Hommage au peuple ukrainien, fermeté face à la Russie
Ainsi, elle commence son discours avec un avertissement à Vladimir Poutine. « Il ne s’agit pas seulement d’une guerre menée par la Russie contre l’Ukraine. Il s’agit d’une guerre contre notre sécurité énergétique, contre notre économie, contre nos valeurs et contre notre avenir. Une guerre de l’autocratie contre la démocratie. Et je me tiens ici, devant vous, animée de la conviction que, grâce à notre courage et notre solidarité, Poutine échouera et l’Europe vaincra », lance la Présidente. La première partie de son discours rend hommage à l’héroïsme du peuple ukrainien. Madame von der Leyen n’est pas économe lorsqu’il s’agit d’éveiller les émotions. Ainsi, elle rappelle qu’au début de la guerre Olena Zelenska avait pris la tête d’une marche de parents dont les enfants avaient accroché des petites cloches dans les arbres, une cloche pour chaque enfant mort. « Désormais, ces clochettes tinteront dans la brise, et les innocentes victimes de cette guerre resteront à jamais dans nos mémoires », a affirmé la Présidente de la Commission.
Son discours ne pouvait commencer autrement, la réaffirmation de la solidarité européenne avec l’Ukraine était obligatoire. Et pourtant, la cheffe de la Commission européenne reste étonnamment vague concernant la poursuite de l’aide à l’Ukraine. Certes, elle annonce un programme de 100 millions d’euros pour la reconstruction des écoles ukrainiennes. Mais à part cela, elle n’annonce pas de mesures concrètes. Tout ce qu’elle promet est « l’accès aisé à notre marché unique » et l’intégration de l’Ukraine dans la zone d’itinérance gratuite de l’UE. Il s’agit là des mesures qui n’aideront certainement pas les soldats ukrainiens qui se battent tous les jours. En revanche, Madame von der Leyen ne fait pas de promesses quant à des nouvelles livraisons d’armes et n’annonce pas de nouvelles sanctions contre la Russie. Elle souligne néanmoins que les sanctions existantes « ne sont pas près d’être levées ».
En prévision d’un hiver compliqué, von der Leyen cherche des solutions
Cette première partie lui permet de rappeler que c’est bien ce conflit aux portes de l’UE qui est à l’origine de la forte inflation et de l’explosion des prix de l’énergie dont souffrent les européens. « Les mois à venir ne seront pas faciles. Que ce soit pour les familles qui peinent à joindre les deux bouts ou pour les entreprises, confrontées à des choix difficiles pour leur avenir », concède la Présidente. Une manière d’anticiper les réactions de certains, qui reprochent à la Commission que les sanctions contre la Russie et ses politiques climatiques seraient à l’origine de la crise énergétique dans laquelle nous nous trouvons. D’où la nécessité de souligner pourquoi il faut tenir face à la Russie. « L’heure est à la détermination, pas à l’apaisement », affirme la Présidente. Enfin, ses aveux sont remarquables : « Nous aurions dû écouter ceux qui connaissent Poutine ». Ursula von der Leyen ne fait pas seulement référence aux journalistes d’investigation russes qui ont payé leur travail de leur vie. Elle vise également l’ignorance des Européens de l’Ouest vis-à-vis des voix en Pologne, dans les pays baltes et dans les autres pays d’Europe centrale et orientale qui avertissaient leurs partenaires européens depuis longtemps des vraies intentions du président russe.
Ursula von der Leyen a aussi profité de ce discours pour contrecarrer l’impression que la Commission aurait oublié la détresse de nombreux citoyens européens qui ne savent plus comment payer leurs factures. Après de longues semaines de négociations au sein de la Commission, la Présidente a annoncé une taxe sur les superprofits des entreprises qui profitent de la crise énergétique. Ces bénéfices extraordinaires doivent être redistribués aux citoyens précaires afin qu’ils puissent faire face à la flambée des prix d’énergie. Selon les mots de la Présidente, cette taxe pourrait rapporter quelque 140 milliards d’euros aux États membres. Bien qu’il s’agisse, ici, de l’une des rares annonces concrètes de son discours, la mise en œuvre de cette proposition est loin d’être assurée. En effet, il reviendra aux États membres de décider sous quelle forme ils taxeront les superprofits et comment ils procéderont à leur redistribution. Par ailleurs, Ursula von der Leyen a promis une réforme profonde du marché d’électricité pour découpler le prix de gaz du prix de l’électricité. Elle n’a cependant donné aucune précision sur la manière dont cela doit être réalisé concrètement.
Un discours optimiste pour cacher les fissures au sein de l’Union
Son discours est en grande partie un vœu pieux. Si l’on devait trouver un leitmotiv dans ses mots, ce serait certainement la solidarité des européens. Dans un contexte où l’unité des pays européens se fissure, ses répétitions du mot “solidarité” apparaissent comme une tentative désespérée de retrouver la détermination que les États membres avaient affichée au début de la guerre. Les exemples de cette désunion sont nombreux : la République tchèque et la Slovaquie refusent l’idée d’un plafonnement des prix du gaz à cause de leur forte dépendance au gaz russe. En Allemagne, le ministre de l’économie s’accroche fermement à la sortie du nucléaire alors que l’UE aura besoin du moindre kilowatt-heure d’électricité pendant l’hiver. Sans oublier le président français s’oppose à la construction d’un gazoduc dans les Pyrénées, souhaitée par les Espagnols, les Portugais et les Allemands. Maintenir l’unité des États membres durant l’hiver sera alors le grand défi pour la Présidente de la Commission.
