C’est au bureau d’information du Parlement européen à Paris qu’a eu lieu la conférence avec Hashim Thaçi, en présence notamment de l’ancien ministre des affaires étrangères français, Bernard Kouchner. La salle est pleine à craquer, signe que malgré sa petite taille, le Kosovo fascine, tout autant par son passé sanglant que par son avenir plus qu’incertain.
Le Président Hashim Thaçi a un passé aussi mouvementé que son jeune pays : jeune militant nationaliste albanais à l’époque de la Yougoslavie et de la Serbie de Slobodan Milošević. Il participe à la fondation de l’Ushtria Çlirimtare e Kosovës (Armée de libération du Kosovo, UÇK), l’émanation violente de la résistance contre la Serbie. Ce groupe paramilitaire est responsable de nombreux assassinats et d’attaques contre des Serbophones ou des Albanophones pro-serbes. Hashim Thaçi est personnellement accusé d’avoir ordonné des assassinats contre ses opposants politiques, mais également des trafics d’organes prélevés sur des prisonniers serbes et roms (selon un rapport plusieurs fois contesté de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe). Hashim Thaçi a également été plusieurs fois inquiété par la justice internationale, notamment par le tribunal spécial à La Haye, chargé de juger les crimes de la guérilla kosovare dont il fut l’un des commandants les plus hauts placés.
C’est pourtant en Homme d’État modéré et respecté que Hashim Thaçi est aujourd’hui connu. Élu Premier Ministre du Kosovo en 2007, il déclare unilatéralement l’indépendance de la province serbe en février 2008. En 2016, il est élu Président de la République du Kosovo à l’issue d’un vote très tendu avec l’opposition.
Vers une normalisation des relations avec la Serbie ?
Le discours du Président Thaçi est très largement axé autour des négociations entre le Kosovo et la Serbie. Des pourparlers, sous la pression de l’Union européenne (UE), avaient débouché à un premier accord de normalisation entre Belgrade et Prishtina en 2013. Un autre accord, qualifié à l’époque « d’historique » avait été conclu en août 2015, toujours sous l’égide de l’UE. Les relations se sont pourtant nettement refroidies depuis deux ans, et l’assassinat du leader serbe du Kosovo Oliver Ivanović en janvier dernier n’a certainement pas arrangé la situation.
Hashim Thaçi est pourtant optimiste quant à l’issue des discussions : il croit toujours en la conclusion prochaine d’un accord avec Belgrade. Les négociations ont en effet repris cette année, malgré l’extrême fragilité du dialogue. Certains observateurs internationaux doutent même de la volonté des deux camps à véritablement avancer. Les deux pays ont pourtant plus que besoin de cet accord : l’UE a imposé cette condition pour une candidature de la Serbie. Le Kosovo a besoin de reconnaissance pour engager son développement régional. La Serbie peut-elle seulement reconnaître l’indépendance du Kosovo ? Ce dernier est en effet considéré comme le berceau de la nation serbe au Moyen-Âge. De plus, reconnaître cette indépendance pourrait inciter les séparatistes de Voïvodine, la riche province nord de la Serbie, peuplée d’une importante minorité hongroise. Une solution pour la Serbie serait de reconnaître « l’existence » du Kosovo mais pas son indépendance. Quelles conséquences cela aurait-il quand le Kosovo présentera sa candidature à l’UE ?
Pour Hashim Thaçi, malgré le passé historique sanglant entre les deux nations, il n’y a plus de temps à perdre pour conclure la paix et la réconciliation durable. Le Président serbe Aleksandar Vučić et lui pensent qu’un accord légalement contraignant est nécessaire. Un modèle d’accord serait peut-être le Traité Fondamental en 1972 entre la République Fédérale d’Allemagne et la République Démocratique d’Allemagne, même si l’objectif final des deux parties de l’Allemagne était la réunification, au contraire de ce que veut le Kosovo.
L’accord avec le Monténégro a montré que des négociations pacifiques pouvaient aboutir sur des choses concrètes. Signé en 2015 mais ratifié seulement cette année, cet accord est qualifié par d’aucuns comme un renoncement pour Prishtina, tant les modifications de frontières convenues sont favorables à Podgorica (80 km² de territoire vont en effet être cédés au Monténégro). La ratification kosovare était pourtant nécessaire pour obtenir une libéralisation des visas pour l’UE (qui n’a toujours pas eu lieu à ce jour).
Il est permis de douter de la durabilité du Kosovo
Comme si les relations extérieures n’étaient pas si compliquées, les défis internes au Kosovo semblent difficilement surmontables. Le Kosovo est en effet sous tutelle internationale depuis 1999, d’abord sous l’égide de l’ONU via la MINUK (mission des Nations Unies au Kosovo) puis à partir de 2008 de l’UE via l’EULEX Kosovo (mission « état de droit » de l’Union européenne au Kosovo), mise en place entre autres par Bernard Kouchner quand la France assurait la présidence tournante du Conseil de l’UE. Cette mission s’occupe des questions régaliennes de la justice, de la police et des douanes. Malgré de nombreux soupçons de corruption et d’inefficacité, Hashim Thaçi souligne les effets très positifs de cette mission pour le Kosovo. La question la plus importante est pourtant éludée : Qu’adviendra-t-il de l’administration kosovare une fois que l’EULEX Kosovo sera terminée ? Le mandat de la mission européenne a été plusieurs fois prolongé (en 2012, 2014, 2016 et la dernière fois le 14 juin 2018), ce qui laisse penser que la fragilité de l’administration kosovare reste manifeste.
