Un système politique en équilibre fragile
Lors de ces élections, les citoyens éliront 200 députés siégeant à la Poslanecká sněmovna (Chambre des députés) pour un mandat de quatre ans. Le scrutin repose sur un système proportionnel plurinominal, selon la méthode d’Hondt : les sièges sont ainsi répartis entre les listes de candidats en fonction du pourcentage de voix obtenu dans chaque circonscription. Cette méthode favorise une représentation équitable et un pluralisme politique, mais elle conduit souvent à des gouvernements instables, aucun parti n’atteignant la majorité absolue.
Le système politique tchèque reste fragile en raison de la fragmentation des partis et de l’instabilité des coalitions, qui regroupent des forces très diverses. Le Parlement se retrouve ainsi divisé entre de nombreux partis, rendant la prise de décision complexe et ralentissant l’action gouvernementale en l’absence d’une majorité solide.
Pour ces législatives, seulement 25 listes ont été déposées, un chiffre surprenamment bas depuis 1998. Les partis se regroupent pour tenter de freiner l’ascension d’ANO, dominant dans les sondages.
Un Babiš en tête, peu ébranlé par les scandales
L’enquête réalisée par l’agence STEM entre le 28 août et le 16 septembre annonce que le parti ANO est en tête des intentions de vote, avec 30.9 % puis la coalition Spolu avec 19.5 % des voix, puis STAN ("Maires et Indépendants", centre-droit) avec 12.2% des voix. Selon les estimations de ce sondage, ANO obtiendrait 68 sièges, la coalition Spolu 41, les Starostové 24, tout comme le SPD, les Pirates 19, Stačilo ! 15 et enfin les Motoristes avec 9 sièges.
Le parti ANO, créé par Babiš en 2012 est présenté par Otto Eibl, politologue à l’Université Masaryk de Brno comme "un mouvement fourre-tout", disposant d’une "stratégie intelligente" avec notamment une communication importante. Il repose fortement sur la figure de son leader, surnommé le “Trump Tchèque”, rendant le système vulnérable aux scandales ou aux décisions individuelles.
Et pourtant, malgré plusieurs scandales judiciaires, dont le procès toujours en cours de l’affaire du Nid de cigognes, Andrej Babiš semble peu inquiété. L’affaire, portant sur une subvention européenne de cinquante millions de couronnes (environ deux millions d’euros) destinée à la construction du complexe touristique « Čapí hnízdo ». Mais dans les sondages, l’ancien Premier ministre reste étonnamment peu affecté.Dans un paysage politique où aucun parti n’est épargné par les scandales, son poids médiatique et sa popularité personnelle continuent de dominer, soulignant la force du leadership charismatique dans un système déjà fragile.
Spolu, une coalition en perte de vitesse
La coalition Spolu, menée par le Premier ministre Petr Fiala depuis 2021, peine à s’imposer face à l’ANO de Babiš. Minée par l’inflation post-COVID et par une série de scandales, elle n’arrive pas à convaincre un électorat déjà désabusé. Parmi les scandales marquants figure l’affaire des 468 bitcoins : un trafiquant de drogue condamné aurait fait don de cette somme au ministère de la Justice, un cadeau empoisonné qui a rapidement attiré l’attention du FBI. Le ministre tchèque de la Justice, Pavel Blažek, mêlé à cette histoire, a fini par démissionner le 30 mai.
Pour tenter d’enrayer la spirale négative, Fiala joue la carte du “citoyen ordinaire” : sans cravate, invité de podcasts de football, il cherche à effacer l’image du politicien traditionnel.
De l’extrême gauche à l’extrême droite, le nationalisme s’impose
À l’extrême droite, le parti Liberté et démocratie directe (SPD) de Tomio Okamura joue la carte du nationalisme pur et dur, typique des mouvements de ce bord de l’échiquier. Anti-immigration, eurosceptique, il se présente comme l’allié naturel de Babiš si l’ANO échoue à obtenir une majorité. Une perspective qui inquiète, puisque le ministère de l’Intérieur tchèque l’a déjà désigné comme le fer de lance dans la diffusion de la haine raciale, ethnique et religieuse.
