Economie et « Covid 19 » : le mur de trop pour l’Espagne ?

, par Volkan Ozkanal

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Economie et « Covid 19 » : le mur de trop pour l'Espagne ?
La Plaza Mayor de Madrid, complètement vide le 15 mars dernier. Photo : Nemo / Wikimedia Commons

La crise du coronavirus continue de charrier son lot d’incertitudes et aucun pays n’est épargné. À chaque jour son lot de contradictions voire, peut-être, d’espoirs avec un futur vaccin prévu pour 2021. Si le virus risque de ralentir un jour et d’être moins mortel, la crise économique et sociale n’en sera pas moins difficile notamment pour l’Espagne dont l’économie dépend grandement de secteurs touchés par le virus.

Une année de crise interminable en Europe et dans le monde

Bientôt un an que le virus de la « Covid-19 » a été détecté à Wuhan, en Chine et s’est immiscé dans la vie de centaines de millions de personnes. Une menace et un danger toujours présents et qui continuent de susciter peur, inquiétude et incertitude. Une année entière donc que le monde se lève et se couche au rythme des bulletins de santé, des restrictions et de la crise sanitaire qui affecte de plus en plus de personnes. Difficile dans ces conditions d’y voir clair et d’avoir une sortie de crise dans les prochaines semaines.

Entre (re)confinements comme en France ou en Irlande récemment, restrictions drastiques et cote d’alerte maximale au niveau économique en cette fin d’année 2020 censée être festive, la situation est extrêmement préoccupante voire alarmante à plus d’un titre. Avec une crainte de plus en plus grandissante et qui devra nécessairement être gérée par les différents gouvernements européens : un probable choc économique à venir dans plusieurs secteurs d’activité très durement touchés. C’est un fait, de nombreux domaines de la vie courante et sociale ont été mis sous cloche lors des différents confinements et ont impacté sur de larges segments des pans entiers de secteurs. Parmi ceux-ci, la culture, l’hôtellerie, la restauration, le tourisme et les activités de plein air ou sportive.

La problématique est donc tout autant sanitaire qu’économique car ces domaines d’activités font vivre, directement ou non, une quantité non négligeable de personnes et certains pays ont été plus touchés que d’autres par les diverses restrictions en vigueur. Aucun Etat ne peut donc se prévaloir d’être libérée de l’ombre menaçante du virus et chacun essaye, tant bien que mal, de se protéger des conséquences désastreuses du « Covid-19 ». Si l’on prête plus d’attention à la carte européenne, il s’avère que plusieurs pays risquent de subir davantage cette crise en raison de la nature des activités économiques de ses secteurs. Parmi ces pays, L’Espagne dont l’économie est basée pour une part importante de son PIB, sur le tertiaire et la partie touristique et qui a déjà vécu lourdement une autre crise économique il y a un peu plus de dix ans. Crise dont elle venait à peine de se relever avec grande difficulté d’ailleurs.

« Le secteur touristique en Espagne, deuxième destination mondiale, devrait essuyer une perte de plus de 100 milliards d’euros en 2020 en raison de la pandémie de Covid-19 d’après l’organisation patronale espagnole Exceltur. Si cette prévision se confirme fin décembre, nous aurons reculé de 25 ans en termes d’activité générée par le tourisme selon le vice-président exécutif de l’organisation », développe Sud Ouest

Le tourisme espagnol est dans la tourmente

L’Espagne base une grande partie de son activité productrice de revenus sur le tourisme et qui se retrouve aujourd’hui en grande détresse à tous les niveaux. Une situation d’autant plus alarmante qu’elle se conjugue en parallèle avec des problématiques politiques et qui risquent de fracturer, à plus ou moins long terme, un pays déjà sur des charbons ardents. Pertes financières records, taux de chômage exponentiel, situation sanitaire désastreuse, tous les ingrédients d’une fragmentation sont réunis pour que l’Espagne retrouve les secousses qu’elle a déjà connue il y a une décennie mais avec une plus forte déflagration vu le contexte actuel.

L’Espagne, « maillon faible » européen ?

C’est un fait, lors de la crise économique de 2007-2008 provoquée par la chute des « subprimes » et l’éclatement de la bulle financière qui s’en était suivie, l’Espagne avait été un des pays les plus durement touchés en Europe avec la Grèce et l’Irlande. Le secteur de la construction avait été développé parfois en dépit du bon sens économique notamment à Valence, ville symbole, avec une folie des grandeurs que l’économie nationale ne pouvait pas supporter.

Des faillites de plus en plus nombreuses d’entreprises et impactant durablement le PIB espagnol eurent lieu. Des crises dans le logement et un déficit exponentiel, tels avaient été les ingrédients qui avaient mené à une cure d’austérité parmi les plus dures d’Europe. Ce qui avait provoqué la colère des Espagnols et eu également une conséquence plus indirecte mais toute aussi problématique. En effet, l’économie ibérique ayant été grandement dépendante de la main d’œuvre venant notamment d’Amérique du sud et centrale, de nombreux Colombiens ou Équatoriens avaient été touchés eux aussi et étaient repartis dans leur pays d’origine faute de travail. Cette crise économique si violente avait fortement mis à mal le pays pendant de nombreuses années en touchant au poumon économique générateur de valeurs.

Cependant, avec la « Covid-19 » l’Espagne pourra-t-elle se relever une nouvelle fois tant le niveau des pertes commencent à être élevés et le moral en berne face à une incertitude continue en l’avenir ? Quelles seront les conséquences de fermetures des bars et restaurants pour un pays où la tradition festive est dans son ADN ? Rien n’est moins sûr et les Espagnols revivent les mêmes situations, confinement en plus, qu’il y a dix ans.

