En Allemagne, la campagne accélère

, par Théo Boucart

En Allemagne, la campagne accélère
Le Bundestag siège à Berlin. CC Flickr / Herman

La tempête électorale française aurait presque fait oublier les élections législatives allemandes de septembre prochain. Tandis que la CDU d’Angela Merkel, au pouvoir depuis 2005, reprend le large dans les intentions de vote, le SPD de Martin Schulz joue la carte du social et creuse l’écart avec les Verts, les populistes de l’AfD et les libéraux du FDP, trois partis en difficulté.

L’année 2017 est riche en évènements politiques décisifs pour l’Europe. Après les élections législatives néerlandaises en mars et les élections présidentielles françaises en avril-mai, les électeurs allemands sont appelés aux urnes pour les élections fédérales en septembre après quatre ans de Grosse Koalition, entre la CDU majoritaire et le SPD minoritaire.

La course à la chancellerie s’est accélérée dès le mois de janvier avec la perspective de voir Martin Schulz, ancien président du Parlement Européen de 2012 à 2017, Spitzenkandidat (tête de liste) aux élections législatives pour le Parti social-démocrate allemand (SPD), ce qui s’est traduit par un bond impressionnant de ce dernier dans les sondages. En perte de vitesse, Angela Merkel et l’Union chrétienne-démocrate (CDU) ont tenté de réagir à ce changement de donne. A quatre mois du scrutin, voici un état des lieux de la campagne.

La CDU de la chancelière Merkel se donne de l’air en insistant sur la stabilité.

Alors que l’écart entre la CDU et le SPD était passé de 17 points à la mi-janvier, à 3 points trois semaines plus tard [1] [2]. Une sorte de « Schulzmania » s’était alors emparée du pays et avait atteint son paroxysme fin mars avec la nomination officielle de Martin Schulz à la tête du SPD. La victoire de l’ancien président du Parlement Européen devenait alors de plus en plus possible. Angela Merkel, chancelière depuis presque 12 ans était contestée jusque dans son propre parti, pour sa politique d’asile pour les réfugiés, inquiets de la montée du parti conservateur AfD (Alternative für Deutschland). D’aucuns pensaient même qu’elle tentait de remporter le mandat de trop.

Que s’est-il passé depuis ? La CDU, galvanisée par deux victoires électorales dans les Länder de Sarre et du Schleswig-Holstein, a repris de l’avance sur le SPD dans les sondages. Si les scrutins locaux ne donnent pas de visions claires sur la tendance nationale, il semble que la campagne de Martin Schulz marque le pas. Son manque d’expérience politique nationale contraste fortement avec la carrière et la stature d’Angela Merkel ainsi que son bon bilan économique. La CDU préconise la poursuite de la rigueur budgétaire et des allègements de cotisations sociales et patronales pour assurer le plein-emploi.

Les problèmes n’ont néanmoins pas disparu pour la chancelière, comme en témoigne la polémique autour de la « culture dominante », un article rédigé par le ministre de l’intérieur Thomas de Maizières sur les coutumes à adopter en Allemagne, ce que beaucoup à gauche ont vu comme une attaque contre les réfugiés et une manœuvre électoraliste. Les multiples scandales de harcèlement et de racisme dans la Bundeswehr (l’armée fédérale) fragilisent fortement la ministre de la défense, Ursula von der Leyen.

Le SPD esquisse un programme axé sur la justice sociale et l’investissement.

Après des débuts de campagne quasiment euphoriques, le candidat Schulz traverse une mauvaise passe. Son parti vient d’essuyer deux revers d’importance lors d’élections locales, et au niveau national, les intentions de vote baissent sensiblement (27-28% mi-mai). Pour redémarrer leur campagne, les sociaux-démocrates reviennent à leurs fondements doctrinaux : la justice sociale et l’investissement dans les infrastructures.

Le SPD a annoncé début mai un ensemble de mesures telles que l’augmentation des prestations sociales, des cotisations patronales, des salaires et des allocations chômages. Des propositions comme le renforcement de la codécision dans les entreprises (entre les actionnaires et les salariés) et des conventions collectives sont également étudiées. L’objectif de ces mesures est de retisser le lien entre le parti et les classes populaires et moyennes, mis à mal par les réformes libérales du chancelier social-démocrate Gerhard Schröder dans les années 2000, ce qui avait provoqué de grandes manifestations, la scission du parti et son affaiblissement durable au niveau national.

