Elections en Allemagne : le jeu du chamboule-tout électoral

, par Thomas Arnaldi

Elections en Allemagne : le jeu du chamboule-tout électoral
Le Reichtagsgebäude, siège du Bundestag à Berlin CC - Le Taurillon, tout droit réservé.

61,5 millions d’électeurs étaient appelés aux urnes ce dimanche 24 septembre 2017 afin d’élire leurs représentants au Bundestag, la chambre basse du Parlement allemand. Aux termes d’une campagne souvent qualifiée d’ennuyeuse, les résultats sonnent comme un électrochoc pour l’Europe. Angela Merkel conserve son poste de Chancelière mais son succès est en nette demi-teinte. Le système des partis vient de basculer sous une nouvelle ère.

Un système de proportionnelle personnalisé et intelligent

En novembre 2016, alors qu’Angela Merkel candidatait de nouveau pour la Chancellerie fédérale et un nouveau mandat à la tête de l’Allemagne, elle prévenait que cette « campagne électorale sera la plus difficile de toutes celles depuis la réunification allemande ». Son aspect visionnaire n’a pas trompé. La campagne a eu du mal à partir, aucun parti n’arrivant à s’imposer réellement face à Angela Merkel, et les résultats sont d’autant plus frappants : Merkel remporte clairement les élections, mais affaiblie. Avec 33% des voix, elle est loin de son résultat sulfureux de 2013 (41,7%). Les sociaux-démocrates, partenaires de la Grande Coalition, subissent leur plus sérieux revers électoral avec 20,5% des suffrages tandis l’extrême-droite fait, avec plus de 12,6% des voix, une entrée fracassante au Bundestag.

A 22h55, dimanche soir, la chaine de télévision ZDF refait un point sur les résultats provisoires

Habituellement, l’Allemagne est un pays très mesuré dans ses choix politiques. Le système électoral participe grandement à la culture du consensus à l’allemande. Le système du vote à la proportionnelle personnalisée comporte deux voix et consiste à élire 299 députés pour le Bundestag via des mandats directs au scrutin majoritaire à un tour (1ère voix) et l’ensemble des autres députés par des scrutins de liste à la proportionnelle répartie entre les différents Länder (2ème voix). Ainsi, l’ensemble des deuxièmes voix représente le miroir démocratique du choix des électeurs, tandis que les mandats directs permettent d’avoir une représentation territorialisée des députés. Tout candidat élu par la première voix est assuré d’être représenté au Bundestag et tout parti voit son nombre de siège attribué de manière proportionnelle à son résultat. Pour obtenir des sièges au Parlement, les partis politiques doivent par ailleurs obtenir 5% des suffrages au niveau national. Des mandats supplémentaires et de compensation permettent ensuite de compléter le calcul. Le nouveau Bundestag serait ainsi l’un des plus imposants de l’histoire constitutionnelle allemande : il contiendrait plus de 709 députés – soit 58 de plus que l’ancienne période législative.

Plus de 700 députés sont annoncés au Bundestag – ils étaient 651 de 2013 à 2017.

L’extrême-droite devient la troisième force du Parlement

Face à l’absence de crédibilité politique de la part des opposants de Merkel, la Chancelière a elle-même réussi à incarner qu’aucune alternative n’était possible. L’opposition s’est donc cristallisée autour de l’AfD (Alternative für Deutschland, extrême-droite), une force populiste qui n’hésite pas à adopter une politique révisionniste et à prôner des valeurs ultra-conservatrices. Selon les résultats provisoires publiés lundi matin [1], près de 94 députés du parti d’extrême-droite pourraient rejoindre le Parlement. Il s’agirait alors d’une entrée en grandes pompes – en 2013, l’AfD avait échoué aux portes du Bundestag en ne récoltant que 4,9% des voix et ne pouvant donc envoyer de députés au Parlement. Autre point d’importance, l’AfD récupère trois mandats directs dans la Saxe, dans trois circonscriptions à proximité de Dresde. Le parti y obtient largement plus de 30% des voix et arrive même en tête à l’échelle du Land. Pour la première fois depuis 1949, un parti d’extrême-droite rentre au Parlement allemand. Jusque tard dans la nuit, de nombreux citoyens ont d’ailleurs manifesté dans plusieurs grandes villes d’Allemagne.

Les partis affaiblis et un Bundestag effrité

Ils sont exactement sept partis à pouvoir faire leur entrée au Bundestag cette année. Cinq y siégeaient déjà, un autre y revient après quatre années d’absence et un dernier y rentre pour la première fois. Les deux partis populaires, l’Union chrétienne-démocrate tout d’abord avec la CDU et son alliée bavaroise CSU, le SPD social-démocrate ensuite, reculent considérablement. Le parti d’Angela Merkel remporte l’élection et cavalcade en tête, mais son score n’est plus aussi large qu’auparavant. Elle relativise toutefois : « Nous sommes la première force du pays, nous avons un mandat pour former le prochain gouvernement et il ne peut y avoir de gouvernement de coalition contre nous ». Même si la carte de l’Allemagne des mandats directs montre une nette implantation de la CDU (CSU en Bavière) au niveau territorial, la traduction proportionnelle ne permet pas de concrétiser l’exploit majoritaire. En Bavière, la CSU serait en-dessous de ses habituels 40%, une débâcle sérieuse pour de nombreux analystes.

Pour le SPD, c’est l’hécatombe. Avec 20,5%, il réalise le plus mauvais score de son histoire. Parti des travailleurs, son électorat devient volatile pour se diriger vers les extrêmes – AfD à l’extrême-droite ou Die Linke pour la gauche radicale. Martin Schulz n’a pas réussi à canaliser l’espoir sur son thème de campagne de la justice sociale. Déjà fortement affaibli dans les sondages depuis novembre, le SPD a essayé de contrer Merkel, en vain. Il ressort esseulé de la Grande Coalition.

