Avec la guerre en Ukraine et la crise climatique, nous ne sommes plus à la croisée des chemins. Un consensus émerge peu à peu pour donner à l’Europe les moyens d’une ambition que chaque État ne peut atteindre seul. Mais la route, démocratique, est encore longue. Tous les États membres ne sont bien entendu pas sur la même longueur d’onde en matière d’intégration comme en témoignent les débats au Conseil.
La question du budget et des ressources de l’Union sera centrale
C’est le nerf de la guerre. C’est ce qui donne les moyens et l’autonomie pour mener des politiques efficaces au service des citoyennes et des citoyens. Alors qu’au début des années 2000 moins de la moitié du budget de l’Union européenne était alimenté directement par les États membres, c’est pourtant aujourd’hui au moins trois-quarts des recettes de l’Union qui dépendent directement des contributions nationales. Afin de financer le plan de relance européen et la transition écologique, l’Union a décidé du principe de se doter de nouvelles et véritables ressources fiscales propres. Mais les fédéralistes devront être particulièrement vigilants à leur mise en œuvre en 2023.
Taxe sur le plastique non recyclé, taxe carbone aux frontières, ou extension du marché européen du carbone, sont basées principalement sur des reversements des États membres vers l’Union. Si l’on ne peut qu’approuver le principe de ces taxes, l’autonomie fiscale de l’Union continue d’être introuvable, et le lien direct avec les Européens et les Européennes continue d’être très peu visible. La Commission envisage, d’ici la fin 2023, de présenter un « deuxième panier de nouvelles ressources propres ». La taxe sur les transactions financières, ou celle sur les supers profits des fournisseurs d’énergie risquent également d’être à l’ordre du jour du débat européen. Mais le blocage actuel de l’adoption par l’Union de l’impôt mondial sur les multinationales dû au véto d’un seul État membre, la Hongrie, montre que le système institutionnel est en lui-même vicié et autoalimente un sentiment d’impuissance et donc de défiance des citoyennes et des citoyens.
Ce sentiment est renforcé par la totale absence d’un véritable espace public dans lequel pourrait se dérouler le débat politique au niveau européen. Le discours sur l’état de l’Union du 14 septembre a de nouveau démontré que les médias nationaux ont de fait le quasi-monopole sur le cadrage de l’actualité européenne. Ils n’ont ainsi que très peu relaté ce moment pourtant important pour les 450 millions de citoyennes et citoyens de l’Union européenne.
Cette myopie nationale des débats européens doit être corrigée rapidement
Le risque est de porter un coup fatal à l’indispensable construction européenne, alors que déjà en 2024 se profilent de nouvelles élections européennes. Une dizaine d’élections nationales sont en effet prévues en 2023 en Europe, comme autant d’occasions d’accuser Bruxelles, et Strasbourg, de tous les maux dans chaque État membre, sans que l’Union ne puisse répondre, tout en profitant des libertés, du marché intérieur et de la solidarité européennes.
C’est, je le crois, un véritable chantier à ouvrir pour les fédéralistes, sans doute moins institutionnel que les sujets qui passionnent traditionnellement notre mouvement. Il est pourtant une condition préalable à l’émergence d’une véritable conscience européenne partagée et de véritables débats politiques à la bonne échelle. À l’exemple de nombreuses fédérations existantes dans le monde, il s’agit de réunir les conditions permettant l’émergence de réseaux médiatiques transnationaux, plutôt que de créer ex nihilo de nouveaux médias européens qui peineront à trouver une audience au-delà des quelques europhiles convaincus. Les médias nationaux existants pourraient ainsi s’affilier à ces réseaux, bénéficiant de journaux d’information et de programmes nativement européens, tout en conservant majoritairement leur programmation nationale.
Le fédéralisme n’est plus un tabou
Les citoyennes et les citoyens ont par ailleurs désormais beaucoup moins d’hésitations que leurs dirigeants à avancer dans la voie d’une intégration européenne toujours plus étroite. Au niveau européen, ils sont plus de 80% à souhaiter une véritable diplomatie et une politique de défense et de sécurité communes, et en France, le « F Word » n’est plus tabou puisque près de 6 français sur 10 sont d’accord pour avancer vers une Europe fédérale.
Mais le fédéralisme c’est aussi une question d’équilibre des pouvoirs pour garantir le caractère démocratique et pacifique des relations entre les peuples. Il ne s’agit pas d’opposer le mécano institutionnel, l’attribution des compétences à chaque étage, et les valeurs fédéralistes. Les deux sont intimement liés comme les deux faces d’une même pièce. C’est parce que les prérogatives de la puissance publique ne sont pas toutes concentrées dans les mêmes mains que les conditions de la démocratie et de la paix peuvent être réunies. Et cela est valable aussi bien au plan régional et local, qu’au plan international.
Le fédéralisme n’est pas qu’un projet pour l’Europe
La plupart des traités internationaux ne fonctionnent pas, l’Ukraine en fait actuellement les frais et la cruelle expérience. C’est une conséquence de la vision dite « réaliste » qui domine les relations internationales. Il nous appartient de faire bouger les lignes. Les débats sur l’évidente et nécessaire réforme des Nations Unies ont été reportés à 2024. Les fédéralistes devront être sur le pont pour défendre une vision démocratique des institutions internationales incluant directement les citoyennes et les citoyens dans la prise de décision. Car le réalisme, au sens commun, c’est bien de considérer que ce sont d’abord les peuples qui sont les victimes des affrontements entre les États, et qu’il appartient donc aux peuples de fixer des règles rendant matériellement impossible ces tragédies. Et c’est bien l’Europe qui peut porter ces valeurs à New-York.
Vivons-nous actuellement un « moment fédéral » ? Un observateur américain, pas encore états-unien, des années 1780, pourrait le penser. La première confédération américaine était fragilisée par le manque de revenus, car elle ne pouvait pas lever l’impôt et dépendait des contributions des États membres, dans le contexte de la guerre d’indépendance et de ses conséquences économiques. Quelques années plus tard la constitution américaine était adoptée et naissaient les États-Unis d’Amérique, dont l’empreinte sur l’histoire, parfois contestable, n’est plus à démontrer. Est-ce le tour des États-Unis d’Europe chers à Hugo ? La bataille du budget et des ressources réellement propres de l’Union européenne en 2023 sera déterminante pour le savoir.
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