Deux hirondelles vont-elles faire un printemps ?

Sigmar Gabriel et Emmanuel Macron s’accordent-ils sur une même vision d’une union renforcée ?

, par Dominique Thaury, François Mennerat

Deux hirondelles vont-elles faire un printemps ?
Sigmar Gabriel, grande figure du SPD, à présent ministre de l’Economie en Allemagne, a visité à plusieurs reprises l’hôtel de la rue de Solférino, siège du Parti socialiste. - Parti socialiste

Chacun à son tour, Sigmar Gabriel le 29 mai, puis Emmanuel Macron le 31, viennent de prononcer des paroles fortes qui expriment leur vision de l’avenir de l’Union européenne : un même regard porté vers une union économique et monétaire intégrée ?

L’avenir de l’Europe recommencerait-il à intéresser le gouvernement français ? Le 29 mai, tandis que la chancelière rend visite à David Cameron, Sigmar Gabriel, vice-chancelier de la République fédérale d’Allemagne et ministre de l’économie et de l’énergie, publie dans la Bild Zeitung une tribune dans laquelle il écrit « Nous avons, en Europe, besoin de plus de courage pour avancer à différentes vitesses dans la coopération ».

Cet appel, qui répète ceux que des dirigeants allemands avaient déjà lancés depuis des années, ouvre un nouvel espoir aux fédéralistes adeptes d’une avant-garde européenne.

De quoi parle-t-on ? De la création d’un groupe d’avant-garde qui pourrait s’intégrer plus profondément pour ouvrir aux autres pays de l’Union la voie de cette Europe « unie dans la diversité » évoquée par Robert Schuman dans de sa déclaration du Salon de l’Horloge.

À ces appels venus d’Allemagne, les gouvernements français avaient répondu jusqu’à présent par le silence, par des moues frileuses ou, au mieux, par des contre-propositions sans grand intérêt.

Mais, ce 31 mai, divine surprise ! S’exprimant « à titre personnel », un ministre français répond, en quelque sorte, à Sigmar Gabriel. Et ce ministre n’est pas des moindres, c’est Emmanuel Macron, lui aussi ministre de l’économie, « vedette » du gouvernement Valls.

« L’avant-garde de la zone euro doit aller vers plus de solidarité et d’intégration », cette intégration doit passer par « un budget commun, une capacité d’endettement commune et une convergence fiscale » déclare-t-il dans une interview au Journal du Dimanche, proposant aussi une harmonisation des régimes sociaux et la création d’une assurance-chômage commune. « Il faut accepter l’idée que l’Europe se fasse à deux vitesses, qu’il y ait une union solidaire et différenciée. Il y a une histoire à 28 et une histoire à 19 », faisant allusion aux vingt-huit de l’Union européenne et aux dix-neuf de l’Union économique et monétaire, la « zone euro ».

Ces déclarations n’ont sans doute pas été glissées par hasard dans l’interview, à quelques semaines du rapport attendu dit « des 4 présidents », ceux de la Commission, du Conseil, de la BCE et de l’Eurogroupe, au Conseil européen, et pendant la tournée européenne de David Cameron « pour changer l’Europe ». On ne peut qu’applaudir, d’autant qu’Emmanuel Macron ajoute que « l’important, c’est le projet… Il faut d’abord réconcilier les Européens avec l’Europe ».

Attention ! Une hirondelle ne fait pas le printemps et donner un gouvernement politique à la zone euro ne fait pas une Europe fédérale. Mais nous trouverions-nous soudain dans une conjonction d’astres chère aux astrologues ?

Les Allemands et les Français veulent faire avancer l’Union européenne, les Anglais cherchent à la réduire à une zone de libre-échange, les autres pays observent ce qui se passe et s’interrogent. Pourquoi ne pas en profiter pour ré-enchanter l’Europe et la faire avancer une bonne fois, en jouant des intentions des uns et des autres ?

Plusieurs groupes se sont déjà clairement exprimés sur la question d’une avant-garde européenne. Entre autres le Glienicker Gruppe, le groupe Eiffel ou encore le groupe réuni autour de Thomas Piketty et d’Alternatives Économiques. Ils ont évoqué des réformes institutionnelles qui donneraient aux citoyens une meilleure vision de l’Europe, une Europe plus proche d’eux.

Sigmar Gabriel le dit à la fin de sa tribune : « Les tâches qui nous attendent sont si grandes que chaque pays est trop petit pour les surmonter tout seul… Pour cette raison, il est temps pour l’Europe de se réformer ». Emmanuel Macron le dit à sa façon : « On a installé l’idée que l’Europe était un objet mort et technocratique. Notre responsabilité est de retrouver le sens du rêve européen et une idée positive de l’Europe ».

David Cameron n’est pas le seul à vouloir réformer l’Europe. Messieurs les ministres de l’économie, en avant ! Si ce n’est déjà fait, il ne reste qu’à convaincre les chefs de gouvernements. Il faudra du courage et de la détermination.

Car c’est une réalité politique d’aujourd’hui comme d’hier : nous ne partons pas d’une page blanche. L’avènement de l’Europe fédérale démocratique et solidaire dépendra d’abord, aussi longtemps que le Parlement européen ne se rebellera pas contre le Conseil européen au nom des peuples, de décisions que prendront les gouvernements des États membres, ou qu’ils ne prendront pas s’ils restent tétanisés par la peur d’électeurs qu’ils tiennent prudemment à l’écart de tout débat.

