Compte-rendu de conférence.

Elections en Biélorussie : Donnons la parole aux Biélorusses !

Des témoignages et analyses d’experts, pour enfin y voir plus clair.

, par Jérôme Buchler

Elections en Biélorussie : Donnons la parole aux Biélorusses !

Dans le cadre de notre semaine pour la Démocratie en Biélorussie (et en cette veille de scrutin...), nous publions ici ce compte-rendu de conférence récemment rédigé par nos amis de l’association « Paris - Minsk » (et dont vous pouvez voir le logo associatif, ci-contre) :

Une conférence d’information qui, organisée à Paris le 2 mars dernier, a le double grand mérite de donner la parole aux Biélorusses (premiers intéressés par la situation actuelle dans leur pays...) et d’apporter ici un éclairage supplémentaire sur la situation politique au Bélarus...

Organisée conjointement par la fondation pour l’innovation politique et la fondation Robert Schumann, la première conférence sur le thème de « la démocratie aux portes de l’Union Européenne » s’est tenue à Paris ce jeudi 2 mars 2006.

Cette première édition était consacrée au paradigme biélorusse, à la veille de l’élection présidentielle qui se tiendra le 19 mars prochain.

Après avoir souligné l’attachement de l’Union Européenne aux combats des peuples pour la démocratie, et rappelé que nos pays font régulièrement face à des problématiques similaires, Pascale Joannin, directrice de la Fondation Robert Schumann et Franck Debié, président de la fondation pour l’innovation politique, se sont inquiétés de la fragilité des nouvelles démocraties : « nous ne devons pas laisser la démocratie naissante décevoir. Ce qu’il faut, c’est favoriser, dès le départ, une démocratie d’alternance ».

Ils ont ensuite souligné le rôle primordial de L’Union Européenne dans l’instauration durable d’un régime démocratique en Biélorussie ; cependant, « l’importance des partenariats entre les sociétés civiles ne doit pas être sous-estimé ».

De la situation actuelle en Biélorussie

Alexis Chahtahtinsky, conseiller diplomatique du Président de l’Assemblée parlementaire de l’OTAN, a ensuite, en qualité d’animateur du débat, insisté sur le fait que le déplacement de la frontière Européenne a très certainement servi de catalyseur de la médiatisation de la Biélorussie aujourd’hui. « Cela va dans la bonne direction », a-t-il indiqué en prenant comme exemple la nouvelle attitude, « beaucoup plus active », de la Pologne.

On peut définir le système politique biélorusse actuel comme « une forme de totalitarisme avec une idéologie d’Etat réintroduite ». L’opposition, malgré les récents efforts, y reste « faible, et largement infiltrée par les services [secrets biélorusses ; encore appelés KGB dans ce pays] ».

C’est la méconnaissance du sort de ce pays qui lui porte préjudice. Son « isolation », comme l’a souligné Zhanna Litvina, ancienne correspondante de Radio Svaboda et membre de la BAJ (Belarusian Association of Journalists), laisse une très large marge de manœuvre à Loukachenko dans la conception et l’établissement de la « machine de propagande », mécanisme extrêmement bien huilé destiné à le maintenir coûte que coûte au pouvoir tout en s’appliquant à transformer le pays en un gigantesque et sinistre musée vivant de l’ère soviétique. « L’image que reçoivent les citoyens [biélorusses] est celle d’un pays merveilleux qui avance vers l’avenir, mais qui subit des pressions de l’extérieur. On n’a cesse de nous répéter que l’Europe ne nous attend pas, qu’elle n’a pas besoin de nous ».

Or Alexandre Milinkevich, le candidat « unique » élu par les forces de l’opposition, a eu l’occasion au cours de sa campagne électorale de rencontrer des acteurs majeurs sur le plan international. L’Europe a ouvertement soutenu le candidat Milinkevich et ces ouvertures se sont avérées essentielles. Dès l’annonce de sa candidature, le candidat a mis un point d’honneur à rompre avec cette théorie selon laquelle la Biélorussie n’a rien à attendre de l’Union Européenne. « Et si la Biélorussie, contrairement à ce qu’on voudrait nous faire croire, a effectivement besoin de l’Europe, l’Europe a également besoin d’une Biélorussie ; d’une Biélorussie indépendante et souveraine ».