L’EULEX Kosovo a ainsi été prolongée jusqu’en juin 2020, avec toutefois un mandat réduit et recentré sur les activités d’accompagnement et d’encouragement du dialogue avec la Serbie. A son expiration probable dans deux ans, pourra-t-on dire « mission accomplie » ? Beaucoup en doutent. Les dysfonctionnements internes sont pointés du doigt autant que les faibles avancées du Kosovo dans la lutte contre la corruption et le crime organisé. La Commission européenne a même pointé ces faiblesses dans un rapport en avril 2018. Sans tutelle internationale pourtant, le Kosovo peut-il survivre ? La perfusion « à la bosniaque » n’est-elle pas la seule solution réaliste actuellement ?
La question très délicate des Serbes du Kosovo
La gouvernance fragile du Kosovo est aggravée par la situation ethnique du pays. Le petit État de 10000 km² est en effet une mosaïque culturelle. Outre la majorité albanophone, une importante minorité serbe, surtout située dans le Nord, représente presque 10% de la population du pays. La ville de Mitrovica cristallise les tensions entre ces deux communautés. C’est dans cette ville qu’Oliver Ivanović a été assassiné par balles, une ville symbole de la division profonde entre les communautés, « Mitrovicë » pour les Albanais, « Kosovska Mitrovica » pour les Serbes. L’UE fait pression pour qu’un accord entre Belgrade et Prishtina intègre des avancées sur Mitrovica.
L’arrestation puis l’expulsion du négociateur en chef serbe Marko Djuric en mars 2018 a de plus provoqué le départ des Serbes du gouvernement de Ramush Haradinaj, le Premier Ministre de Hashim Thaçi [8]. Cette décision a fragilisé le gouvernement kosovar et a compromis un peu plus la difficile réconciliation des communautés.
L’héritage pesant de la guerre du Kosovo
Les tensions ethniques au Kosovo restent marquées par la guerre du Kosovo entre 1998 et 1999. A l’époque, Hashim Thaçi était le dirigeant du Parti démocratique du Kosovo (PDK), l’aile politique de l’UÇK (Armée de libération du Kosovo) et a négocié à ce titre le traité de Rambouillet. La guerre a causé la mort d’environ 1200 Kosovars et de 5000 à 10000 Serbes. Des exactions terribles ont été commises de chaque côté et l’intervention de l’OTAN au côté du Kosovo a scellé le sort de la guerre au bénéfice de Prishtina. Vingt ans plus tard, la réconciliation n’a pas eu lieu entre les populations, une certaine résignation s’est installée chez les Kosovars qui n’attendent pas grand-chose du nouveau tribunal international de droit kosovar de La Haye, censé juger les criminels de cette guerre. Hashim Thaçi fait néanmoins allusion à ce tribunal en soulignant la nécessité de connaître la vérité et de faire toute la justice sur ce qui s’est passé (même si de très lourds soupçons pèsent sur lui).
L’intégration euro-atlantique : dernière utopie réaliste ?
Confronté à des défis comme le manque de reconnaissance internationale, le règlement de la situation avec la Serbie, une gouvernance plus que fragile et des tensions ethniques aiguës, comment le Kosovo peut-il se projeter dans l’avenir ? Alors que les négociations d’adhésion entre l’UE, la Macédoine et l’Albanie pourraient s’ouvrir en juin 2019, Hashim Thaçi voit l’intégration des Balkans occidentaux dans l’UE et l’OTAN comme le seul horizon possible pour le Kosovo, soulignant le très fort sentiment pro-européen de son peuple [1].
La priorité absolue semble pourtant être l’intégration régionale du Kosovo et la normalisation de ses relations avec ses voisins, la Serbie en tête. Le Kosovo n’est pas encore une République reconnue par tous dans les Balkans et si le statut très flou du Kosovo devait persister, cela entraverait très sérieusement son développement économique et sa stabilité. Les Balkans occidentaux et l’UE ne peuvent pas non plus se permettre de voir le Kosovo se transformer en zone grise du crime organisé, du djihadisme ou de l’ingérence étrangère (la Turquie essaye depuis quelques temps de s’implanter dans la région), d’autant plus que l’instabilité du Kosovo mine le processus d’intégration de tous les pays voisins. Si le chemin des Balkans occidentaux vers l’UE sera long, le chemin du Kosovo sera très, très long. Pourtant, Hashim Thaçi a raison : si le Kosovo veut survivre, l’adhésion à l’UE et à l’OTAN est la seule solution. Le Président kosovar a donc une nouvelle fois appelé les États européens à éviter de faire miroiter trop d’espoirs aux Kosovars et de débuter des démarches concrètes.
Il reste une dernière question, et non pas des moindre : une possible unification avec l’Albanie. Le Kosovo est-il une nation distincte après tout ? Ce n’est pas l’avis de nombreux Kosovars qui préfèrent exhiber le drapeau albanais que le drapeau kosovar. La célébration de deux joueurs suisses, Xherdan Shaqiri et Granit Xhaka, pendant la Coupe du monde de football a montré que les Kosovars de la diaspora aspiraient également à une possible unification avec le grand frère albanais [2]. L’année dernière, le Premier Ministre albanais Edi Rama a émis l’idée d’une union Albanie-Kosovo pour redynamiser le processus d’intégration européenne, ce qui a bien sûr fait grincer les dents de beaucoup de monde du côté de Belgrade… mais également du côté de Prishtina, le Premier Ministre kosovar de l’époque ayant qualifié ces propos de « populistes » [13]. Dans l’entrelacs des difficultés dans les Balkans occidentaux, le Kosovo fait décidément figure de nœud de tensions.
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