Quelques dates, pour mémoire :

  • 1994 : rapport Schäuble – Lamers sur un projet d’intégration France Allemagne.
  • 2000 : discours de Joshka Fischer, vice-chancelier (comme Sigmar Gabriel), sur la relance de l’Union par une avant-garde de pays fédérés, à l’Université Humboldt de Berlin.
  • 2012 : retour de Wolfgang Schäuble sur le sujet, lors de son discours de réception du Prix Charlemagne, faisant suite à de nombreuses autres allusions depuis 2005. La chancelière Angela Merkel elle-même, n’a d’ailleurs pas été en reste tout au long de ses mandats.
Vos commentaires
  • Le 5 juin 2015 à 05:45, par Jacques FAYETTE En réponse à : Deux hirondelles vont-elles faire un printemps ?

    Nos deux ministres seraient plus convaincants s’ils n’avaient pas rejeté dès sa présentation le rapport Pisani-Ferry Enderlein. Votre rappel des différentes propositions allemandes rejetées par la France est bienvenu, il aurait été bien d’ajouter par exemple à la conférence de Jochska Fisher le niet de Hubert Védrine, le lendemain même dans Le Monde ! Les réactions de Balladur...

  • Le 5 juin 2015 à 06:23, par Alain En réponse à : Deux hirondelles vont-elles faire un printemps ?

    Ce n’est pas comme cela que l’on réconciliera les Européen avec le projet européen : il sait très bien que chaque étape de l’intégration s’est concrétisée par une uniformisation vers le bas du social et le passage de l’économie au service du citoyen au citoyen au service de l’économie

  • Le 5 juin 2015 à 10:01, par François MENNERAT En réponse à : Deux hirondelles vont-elles faire un printemps ?

    Au gré de conversations, de lectures ou de l’écoute d’émissions, apparaît le risque d’un grave malentendu. Ce dont il est question, ce n’est pas de la constitution d’un noyau « dur » d’États membres vertueux, écartant des pays légers et fantaisistes. Il ne s’agit pas de re-diviser l’Union européenne. Il ne s’agit pas, comme le suggère M. Jean-Louis Beffa (qui pense que l’Union européenne comprend aujourd’hui 29 membres), de rassembler 6 pays économiquement solides et prometteurs, et d’abandonner les autres.

    On constate aujourd’hui que certains États membres ont plus de difficultés que d’autres à tenir les engagements qu’ils ont souscrits. Cela ne doit pas ralentir la poursuite de « l’union toujours plus étroite des peuples européens ». Ce que préconisent aujourd’hui les fédéralistes européens, c’est la constitution d’une avant-garde. Le rôle des avant-gardes est d’ouvrir des voies, pas de construire des fortins pour bloquer le passage. Proposer, comme le dit aussi ministre de l’économie, une harmonisation des régimes sociaux au sein de cette avant-garde et la création d’une assurance-chômage commune, c’est prendre en compte la vie quotidienne des citoyens européens et vouloir les réconcilier avec l’UE. D’autres pays suivront et, à terme, tous les États membres de l’Union européenne suivront la même route.

    Nous ne devons pas nous laisser abuser par les psycho-drames que nous assènent des media trop influencés par les grilles d’analyse « anglo-saxones » qui n’ont pas encore compris et intégré la véritable nature du projet européen. L’euro n’a pas disparu à la faveur de la crise de 2008. La Grèce ne sera pas exclue de l’union économique et monétaire. Peut-être les Anglais décideront-ils de quitter l’UE (mais pas les Écossais ?) : ce sera leur choix à eux : le projet européen pourrait se poursuivre sans eux, pas sans la Grèce. Nous sommes au pied du mur. N’oublions pas le projet, donnons-nous les moyens de le poursuivre, ne le mettons pas en danger en excluant la Grèce tout en gardant l’Angleterre coûte que coûte. Le projet européen est un projet solidaire.

  • Le 5 juin 2015 à 10:55, par Volpi Rémy En réponse à : Deux hirondelles vont-elles faire un printemps ?

    Bravo à François Mennerat pour cet article qui met les points sur les is. La citation d’Emmanuel Macron est hautement pertinente : « Il faut d’abord réconcilier les Européens avec l’Europe ». Il me semble en effet que c’est là la voie pour faire aboutir la construction européenne, conçue d’emblée par ses pères fondateurs comme fédérale. Et que le bon sens - « l’union fait la force » - impose. Mais le national-souverainisme est cet opium du peuple qui bloque le processus. Toute la question est : que faire pour désintoxiquer l’opinion publique de cette fâcheuse addiction ? Très certainement, ainsi que le disait en son temps (en 1932, texte intitulé « la désintoxication morale de l’Europe ») ce grand européen que fut Stefan Zweig, « en ajoutant toutes les forces de diffusion militante aujourd’hui existantes afin de donner de la visibilité à nos idées pour les masses ». Les convictions de Stefan Zweig étaient que le nationalisme est une folie, une pathologie ; la voie de la raison et du retour à la santé mentale passe par l’unification de l’Europe, seule formule qui permette de relancer le processus de civilisation.

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