Concernant les manquements graves aux droits les plus fondamentaux, avérés depuis une dizaine d’années, Alexis Chahtahtinsky a qualifié la Biélorussie de « zone grise » ; sorte de plateforme de test pour Poutine, car préfigurant avec quelques années d’avance les évolutions anti-démocratiques que l’on constate actuellement en Russie. La Biélorussie, pays « laboratoire » s’il en est, bénéficie de fait d’une « image internationale très dégradée » : on le présente systématiquement en qualité de « dernière dictature d’Europe ». Or la dictature au sens classique du terme serait-elle devenu un fantasme de nos sociétés occidentales ? « L’Europe a une certaine idée figée de ce qu’est la dictature. Celles-ci se sont transformées », précise Zhanna Litvina. « De quelle dictature parlez-vous ? » « Tout va bien ! » vous répondraient sans sourciller de nombreux citoyens biélorusses interrogés à ce propos. Malgré tout, « si le peuple reste seul à seul avec le dictateur, il n’est pas exclu d’en arriver à une situation similaire à celle qu’a connue l’Allemagne d’Hitler », s’est ouvertement inquiété Alexandre Starikevich, un rédacteur en chef participant à la conférence.

« Si, il y a 12 ans, quelqu’un m’avait dit qu’aujourd’hui on aurait peur de parler à haute voix, je ne l’aurais pas cru »

En Biélorussie, la liberté de la presse est plus malmenée que jamais. Alexandre Starikevich, rédacteur en chef du journal indépendant biélorusse « Salidarnasc », en a profité pour partager son expérience. Le journal ne s’est pour l’instant pas vu interdire de paraître, cependant « depuis le début de l’année, nous travaillons [exclusivement] sur Internet. Nous n’avions plus la possibilité d’imprimer sur le territoire biélorusse, nous nous sommes donc tournés vers la Russie ; nous faisions imprimer nos journaux dans la ville de Smolensk. Ca n’était pas très pratique, mais ça nous permettait de survivre. A la fin de l’année dernière, nous avons été exclus du réseau public de distribution [ce réseau constitue, en Biélorussie, un monopole d’Etat] : nous n’avions alors plus la possibilité de vendre le journal. Privés de notre unique source de revenus, nous nous sommes vu dans l’incapacité de payer notre imprimeur ».

« Je connais déjà les résultats de l’élection présidentielle » affirme-t-il, un sourire en coin. « Le président [actuellement en place] bénéficiera d’un soutien de 80% à 85% des suffrages. Il serait incorrect d’affirmer qu’il ne bénéficie d’aucun soutien ; cependant je peux vous assurer que nous [intervenants] représentons ici les 15% restants, et que cela a des conséquences pour nous ».

Alexandre Starikevich s’en est ensuite violemment pris aux autorités biélorusses, en qualifiant le meurtre en 2004 d’une collaboratrice de son journal d’« assassinat à caractère politique parfaitement prononcé ». « Nous aurons connaissance de la vérité lorsque le pouvoir changera. Le fait que ces assassinats politiques aient été relatés dans la presse internationale nous a sûrement préservé d’autres assassinats »

De l’attitude de l’Union Européenne à l’égard de la Biélorussie

On constate une évolution de l’attitude Européenne face à la situation de la Biélorussie. « Un grand nombre de résolutions ont été prises par l’Union Européenne », rompant avec le mot d’ordre qui prévalait jusqu’alors, très bien résumé par l’expression « ne pas nuire », qui traduisait jusqu’alors une politique de containment de la part de l’Union Européenne, politique qui n’a que trop durée. « Sans soutien extérieur, la situation n’est appelée qu’à empirer » a affirmé Andrei Fyodorov.

Du candidat Milinkevich

Andrei Fyodorov est ami de longue date et conseiller d’Alexander Milinkevich, le candidat élu par les forces démocratiques de l’opposition biélorusse en octobre 2005. Il est en charge de la sécurité intérieure. Lorsqu’on le questionne à propos de la personnalité du candidat Milinkevich, il n’y va pas par quatre chemins : « C’est le contraire de Loukachenko : Alexandre Milinkevich est une personne équilibrée, un homme politique d’envergure européenne » Il a ensuite souligné les efforts considérables du groupe de travail constitué autour de la candidature de Milinkevich, qui aura réussi à collecter plus de 200 000 signatures. « 57% des biélorusses le reconnaissaient il y a encore un mois ». Mais lorsque les médias occidentaux parlent de candidat unique, « il s’agit là encore d’une légère exagération ». Quatre candidats ont en effet réussi à collecter suffisamment de signatures pour se présenter à l’élection présidentielle, dont deux soutenant ouvertement le point de vue occidental.

Zhanna Litvina a ensuite pris la parole au nom de l’association des journalistes biélorusses : « Aujourd’hui, notre association représente plus de 1000 journalistes biélorusses indépendants. Un des principaux problèmes auxquels nous sommes confrontés est le manque d’information des gens de mon pays. Mais comment exercer notre métier dans des conditions où nous ne sommes même plus en mesure de collecter et de restituer les informations ? Il existe 25 journaux indépendants aujourd’hui en Biélorussie, qui représentent un tirage total de 200 000 exemplaires quotidiens, tandis que le très officiel « soviestskaia respublika » compte à lui seul quelques 500 00 exemplaires quotidiens. » « La campagne électorale a axé le débat sur les liens à entretenir avec la Russie. Il se peut que soit réanimé ce qui était l’Union Soviétique », a-t-elle mis en garde. « Le Bélarus est devenu une plateforme cobaye dans les relations avec la grande Russie : c’est là que l’on teste la faisabilité de l’établissement d’un régime totalitaire. Mes collègues s’étonnent souvent du fait que des constatations faites par des journalistes en Russie sont souvent des répétitions d’évènements déjà survenus en Biélorussie ».