Dans un pays qui met en avant ses atouts, dont le tourisme fait partie, cette nouvelle configuration incertaine posera question et devra peut-être même être remise sur le tapis. L’Espagne pourrait être un pays trop dépendant de secteurs d’activités saisonnières plus sujettes à être déstabilisées en cas de choc. Un scénario catastrophe de plus en plus prégnant et dont le fond de solidarité de l’UE tente de juguler les effets à travers les aides versées à l’Espagne et l’Italie entre autres. Toutefois, le sud européen, traditionnellement mis à l’index, n’est pas la seule partie européenne à être véritablement sur la sellette. France, Allemagne, Europe centrale, Pays-Bas, c’est toute l’Europe, dans son ensemble, qui se retrouve dans le feu de l’action, tenaillée entre la survie économique nécessaire pour son tissu économique et la peur de l’augmentation des flux de malade de plus en plus importants. L’Espagne n’est donc pas seule, loin de là, à être dans le creux de la vague sans trouver la solution pour s’en sortir.

Économie informelle en berne, « vie à l’espagnole » plus jamais comme avant et Vox en arrière-plan

En Espagne où l’économie informelle a toujours été la matrice essentielle du PIB, l’arrêt des activités et le confinement ont détruit de nombreux emplois. Le taux de chômage hautement problématique avec plus de 15 % de personnes sans emploi continue malheureusement sa progression. Sans compter, son corollaire, l’accroissement de plus en plus grand de la précarité économique et des banques alimentaires.

Un large panel de métiers sont à l’arrêt et l’économie espagnole a de plus en plus de mal à créer de la valeur. Comment produire quand on est confiné ? Une quadrature du cercle dramatique fait exploser la pauvreté à travers le pays. C’est aussi un cliché probablement éculé mais qui reflète, pour qui connaît le mode de vie espagnol, une réalité. La vie espagnole est une façon d’être ancrée culturellement et associée à un cadre de vie festif et chaleureux. Une certaine manière de voir la vie depuis la « Movida » des années 80 et dont le réalisateur Pedro Almodovar était la figure de prouve.

Ce qui englobe de nombreuses thématiques comme la fréquentation des restaurants, parfois sur le pouce, le tourisme, la vie nocturne dans des bars après 22 heures et tout un pan d’activité dépendantes les unes des autres et qui composaient l’Espagne et son identité. Dès le soir tombé, les Espagnols vont souvent, entre amis ou collègues, se restaurer après une journée de travail, ce qui était, avant la crise sanitaire, un cercle vertueux faisant travailler l’économie au quotidien.

Mais au-delà de l’aspect festif de la chose, un autre danger guette l’économie espagnole. Le mécontentement grandissant face à la gestion du virus par le gouvernement du socialiste Pedro Sanchez. Dans un pays où le concept de décentralisation est très fort et où les régions autonomes ont un poids considérable, le fait de recevoir des ordres de Madrid passe très mal dans ce contexte.

En filigrane et pour ajouter encore plus de confusion, le parti d’extrême droit, Vox, dont les attaques se font de plus en plus vives et qui profite, d’une certaine manière, de la crise pour avancer ses pions notamment lors de manifestations anti-restrictions. Ces tensions sont donc à prendre de plus en plus au sérieux s’inscrivent dans un cadre de rejet du gouvernement actuel, accusé d’avoir très mal gérée la crise sanitaire, sur fond de tensions politiques et motions de censure.

Quoiqu’il en soit, à l’heure actuelle, il est difficile de faire des projections et de mesurer les conséquences de cette crise mondiale inédite. Impossible également de prévoir ce qui se passera économiquement, voire socialement, dans un pays souvent au bord de la rupture et qui a besoin d’unité nationale si souvent perturbée ces dernières années. S’il est impossible de savoir de quoi sera faite cette fin d’année et le début de 2021, la situation espagnole est à prendre en considération car elle pourrait se propager au reste de l’Europe telle une traînée de poudre.

Dès lors, là encore, impossible également de savoir si, une fois la crise passée, le ’monde d’avant’ reprendra, si les touristes pourront revenir visiter le pays de Cervantes. Ou tout simplement, si le « way of life » espagnol fait de convivialité continuera d’exister telle qu’il le fut avant la crise sanitaire. L’économie étant le nerf de la guerre, les conséquences populistes sont toutes autant imprévisibles avec, en Espagne, la montée en puissance du parti Vox de Santiago Abascal qui entend largement profiter de la situation pour peser de tout son poids sur la vie politique espagnole.

Toutes ces questions et ces risques restent en suspens, pas seulement pour Madrid, Barcelone, Valence ou Séville mais l’Espagne fait figure de tête de pont sur « l’après-Covid » qu’il faudra nécessairement gérer, à un niveau européen. Au risque de créer toutes les conditions pour faire émerger des forces et des circonstances néfastes si le pays est abandonné à son sort. Toutefois, dans cet océan de problèmes, il faut se référer à un dicton espagnol qui affirme : « de esperanza vive una persona » soit la version outre-Pyrénées de « l’espoir fait vivre ». Il en faudra beaucoup dans tous les cas pour tenter de se relever de cette crise en limitant autant que faire se peut les dégâts à terme.

Finalement, l’économie espagnole sera une sorte de « boussole » pour les autres pays car si Madrid réussit à trouver des solutions viables, ce sera une manière pour les autres pays d’y voir plus clair et suivre son chemin. Pour le moment, nul ne sait encore de quoi sera fait cet avenir à court terme mais l’interrogation est présente dans toutes les têtes et les chancelleries européennes…

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