entre les conservateurs et l’extrême droite, une menace pour la compétitivité dans l’Union”. Un titre orienté puisque c’est un débat d’actualité. Cela signifie que c’est un groupe politique qui a proposé le thème du débat. Chaque groupe politique a le droit de proposer un thème d’actualité de son choix par an pour au moins un de ces débats. La Conférence des présidents veille à ce que, sur une période continue de douze mois, chaque groupe politique ait exercé équitablement ce droit.
Et aujourd’hui, c’est le S&D (alliance progressiste des socialistes et démocrates au Parlement européen, gauche à centre gauche), qui a proposé ce sujet, ce qui explique l’orientation du sujet. Pour ouvrir le débat, René Repasi, membre du groupe, est d’abord revenu sur ce qui a inspiré ce thème. Le 29 janvier dernier, en Allemagne, la CDU-CSU (parti de droite) et l’AfD (extrême-droite) ont tous les deux votés une motion visant à refuser l’entrée des étrangers sans papiers dans le pays : “La prévisibilité de la politique est jetée aux orties lorsque le président de la CDU annonce d’abord qu’il ne doit y avoir « pas une seule fois une majorité accidentelle ou délibérément provoquée avec ceux de l’AfD » au Parlement, et deux mois plus tard, tout cela est devenu caduc. [...] Pour la première fois depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale !” Il a ensuite terminé son intervention en expliquant le problème : “Je critique le fait que les conservateurs, en jouant avec le feu, renoncent à chercher des solutions politiques communes avec les démocrates. Par cela, ils nuisent au marché unique, sapent la sécurité de la planification et rendent les décisions politiques imprévisibles. La compétitivité perd ainsi ses bases”.
D’un côté, la droite contre-attaque
Avec un tel sujet et l’intervention de Repasi , le Parlement ne pouvait pas être uni comme lorsqu’il s’agissait de venir en aide aux régions frontalières de l’Ukraine et de la Russie. Ici, nous avions affaire à un Parlement qui nous était plus familier, un Parlement divisé. D’un côté ceux qui se sont senti attaqués avec la tenue de ce débat et l’intervention de M. Repasi : le PPE (Parti populaire européen, centre droit à droite) et le PfE (patriotes pour l’Europe, droite nationaliste à extrême droite) , l’ENS (l’Europe des nations souveraines, extrême droite) et le CRE (conservateurs et réformistes européens, droite conservatrice à extrême droite).
Ces derniers ont décidé de renverser le problème, à l’image de Jean-Paul Garraud du PfE qui a évoqué le nucléaire : “Dans son rapport, Mario Draghi lui-même, qui n’est pas d’extrême droite, je crois, a tiré la sonnette d’alarme : la compétitivité de l’Union européenne est en chute libre. Pourtant, qui gouverne l’Union européenne depuis des décennies ? Ce ne sont pas les partis patriotes, ce sont les partis de gauche, les sociaux-démocrates, les centristes, les écologistes, qui ont mené des politiques délétères [...] Un exemple flagrant de cet aveuglement idéologique : le nucléaire. [...] Le rapport Draghi l’a clairement souligné : sans énergie abordable et souveraine, il est impossible de rester compétitif. Or, qui attaque sans relâche le nucléaire, pourtant indispensable à notre indépendance énergétique et à la réindustrialisation de l’Europe ? La gauche et les écologistes”.
Stefan Berger du PPE n’hésitait pas non plus à rejeter la faute sur les partis de gauche : “ En Europe, le SPD (parti allemand de gauche) et les Verts ont adopté et promu des lois – comme la loi sur la chaîne d’approvisionnement, le règlement sur la déforestation, l’interdiction des moteurs à combustion – et ce sont des freins massifs à la prospérité. Leur politique conduit les gens à s’inquiéter et le flanc politique de droite s’est doublé en Allemagne, entre autres, sous un chancelier fédéral du SPD (Olaf Scholz).”
Daniel Casmary du même groupe a tenu à rappeler que la gauche aussi a déjà coopéré avec l’extrême droite en Allemagne : “Monsieur Repasi, il y a eu près de 50 cas de majorités rouge-rouge-vert (SPD, gauche radicale Die Linke et les Verts) avec l’AfD”, et dans notre pays : “en novembre dernier : j’étais invité à l’Assemblée nationale française lorsque les sociaux-démocrates et les écologistes se sont alliés avec Le Pen et le leader de gauche Mélenchon pour évincer le Premier ministre Barnier, rapprochant ainsi la France du chaos politique”.
De l’autre côté, la gauche ne se laisse pas défaire
De l’autre côté du ring, les partis de gauche : GUE/ NGL (Groupe de la Gauche au Parlement européen (gauche à extrême gauche), les Verts/ ALE (gauche à centre gauche), S&D, mais aussi le parti centriste, Renew (centre gauche à centre droit). Alessandra Moretti de S&D a attaqué la droite en général, sans distinction : “les droites européennes ne se cachent plus. Il y a quelques années, ils adulaient Poutine, qui a ensuite ramené la guerre en Europe, provoquant une crise mondiale que nous payons encore aujourd’hui. Maintenant, ils humilient nos pays en applaudissant Trump, qui s’apprête à frapper notre système de production, nos entreprises et nos travailleurs avec des droits de douane sans précédent, qui coûteront des emplois et feront grimper les prix des produits.”
Anna Stürgkh de Renew appelait ses collègues du PPE à ne pas coopérer avec ceux se situant plus à droite : “Permettez-moi, en tant qu’Autrichienne (pays où l’extrême-droite est arrivé en tête et où les conservateurs ont ouvert des négociations avec eux), de souligner qu’une collaboration avec l’extrême droite ne fait pas avancer l’Europe. [...] Cela ne fonctionne pas. Chères collègues du Parti populaire ! Ouvrez les yeux !”
Jussi Saramo de GUE/ NGL a pris un cas concret, celui de son pays : “ mon pays, la Finlande, est un bon exemple des ravages causés par la collaboration entre les conservateurs et l’extrême droite. En 2022, l’emploi était à un niveau record, les entreprises s’apprêtaient à réaliser des investissements historiques dans l’industrie verte et le déficit public avait été réduit à 0,2 %, soit le meilleur résultat depuis la crise financière. Mais depuis l’arrivée en 2023 d’une coalition de droite alliée à l’extrême droite, [...] La Finlande est tombée au bas du classement européen. Le chômage explose, entraînant avec lui une hausse dramatique de la dette publique.”
Pour terminer la séance, Stéphane Séjourné, Vice-président de la Commission chargé de la stratégie industrielle et ancien ministre des affaires étrangères sous le gouvernement Attal, a parlé de compétitivité, en évitant soigneusement d’attaquer qui que ce soit : “La Commission en restera donc à un certain nombre d’enseignements que nous pouvons tirer collectivement, dans ce débat qui est fondamental, qui est un débat sur la compétitivité [...] Je me lancerai quand même sur un ou deux points d’enseignements qui nous rassemblent, au-delà des différences et des divergences qui sont réelles entre les groupes politiques. Nous voulons tous que l’Europe reste un continent avec une industrie, de l’innovation, des emplois de qualité“.
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