Le mot « investissement » revient également systématiquement dans la bouche de Martin Schulz. L’Allemagne dispose en effet d’excédents commerciaux (253 milliards d’euros en 2016) et budgétaires (24 milliards d’euros) records. Le candidat propose donc des investissements massifs dans le système éducatif et les infrastructures là où la CDU propose des baisses d’impôts généralisées. Les deux partis proposent donc deux projets économiques très différents et malgré quelques points communs sur des sujets de société (comme la sécurité), un compromis sera difficile à trouver en cas de négociation d’une nouvelle Grosse Koalition.

Les « petits partis » tentent de faire bonne figure.

A l’ombre des deux formations qui se sont partagé le pouvoir depuis 1949, quatre « petits » partis tentent de tirer leur épingle du jeu en proposant des projets de société très différents.

Die Linke et ses Spitzenkandidaten Sahra Wagenknecht et Dietmar Bartsch se sont lancés dans la campagne début avril avec un programme… résolument à gauche. Les mesures du parti incluent de fortes hausses d’impôts pour les plus riches, les patrimoines et les entreprises, une forte hausse du salaire minimum et des loyers plafonnés. Les valeurs défendues sont la paix, la tolérance et le désarmement massif de la société et du monde. Oscillant entre 8 et 10% depuis un an dans les sondages, le parti de la gauche radicale ne semble pas être en mesure de rentrer au gouvernement avec le SPD tant leurs différences sont grandes.

L’AfD est en difficulté. Le congrès de fin avril s’est soldé par l’éviction de la leader Frauke Petry et par la nomination de deux Spitzenkandidaten, Alexander Gauland et Alice Weidel, dans un climat de défiance palpable entre les cadres du parti de droite conservatrice fondé en février 2013. Son programme, outre la mesure phare de dissoudre la zone euro, est une synthèse entre le libéralisme économique (foi en la libre concurrence et déréglementations dans l’administration) et le conservatisme social (renforcement des moyens de la police et de la Bundeswehr, placer la famille et la culture allemandes au centre de la société). Les conflits internes et la droitisation des discours ont cependant effrayé une partie de l’électorat allemand et les intentions de vote se sont effondrées à 10% (contre 16% en septembre dernier). L’entrée du parti au Bundestag semble néanmoins acquise (il faut au moins 5% des voix au niveau national pour y rentrer).

Le parti écologique Bündnis 90 / die Grünen est également en crise. Les intentions de votes ont sensiblement baissé (actuellement à 7%) depuis l’attentat du marché de Noël de Berlin en décembre dernier et le débat sur la sécurité où le parti n’a quasiment rien proposé. L’écologie politique n’est plus porteuse dans un climat d’inégalités sociales grandissantes et les Verts ne parviennent pas à se poser en champion de la justice sociale. Les deux Spitzenkandidaten, Kathrin Göring-Eckhardt et Cem Özdemir sont aux prises à des divisions internes et une exclusion du Bundestag est possible. Une coalition avec le SPD est possible si celui-ci remporte les élections, mais c’est de moins en moins probable.

L’opposition extra-parlementaire, c’est exactement ce que le FDP, le parti libéral, a connu ces quatre dernières années. Sous l’impulsion de son jeune Spitzenkandidat Christian Lindner et porté par la dynamique de bons résultats électoraux locaux, le parti a remis en avant des thèmes comme l’éducation, la concurrence libre et non faussée et la protection des données personnelles sur internet par rapport à la vieille promesse (non tenue) de baisses d’impôts. Si le candidat libéral connaît un certain succès, le parti continue de stagner à 6-7% dans les sondages, dangereusement près de la barre des 5% sous laquelle les portes du Bundestag se ferment. La coalition probable est celle avec la CDU mais comme toutes les autres combinaisons, la faiblesse des « petits partis » rend possible des coalitions à trois, ce qui peut rendre le pays plus difficilement gouvernable.

Pour un couple franco-allemand de nouveau moteur de l’UE

Quelle que soit l’identité du futur chef du gouvernement allemand, celui-ci devra impérativement saisir la main tendue par le nouveau Président français Emmanuel Macron concernant les réformes nécessaires à la pérennité de l’Union européenne. Ni Angela Merkel, ni Martin Schulz ne peuvent se permettre de bloquer les propositions allant dans ce sens. Après une période de tensions, ce serait une occasion historique de reformer un couple franco-allemand fort, indispensable pour le projet européen tant les deux pays pèsent sur la scène continentale.

Mots-clés
Notes

[138%-21% le 16 janvier contre 34%-31% le 6 février

[2Tous les sondages donnés dans cet article proviennent de la Frankfurter Allgemeine Zeitung : Umfragen zur Bundestagswahl

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