L’échec humiliant de la coalition en feu tricolore (Ampel)
Il s’agit là d’une véritable gifle pour la coalition fédérale. En Thuringe, l’AfD n’est pas seulement le parti qui a gagné le plus de voix par rapport aux dernières élections régionales en 2019 (+9,4%), il est aussi le parti le plus puissant avec l’obtention de 32,8% des voix. La CDU est seconde mais loin derrière (23,6%), et les partis qui gouvernent actuellement l’Allemagne sont réduits à néant : les Verts et les Libéraux (FDP) n’entrent plus du tout au Landtag, et la SPD obtient seulement 6,1% des voix. Le nouveau BSW (Bündnis Sahra Wagenknecht) obtient 15,8%, et Die Linke enregistre les plus fortes pertes (-17,9%) et se retrouve à 13,1%. Si ce dernier parti n’a pas complètement disparu, c’est sans doute grâce à la grande popularité de Bodo Ramelow (Die Linke), qui a dirigé la dernière coalition entre Die Linke, SPD et les Verts.
Un résultat similaire se dessine en Saxe. Certes, la CDU l’emporte de peu sur l’AfD (31,9% contre 30,6%). Cependant, ici aussi, les Libéraux ne parviennent plus à entrer au Landtag. Le parti qui perd le plus de voix est à nouveau Die Linke (-5,9%) ; il n’entre au Landtag que grâce à ses mandats directs. Le fait que la CDU ait remporté les élections est certainement dû à la popularité du ministre-président Michael Kretschmer : 55% des électeurs sont satisfaits de son travail. Il a jusqu’à présent dirigé une coalition composée de la CDU, des Verts et de la SPD. Les résultats électoraux dans les deux Länder reflètent le mécontentement vis-à-vis du gouvernement fédéral : en Saxe, 81% des électeurs se disent insatisfaits du gouvernement ; en Thuringe, ce chiffre atteint même 82%.
AfD et BSW — les héritiers d’Hitler et de Staline ?
Non seulement l’AfD et, dans une moindre mesure, la CDU sortent vainqueurs des élections (dont le taux de participation est élevé dans les deux Länder), mais aussi le BSW, le nouveau parti de Sahra Wagenknecht, l’ancienne figure phare de la gauche allemande, parti qui a été créé il y a moins d’un an et qui a largement orienté les élections régionales à l’Est. Nombreux sont ceux qui espéraient qu’il affaiblirait l’AfD, car les positions des deux partis se recoupent en partie, par exemple en matière de politique migratoire ou de politique économique. Or les sondages montrent que les citoyens votent pour l’AfD et le BSW pour des raisons différentes. Les motivations qui sont le plus mises en avant en ce qui concerne l’AfD en Thuringe sont la lutte contre la criminalité et la politique de migration. En matière d’économie et d’emploi par exemple, les citoyens accordent nettement plus de crédit à la CDU. C’est ainsi que le candidat conservateur a pu empêcher l’extrémiste Björn Höcke d’obtenir un mandat direct ; ce dernier a failli ne pas entrer au Landtag (car même en tête de liste, il n’aurait pas eu de siège si tous les sièges de l’AfD avaient été gagnés par des mandats directs). En revanche, les électeurs ont voté BSW pour des raisons de justice sociale, en raison de l’opposition du parti à la politique du gouvernement en ce qui concerne la guerre en Ukraine et pour sa défense des intérêts « est-allemands ». Une situation tout à fait comparable se montre en Saxe. Le BSW a donc surtout pris des électeurs à la gauche. La situation est si inquiétante que le poète et auteur-compositeur-interprète Wolf Biermann, qui a été expatrié par les autorités de la RDA dans les années 70, n’hésite pas à exprimer à la fois la similarité et la différence entre le BSW et l’AfD en évoquant Hitler et Staline. Comparaison difficile, mais constatons que l’Est de l’Allemagne est tiraillé entre une extrême droite trop extrême pour Marine Le Pen et un parti populiste de gauche dont personne ne connaît encore les véritables intentions.
Le vote inquiétant des jeunes
« Nous considérons que l’aspiration de l’UE à se transformer en un super-État qui dirige de manière centralisée la vie de tous les citoyens européens (…) est une entreprise hostile à la liberté et à la prospérité, que nous rejetons fermement. » Cet extrait du programme électoral de l’AfD de Thuringe pour ces élections semble avoir convaincu les jeunes électeurs, qui se sont largement prononcés en faveur de l’AfD et donc contre l’avenir d’une Europe unie. En effet, le résultat des votes parmi les jeunes est particulièrement bouleversant : en Thuringe, 38% des citoyens entre 18 et 24 ans ont voté AfD, 16% Die Linke, 13% CDU et 12% BSW. En Saxe, 31% ont voté AfD, 18% CDU, 13% Die Linke et 10% BSW. Dans le premier Land, l’AfD est alors encore plus populaire parmi les jeunes que dans la population en général, et la tendance parmi les jeunes à voter de façon radicale penche presque exclusivement à droite.
Formation de coalition difficile dans les deux Länder
Une coalition entre la CDU et l’AfD serait possible aussi bien en Thuringe qu’en Saxe. De la part de la CDU, il existe toutefois une décision d’incompatibilité au niveau fédéral. En Saxe, une coalition entre CDU, SPD et BSW semble être la plus probable. On peut se demander comment la politique de la CDU peut s’accorder avec celle du BSW ; il suffit de se rappeler les différentes attitudes par rapport à la guerre en Ukraine pour mesurer l’abîme qui s’ouvre entre les deux partis. En Thuringe, la situation est encore plus préoccupante : une alliance entre CDU, BSW et Linke serait possible, mais la décision d’incompatibilité de la CDU s’applique également à Die Linke. Qui plus est, en Thuringe, l’AfD a atteint une minorité de blocage (32 sièges sur 88) : elle peut désormais bloquer des décisions qui doivent être prises à la majorité des deux tiers, ce qui concerne par exemple l’élection des juges de la cour constitutionnelle de Thuringe. En Saxe, en revanche, l’AfD a manqué de peu la minorité de blocage (40 sièges sur 120).
Un tournant historique, certes, mais reste à savoir si le gouvernement fédéral en tirera les conséquences nécessaires. Il faut désormais espérer que l’AfD se ridiculise devant la mission que les citoyens lui ont confiée, comme elle l’a déjà fait au niveau européen avec son Spitzenkandidat Maximilian Krah, dont le comportement a conduit à l’expulsion du parti du groupe Identité et Démocratie (ID). La capacité de la CDU, qui a adopté une ligne de plus en plus conservatrice ces derniers temps — ce qui a commencé avec l’élection de Friedrich Merz à la tête du parti en 2022 et l’engagement de Carsten Linnemann en tant que secrétaire général en juillet 2023, et ce qui s’est accentué récemment avec le durcissement de la rhétorique notamment en matière de politique migratoire —, à se rapprocher du parti de Sahra Wagenknecht sera déterminante dans les jours et les semaines à venir. On attend avec impatience les élections régionales dans le Brandebourg le 22 septembre ; là aussi, les estimations situent l’AfD en première position.
Suivre les commentaires : |