Le mariage est généralement l’un des plus beaux jours de la vie d’un individu, mais pour le professeur de droit Jakub Urbanik, c’est devenu un combat en faveur de la légalité et la justice. En 2014, il décide, avec son compagnon espagnol, de se marier en Espagne. Les couples désireux de s’unir au sein de l’Union européenne ont comme seule obligation de présenter pour chacun des partenaires un certificat de célibat. Quand Jakub Urbanik a tenté d’obtenir les documents requis auprès de l’état polonais, sa simple requête lui a été refusée, ce qui va à l’encontre des législations européennes. Le mariage homosexuel n’est pas officiellement reconnu en Pologne, et l’hostilité de ce pays envers les membres de la communauté LGBTQ est de plus en plus palpable.
Cette animosité grandissante peut trouver son origine chez un parti actuellement majoritaire au Parlement polonais : Prawo i Sprawiedliwość, ou PiS, qui signifie « Droit et Justice ». L’ironie de ce nom saute aux yeux quand on tient compte de la tendance du parti à prendre pour cible les minorités. La nouvelle en date : les minorités sexuelles. Pendant des mois, le PiS n’a cessé de répéter à ses électeurs que soutenir la communauté LGBTQ allait à l’encontre des valeurs polonaises orthodoxes. Le parti affirme, de concert avec l’Église catholique de Pologne, que les Polonais sont des catholiques dévots et hétérosexuels se mariant dans le respect des traditions. Sortir des sentiers battus est vu comme une abomination.
Pour suivre son résonnement, le PiS désire proscrire l’éducation sexuelle pour les mineurs. Si cette volonté devenait réalité dans les écoles, des générations d’enfants grandiraient dans une ignorance forcée par l’État concernant la santé sexuelle, les difficultés liées à la découverte d’une orientation sexuelle différente, et l’identité de genre. La capacité de l’État à instaurer cette ignorance provient d’un système politique qui effrite petit à petit les piliers de sa démocratie. L’un de ces piliers n’est autre qu’un système judiciaire solide qui protège les minorités du despotisme politique. Malheureusement, la Commission européenne a déclaré en décembre 2017 que dans le cas de la Pologne, les réformes juridiques appliquées dans le pays démontraient effectivement le contrôle politique du parti au pouvoir sur le système judiciaire.
Ce n’est d’ailleurs pas le seul pilier en rénovation. Les médias, de tout temps complices et détracteurs des régimes populistes, se voient de plus en plus influencés par les politiques en place. La distribution par le journal Gazeta Polska d’autocollants « zone sans LGBT », montrant le drapeau arc-en-ciel barré d’une croix, est un exemple récent de soutien au PiS. Le journal s’est ensuite vu interdire la distribution de ces autocollants par un tribunal polonais. En considérant l’emprise politique croissante sur la justice, il est normal de se demander combien de temps durera l’opposition du système judiciaire face aux hommes politiques du gouvernement actuel.
Bien que l’indignation ait été grande face à l’agressivité envers les minorités sexuelles, que ce soit à l’intérieur ou à l’extérieur du pays, l’administration polonaise n’en est pas à son coup d’essai en ce qui concerne les actions prises à l’encontre des minorités. Autres cibles pointées du doigt par le gouvernement actuel : les réfugiés. En 2015, lors de la crise des réfugiés en Europe, le dirigeant du PiS, Jarosław Kaczyński, a affirmé que la Pologne ne pouvait accepter aucun réfugié sous peine de faire entrer les maladies et les parasites sur son sol. Cette campagne à l’encontre des migrants est un « non » assumé en opposition aux plans de l’Union européenne pour la répartition des réfugiés et des immigrants entre ses membres.
D’un point de vue européen, la Pologne n’est pas le premier pays de l’Union à agir de la sorte envers les minorités. La Hongrie, sous le gouvernement du Premier ministre Viktor Orbán, a tout autant eu tendance à les persécuter. À l’instar de la Pologne, c’est l’affaiblissement du système judiciaire et de la presse qui a permis la transformation de la propagande en exclusion effective. Par le biais de méthodes politiques similaires à celles de Donald Trump et de ses partisans, le parti Fidesz de Viktor Orbán n’a pas seulement diabolisé les réfugiés en les présentant comme des terroristes, mais a également refusé l’entrée aux réfugiés de guerre. L’autre point commun entre le Fidesz et les États-Unis est l’hostilité envers des minorités propres au pays, telles que les Roms de Hongrie ou les juifs.
Ce n’est que récemment qu’un tribunal a statué sur l’illégalité de la ségrégation des enfants roms dans les écoles de l’est de la Hongrie, imposant au gouvernement des compensations financières. À ce jour, l’administration hongroise refuse toujours de prendre ses responsabilités envers ces enfants victimes de racisme. Cette décision est lourde de conséquences ; l’extrême droite s’est sentie encouragée dans ses idées racistes, fascistes et homophobes, lui permettant d’agir en conséquence. Cette motivation se reflète notamment dans une attaque perpétrée contre une maison de quartier juive à Budapest, en octobre 2019. Menée par les ultranationalistes du groupe Legio Hungaria, ces derniers ont arraché et brûlé le drapeau arc-en-ciel, et couvert le bâtiment de slogans néofascistes. Cet incident est le dernier d’une série d’attentats de l’extrême droite visant la maison de quartier, foyer non seulement pour la jeunesse juive, mais également pour les membres de la communauté LGBTQ, les Roms et les réfugiés.
S’attaquer à l’altérité est symptomatique des sociétés façonnées par la rhétorique nationaliste et alarmiste. « Nous valons mieux que les autres » est la réponse des démagogues qui ont peur de perdre face aux autres groupes inclus dans la pluralité de la démocratie. La peur et la recherche de bouc-émissaires les empêchent de voir la beauté qu’on trouve dans la diversité, ainsi que la pierre apportée par chacun à l’édifice d’un sentiment d’unité, plutôt qu’un sentiment d’isolation. Cette unité, l’Union européenne peut la nourrir, et il est de son devoir de relever ce défi, malgré l’opposition.
L’Union européenne a d’ailleurs été étonnement avare en discours ou en actions à la suite de ces polémiques. Dans le cas du professeur de droit Jakob Urbanik, elle a encore la possibilité d’agir. Après avoir épuisé toutes les ressources juridiques dans son propre pays, il a fait appel devant la Cour européenne des droits de l’homme. Face à l’adversité, la diversité a encore un espoir de victoire.
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