“Écoutez aussi l’Europe” : le combat de l’UE pour protéger les victimes de violences domestiques

, par Alexandra Gaglione, Traduit par Martin Bot

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“Écoutez aussi l'Europe” : le combat de l'UE pour protéger les victimes de violences domestiques

« Orangez le monde » : #ÉcoutezMoiAussi était le thème des Nations Unies cette année, à l’occasion des 16 jours annuels d’activisme contre la violence à l’égard des femmes. Pour de nombreuses personnes, l’Europe apparaît comme une lueur d’espoir en ce qui concerne les Droits de l’Homme et la promulgation des libertés civiles à travers des lois nationales et supranationales. Pourtant, les faits et les chiffres permettent peut-être d’en douter.

Selon une étude publiée en 2013 du « Projet Daphné » de l’Union européenne, 3500 femmes sont tuées par leur partenaire chaque année, dans 27 des États membres (à l’exception de la Croatie, qui n’était pas encore un Etat membre au moment de l’étude). Dans la plupart des cas de violence conjugale, le problème est aggravé par une deuxième donnée. L’enquête sur la violence à l’égard des femmes publiée par l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne en 2014 a montré que seulement 14% des femmes résidant dans un pays membre de l’UE reportent les cas de violences conjugales à la police. Les raisons qui expliquent un pourcentage si faible sont innombrables : la peur, le déni, et même l’amour empêchent de nombreuses femmes de parler de la violence qu’elles ont vécue.

En général, on trouverait la plus forte prévalence de violence sexiste en Lituanie, en Lettonie et en République Tchèque, mais la disponibilité des données demeure limitée car des instituts comme l’Institut européen pour l’égalité entre les hommes et les femmes (EIGE) ne couvre qu’une vingtaine de pays européens, dont seulement 15 sont des États membres de l’UE. De plus, on retrouve des divergences dans la collecte des données. Par exemple, pour qu’un cas soit catégorisé en tant que féminicide, le sexe de la victime et sa relation avec le coupable sont pris en compte, mais selon un rapport récent publié par l’EIGE, les forces de police au Danemark, au Luxembourg, en Grèce, en Lituanie, à Malte et en Pologne ne collectent pas ce genre d’informations lors des affaires d’homicide. La question qui se pose immédiatement est : que fait l’Union européenne ?

La réponse de l’Union européenne

L’UE a mis en place de nombreux instruments législatifs et pratiques concernant les droits et la protection des femmes et des enfants contre la violence conjugale. On peut mentionner notamment la Directive de 2012 établissant des normes minimales concernant les droits, le soutien et la protection des victimes de la criminalité, qui a remplacé la décision-cadre 2001/220/JAI du Conseil. Avec une grande importance accordée à l’accès au soutien spécialisé pour les victimes, les États membres de l’UE sont chargés de fournir un accès approprié à des abris et un soutien d’urgence pour toutes les victimes appartenant au champ des violences domestiques. En outre, l’UE a mis en place un certain nombre d’instruments de façon à ce que les mesures de protection, c’est-à-dire les ordres de restriction et d’interdiction, établies dans un État membre, soient reconnues dans un autre avec moins de bureaucratie et plus de protection. Des campagnes de sensibilisation cofinancées par les gouvernements nationaux et des projets transnationaux dirigés par des ONG ont pour ambition de mettre en avant le travail effectué par l’Union dans ce domaine.

Le Parlement européen incite particulièrement à la ratification de la Convention d’Istanbul du Conseil de l’Europe qui cherche à prévenir et réprimer la violence faite aux femmes et la violence domestique. À l’heure actuelle, 20 États membres ont ratifié la Convention, et plusieurs députés européens ont interpellé les États membres qui ne l’avaient pas encore ratifiée, indignés par le fait que ces pays ne reconnaissent pas la Convention comme étant la meilleure solution pour lutter contre ce problème. Il s’agit donc d’un sujet qui divise les États membres.

Certains États membres ont fait part de leur réticence face à ce qu’ils considèrent comme des conceptions erronées et des arguments fallacieux autour de la notion de genre présents dans la Convention, qui créerait un « bagage idéologique » dans le texte. Ces pays craignent que la Convention ne représente pas la prédominance des valeurs conservatrices de certains États membres, lorsqu’elle se réfère au genre comme à des rôles, des comportements, des activités et des attributs construits socialement, et qu’une société donnée considère appropriés pour les femmes et les hommes.

Lors d’un débat en mars, des députés européens sont allés encore plus loin, en niant que l’Union ait une quelconque compétence sur le sujet, ce qui signifie que tout acte législatif adopté ne saurait être contraignant. Ces allégations injustifiées prétextant un manque de compétence indiquent une réticence de la part de ces États membres de ne serait-ce que venir à la table des négociations pour débattre du sujet. Au vu de l’importance du sujet, cette intransigeance devrait soulever certaines préoccupations.

Cette évolution inquiétante de la situation questionne le niveau réel de protection des victimes par la législation européenne. Avec un taux si élevé de violence à l’égard des femmes dans l’UE, les normes de protection ne devraient pas être laissées aux États membres individuellement. Au contraire, harmoniser et appliquer une politique unique contre la violence domestique est une approche qui garde à l’esprit l’intérêt supérieur des victimes. Le Commissaire européen Andrus Ansip a eu tôt fait de condamner cette réticence politique, en rappelant aux eurodéputés la véritable essence de la protection, qui devrait l’emporter sur toute formalité socio-légale, à savoir, l’accompagnement des victimes de violences à caractère sexiste.

D’ici la fin de l’année prochaine, environ 3500 femmes de plus vont encore perdre la bataille contre les violences domestiques. Bien que leurs voix puissent être perdues, leur combat va être perpétué par les voix de leurs consœurs, amplifiées par des organisations spécialisées, par la législation et par une prise de conscience sociétale. Le rideau de la peur est constamment tiré, pour finalement laisser entrer la lumière dans la vie des victimes. Vos voix aussi sont entendues.

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