La gauche radicale avec Die Linke souffre également de la progression de l’AfD. Son électorat principalement basé dans les anciens Länder de l’Est-allemand est devenu particulièrement sensible aux thèmes invoqués par l’extrême-droite, si bien que l’on observe un glissement d’une partie de son électorat traditionnel vers le parti populiste. Dans le même temps, Die Linke récupère les déçus de la social-démocratie, ce qui lui permet de faire un score égal à 2013 et d’envoyer 5 députés de plus au Bundestag. Les Verts (Die Grünen) ont bien fêté leur victoire. Annoncés comme à peine supérieurs à la limite des 5%, ils obtiennent près de 9% des voix et déjouent certains pronostics catastrophiques. Leur co-chef de file Cez Özdemir échoue de très peu à obtenir un mandat direct près de Stuttgart. Les libéraux (FDP) rassemblés autour du jeune Christian Lindner sont de nouveau au Bundestag. Après l’échec cuisant de 2013 qui les excluait du Parlement, le parti qui a le plus longtemps gouverné en Allemagne (12 coalitions avec la CDU ou le SPD depuis 1949) refait son entrée avec plus de 10% des voix, renouant avec des scores comparables à avant la crise financière de 2008.

La coalition Jamaïque comme unique solution ?

Maintenant que le Bundestag est élu, la question du gouvernement se pose. Selon toute vraisemblance, Angela Merkel devrait être réélue par la majorité des membres du Bundestag Chancelière fédérale. Le Président de la République, Frank-Walter Steinmeier la chargera donc de mener les négociations en vue d’établir une nouvelle coalition. Cependant, la tâche s’avèrera plus compliquée que prévue. En toute hypothèse, trois solutions paraissent crédibles.

1 - La Grande coalition joue les prolongations. Numériquement, c’est possible. Les sociaux-démocrates (SPD) et les chrétiens-démocrates (CDU/CSU) peuvent s’allier et obtenir une majorité absolue au sein du Bundestag. Très réduite comparée à l’écrasante majorité de plus des deux tiers du Parlement qu’elle pouvait représenter depuis 2013, elle suffit cependant à obtenir une majorité absolue. Dès l’annonce des résultats, de nombreux cadres du SPD, comme Manuela Schwesig (ancienne ministre de la famille de Merkel, désormais ministre-présidente du Land de Mecklembourg-Poméranie-Occidentale) ou Martin Schulz (chef de file des sociaux-démocrates) ont d’ores et déjà exclu toute participation gouvernementale. « Ce soir prend fin le travail avec la CDU et la CSU » a déclaré l’ancien Président du Parlement européen. Les sociaux-démocrates préfèrent se réinventer dans l’opposition.

2 - L’Union (CDU/CSU) choisit de faire un gouvernement minoritaire. Autre possibilité peu probable, un gouvernement minoritaire. La CDU et son alliée bavaroise CSU obtiendrait environ 246 sièges de députés. Il manquerait donc une centaine de place pour obtenir une majorité absolue. Avec ses 80 sièges, si le FDP (libéraux) se joint aux partis sœurs de l’Union, la coalition gouvernementale pourrait s’arrondir à 326 sièges. Le score ne serait pas suffisant à l’obtention d’une majorité absolue mais n’empêcherait pas le gouvernement de négocier au cas par cas les textes législatifs avec les autres groupes politiques du Bundestag. La coalition dite « bourgeoise » ou « noire-jaune » avec les partis traditionnels de coalition serait donc minoritaire et donc fragile. La place non négligeable que va prendre l’AfD dans l’opposition aurait un impact très négatif sur l’image que pourrait véhiculer la Chancelière et donc par voie de conséquence sur sa politique.

3 - Une coalition Jamaïque se met en place. Très peu mise en perspective durant la campagne électorale, rares étaient ceux qui voyaient une coalition entre la CDU/CSU, les libéraux du FDP et les Verts se mettre en place à l’issue du scrutin. Elle est désormais celle qui semble la plus probable au vu des résultats de dimanche. Elle tire son nom du drapeau de la Jamaïque, noir, jaune et vert, qui retranscrit les couleurs des partis. Toutefois, les différences idéologiques entre le FDP et les Verts rendront difficiles les négociations de l’accord de coalition, notamment en matière d’environnement, d’énergie et des questions européennes où des divergences fortes opposent les deux partis. Au niveau des Länder, la Sarre a déjà connu une telle coalition entre 2012 et 2017 et le Land de Schleswig-Holstein, à l’issue des élections régionales de mai dernier vient d’en mettre une en place. Les Verts comme les Libéraux ont déclaré qu’il consulterait leur base électorale sur le sujet.

La fin de l’exception allemande ?

En tout état de cause, ces élections fédérales marquent un tournant en Europe pour l’Allemagne. L’extrême-droite est bel et bien présente dans une grande majorité des parlements nationaux et la social-démocratie est en chute libre dans de nombreux pays européens. Quels que soient les enseignements que les partis politiques et les politiques européens auront de ces élections, les citoyens doivent réagir et se réapproprier l’espace public européen. La participation aux élections législatives fédérales en est un bon exemple. Avec plus de 76% de participation, l’Allemagne déjoue les craintes d’une abstention record.

Notes

[1L’ensemble des résultats de l’élection fédérale allemande sont à retrouver sur le site de la commission électorale fédérale >> https://www.bundeswahlleiter.de/bundestagswahlen/2017/ergebnisse/bund-99.html

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