De l’organisation de l’élection présidentielle

Le président en exercice, non satisfait d’avoir modifié la constitution pour lui permettre de briguer un troisième mandat consécutif, a décidé d’avancer la date du scrutin qui devait se tenir en juillet 2006. L’opposition a du faire face à d’importantes difficultés d’ordre organisationnel étant donné le raccourcissement de l’échéance qui ne lui aura laissé que cinq mois entre le moment où elle a élu son candidat « unique » et le vote, avancé au 19 mars 2006. « Cette décision a été prise par Loukachenko au lendemain d’un entretien avec Vladimir Poutine ». Le président russe aurait donc suggéré à son homologue biélorusse de couper l’herbe sous le pied de l’opposition.

Andrei Fyodorov a également souligné que cette mesure risque de créer « un souci au niveau constitutionnel, car le président actuel devra conserver certains pouvoirs jusqu’au mois d’août » et ce, quelque soit le résultat du scrutin.

« 75 000 personnes sont impliquées directement ou indirectement dans les structures administratives officielles mises en place en vue de la prochaine élection présidentielle en Biélorussie. L’opposition a quant à elle sollicité les autorités afin de pouvoir inclure environ 1000 personnes au sein de ce système. Une seule a été retenue ».

Des spots télévisés dont ont bénéficié les candidats à la Présidence

Chaque candidat disposait d’une durée de deux fois trente minutes d’apparition à la télévision et à la radio. Si Loukachenko n’a pas utilisé son droit, c’est qu’il n’avait pas besoin de le faire : cela fait plus de cinq ans que le journal télévisé du soir s’évertue à donner un écho positif aux moindres de ses faits et gestes.

Les interventions des candidats ont donc tout naturellement suscité des réactions importantes auprès du public. Les interventions radiotélévisées constituaient donc un évènement en soit. De plus, elles ont été « brillantes et originales » : tandis que Alexander Milinkevich s’est étendu sur les changements qu’il compte mettre en place, monsieur Kazulin s’est montré très direct envers le président en place en adoptant un ton similaire à celui utilisé par Loukachenko lui même lorsqu’il a, en 1994, instrumentalisé un rapport anti-corruption dont il était en charge contre le pouvoir alors en place.

Rien que le fait que les interventions télévisées aient suscité un intérêt est un succès en soi, mais en l’absence d’instituts indépendants de mesure d’audience on se trouve bien incapable d’appréhender l’impact que celles-ci vont effectivement avoir sur la population.

Les autorités biélorusses n’ont pas pris le risque de diffuser en direct ces spots radiotélévisés qui ont été préalablement enregistrés. Or il s’avère que l’intervention de monsieur Kazulin a été réduite d’un tiers. La partie tronquée, indépendamment de toute volonté du candidat concerné, abordait justement le douloureux chapitre des assassinats politiques.

Un bilan pessimiste

Les évolutions positives constatées par rapport à 2001 - un meilleur taux de couverture par les médias internationaux, une rehausse de l’estime accordée par l’Union Européenne, une opposition interne renforcée - ne doivent pas nous faire oublier que subsistent malgré tout des difficultés considérables à faire campagne actuellement en Biélorussie.

C’est sans doute le dossier économique qui va voler au secours du candidat Loukachenko. « La Biélorussie n’est économiquement pas assez mal en point pour qu’il y ait un changement politique ». On ne peut toutefois totalement exclure « la possibilité de dérapages ». Même si, fatalement, le sentiment de peur qui s’est installé depuis plusieurs années aura sans doute raison des mobilisations qui se mettront en place à l’annonce des résultats.

Jérôme Buchler (jetbuch chez yahoo.fr), pour l’association Paris-Minsk

Liste des participants à la conférence :

 Alexis CHAHTAHTINSKY, conseiller diplomatique du président de l’Assemblée parlementaire de l’OTAN,

 Andrei FYODOROV, analyste politique et conseiller d’Alexandre Milinkevitch candidat de l’opposition démocratique à l’élection Présidentielle biélorusse,

 Zhanna LITVINA, présidente de l’Association des Journalistes Biélorusses (BAJ),

 Alyaxandr STARIKEVICH, rédacteur en chef du journal indépendant « Salidarnasc ».

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