De l’autre côté du spectre politique, Stačilo ! se présente comme un mouvement “patriotique de gauche”, rassemblant ex-communistes, sociaux-démocrates et divers mouvements marginaux. Son discours, aux accents nationalistes, conservateurs et eurosceptiques, ne passe pas inaperçu. Le programme de Stačilo ! inclut des slogans tels que “Dictée par Bruxelles ? Assez !”, “Stop à la migration illégale”, et “préservation de la couronne tchèque [la monnaie nationale tchèque]”.
Dans la tourmente, Andrej Babiš sort renforcé
Le désenchantement envers les partis politiques tchèques se creuse, alimenté par les crises économiques et l’instabilité politique qui règne dans le pays.
Le taux d’inflation atteint actuellement 2,5 %, un niveau élevé malgré un léger ralentissement depuis août. Ce taux reste dérisoire face aux 10,7 % enregistrés en 2023. Cette inflation, qui s’étire depuis plus de six ans, pèse lourdement sur le pouvoir d’achat des Tchèques, alimentant la défiance envers le gouvernement Fiala.
Selon un sondage de 2024 du Centre de recherche sur l’opinion publique de l’Académie tchèque des sciences, seuls 43 % des Tchèques jugent la situation actuelle meilleure qu’avant la Révolution de velours de 1989, tandis que 16 % estiment que les conditions de l’époque étaient préférables et 37 % considèrent que les deux périodes se valent.
Face à cette perception de crise durable, le gouvernement Fiala dénonce “l’ère de la polycrise” et met en garde contre les “alarmistes” accusés de propager des fake news. Dans son discours du Nouvel An, il affirme : “Les temps difficiles favorisent toujours les alarmistes.”, craignant pour la suite.
Qui plus est, Poutine cherche à manipuler l’opinion à coups de propagande pro-russe. Le flot de désinformation est colossal : près de 4 000 articles par mois, estime Vojtěch Boháč, journaliste d’investigation au média tchèque Voxpot.
Pour Otto Eibl, politologue, la défiance est palpable : “Beaucoup de personnes pensent que les prochaines élections seront truquées.” Une inquiétude qui mine la confiance dans les institutions et fragilise le processus démocratique.
Scrutin national, conséquences européennes ?
Dans le tumulte des partis et le brouillard des incertitudes, l’avenir de l’Europe en Tchéquie vacille.
Selon un sondage du CEDMO, seuls 29 % des Tchèques portent un regard positif sur l’Union européenne, loin derrière la moyenne européenne de 43 %. Par ailleurs, 41 % estiment probable une ingérence électorale de Bruxelles.
L’instabilité nationale se fait sentir à Bruxelles : des gouvernements qui changent régulièrement et des divisions internes compliquent la formulation de politiques européennes et internationales cohérentes.
L’avenir pourrait s’assombrir davantage si Andrej Babiš l’emporte. Le chef de l’ANO se dit favorable à un référendum sur des “questions clés”, potentiellement sur l’UE. Bien que son parti n’envisage pas de sortie de l’UE ou de l’OTAN, Babiš promet de bloquer plusieurs politiques européennes essentielles. Il a déjà rejeté l’augmentation des budgets de défense conformément aux objectifs de l’OTAN, s’oppose au Pacte vert et au Pacte migratoire, et son parti s’est abstenu à plusieurs reprises lors des votes européens sur l’Ukraine.
Deux autres partis attirent l’attention par leurs positions tranchées : le SPD, pro-russe, appelle à quitter l’OTAN et l’UE, tout comme Stacilo !.
Dans ce contexte, le vent semble souffler du mauvais côté : face aux élargissements attendus par l’Europe, la République tchèque, quant à elle, pourrait se rapprocher d’une trajectoire illibérale. Néanmoins, le président Petr Pavel a averti qu’il refusera de nommer des ministres anti-UE/OTAN. Mais pourra-t-il réellement s’opposer à la volonté populaire, sans risquer d’être accusé de déni démocratique ?
Ces législatives sont cruciales : elles décideront si la Tchéquie restera un défenseur des valeurs européennes ou si elle tombera dans le giron illibéral, à l’image de la Hongrie.
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