Changement climatique : s’adapter au lieu de lutter contre les causes
En ce qui concerne la politique climatique, son discours manque cruellement d’ambitions, surtout en comparaison de ses deux discours précédents. Face à l’invasion russe en Ukraine, Ursula von der Leyen semble malheureusement avoir succombé à la tentation de considérer la lutte contre le changement climatique comme secondaire. Au lieu de faire des propositions concrètes pour éradiquer les causes du réchauffement climatique, elle mise désormais sur l’adaptation aux conséquences de ce dernier. Cela équivaut à une capitulation.
Quelques jours avant son discours, des climatologues avaient alerté la communauté mondiale sur le fait que nous nous dirigions inexorablement vers un point de non-retour où la crise climatique se transformera en séries de cataclysmes. Selon les scientifiques, le réchauffement de 1,5°C sera déjà atteint en 2030. Madame von der Leyen, elle, ne fait même pas référence à ce rapport et se contente de citer l’exemple du Danemark qui a tiré les bonnes conclusions de la crise énergétique des années 1970 en investissant massivement dans les éoliennes. Selon elle, l’UE devrait faire pareil et subventionner la montée en puissance de l’hydrogène vert. La Présidente de la Commission propose ainsi de créer une banque européenne d’hydrogène qui doit permettre des investissements de près de trois milliards d’euros.
Cela ferait presque oublier d’autres choix de la Commission en termes d’environnement. L’institution a sensiblement réduit les moyens financiers de plusieurs programmes agricoles et environnementaux pour financer la stratégie « RePowerEU » qui comporte de nombreux investissements dans les énergies fossiles afin de diversifier les sources d’approvisionnement en gaz. Pire encore, la seule réponse qui lui vient à l’esprit pour faire face à la sécheresse record et à la multiplication des feux de forêts est l’achat par l’UE de dix canadairs et trois hélicoptères. Pas un mot sur une sylviculture plus durable, sur une meilleure protection des sols ou encore sur une amélioration de la résilience des nappes phréatiques. Dans ce contexte, il n’est pas sérieux qu’elle mentionne dans son discours que l’UE veut défendre des objectifs ambitieux lors de la COP27.
Défense de la démocratie à l’étranger, réticence à protéger les valeurs européennes à l’intérieur
Sans surprise, Ursula von der Leyen a également poursuivi sa stratégie clémente vis-à-vis des États membres qui ne respectent pas l’État de droit. Tandis qu’elle consacre une longue partie de son discours à la défense de la démocratie face à des autocraties étrangères, elle ne mentionne guère le non-respect des principes démocratiques au sein de l’Union européenne. Elle a, certes, raison quand elle dit que « nos valeurs libérales sont attaquées par les missiles russes ». Toutefois, elle n’est pas à la hauteur des enjeux au sein de l’UE quand elle s’étend sur les « acteurs étrangers » qui « répandent la désinformation » en Europe et qu’elle ne trouve pas la force d’aborder clairement les violations d’État de droit en Hongrie et en Pologne. Elle contourne le sujet en promettant que le mécanisme de conditionnalité sera prochainement activé. Or, en réalité, il est peu probable que la Commission finisse vraiment par appliquer cet instrument pour geler des paiements de fonds européens à la Hongrie et à la Pologne, même si elle a recommandé cette mesure, ce dimanche, aux États membres. Pour que le mécanisme de conditionnalité soit activé, une majorité au Conseil représentant au moins 65% de la population européenne est requise. Suite à une victoire probable des néo-fascistes en Italie le week-end prochain, une majorité en faveur des sanctions n’est plus assurée. Madame von der Leyen ne risque donc pas grand-chose en activant ce mécanisme.
Enfin, d’un point de vue fédéraliste, ce 22ème discours sur l’État de l’Union laisse également à désirer : contrairement à ses promesses en mai dernier de présenter une piste concrète pour transformer les propositions de la Conférence sur l’avenir de l’Europe en textes législatifs, Madame von der Leyen a consacré très peu de temps à cet exercice de participation citoyenne. Les seules promesses qui émanent de son discours sont l’instauration de panels de citoyens comme « composante permanente de notre vie démocratique » et la proposition d’une initiative sur la santé mentale. Comme le Président français, la Présidente de la Commission propose également la convocation d’une Convention européenne pour réformer l’Union européenne. Néanmoins, certains États membres refusent pour l’instant une telle convention et il sera donc crucial de les convaincre de la nécessité d’un renouvellement des institutions.
En fin de compte, le discours pathétique d’Ursula von der Leyen manquait d’ambition et de fond. Il était aussi une expression de son inquiétude concernant l’unité des pays européens dans la perspective d’un hiver très compliqué. Ce discours qui est censé être le moment fort de l’année politique européenne n’était malheureusement pas une heure de gloire, ce qui se reflétait aussi dans les maigres applaudissements des eurodéputés. « On dit que la lumière brille plus fort dans l’obscurité », disait la Présidente à la fin de son discours. En vue des conflits sociaux et des confrontations qui s’annoncent dans les mois à venir, on peut espérer que Madame von der Leyen ait raison et que la lumière l’emporte. L’Europe a en effet besoin d’un hiver de solidarité, pas d’un hiver de colère.
1. Le 25 septembre 2022 à 19:20, par CAMBIANICA En réponse à : Discours sur l’état de l’Union : von der Leyen dans le flou
UVDL en jaune et bleu... si mon écran d’ordinateur est correct, ce sont les couleurs de l’Europe même si on peut concéder un clin d’oeil à l’Ukraine malgré que le bleu de son chemisier soit bien plus sombre...
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