« La situation était grave, mais qu’est-ce que cela prouvait ? Cela prouvait qu’il fallait des mesures encore plus exceptionnelles. » La Peste, Albert Camus, 1947.
Décembre 2019, des cas d’infections pulmonaires sont recensés en Chine, dans la province du Hubei. Provoquant un pneumonie atypique, cousin du SRAS ou du MERS-Cov, ce coronavirus, baptisé Covid-19 se propage dans toute la Chine, obligeant le gouvernement chinois à décréter le confinement total de villes entières dès le 23 janvier 2020, suite à l’alerte d’ « une situation d’urgence de santé publique à portée internationale » lancée par l’OMS.
Malgré les mesures drastiques imposées par la Chine, le virus se propage hors du pays sur le continent asiatique (Thaïlande, Philippine, Iran) puis européen avec l’Italie du Nord durant la troisième semaine de février, causant des milliers de morts à travers le monde. La situation s’accélère. Avec la circulation intense des individus et le haut degré de contamination, l’ensemble des États européens sont touchés sans que l’Union européenne soit capable de déployer une réponse adaptée à une pandémie devenue inexorable.
La nature a horreur du vide et le virus ne connaît pas de frontières. Les réponses des États de l’Union européenne sont brutales et unilatérales. La Pologne décide la fermeture de ses frontières aux étrangers, tout comme la Slovaquie et la République tchèque, de même que l’Allemagne de façon partielle à l’égard de la France, l’Autriche et la Suisse. Parallèlement, les États européens agissent au niveau interne pour appliquer le principe de distanciation sociale visant à diviser par dix les contacts et donc endiguer le virus. L’Italie puis l’Espagne décrètent l’état d’urgence nationale. La France adopte les mêmes principes quelques jours plus tard.
Les mesures sont draconiennes : interdiction de se déplacer sans raison valable prévue par la loi et le règlement ; fermeture des bars, discothèques, des écoles et des universités ; seuls les magasins alimentaires sont ouverts. En une semaine, l’Europe est mise sous cloche. Les bourses s’effondrent obligeant les États à prévoir des plans de relance et ce, sans susciter de réactions fortes de l’Union européenne. Pis, le sommet européen du 10 mars n’a pas permis une action concertée des mesures de confinement des États membres. Le 17 mars, à l’issue d’une réunion d’urgence et d’une proposition de la Commission européenne, les Vingt-Sept entérinent la fermeture totale des frontières de l’Union pour un mois.
Dans le même temps, l’Eurogroupe et la Commission valident les différentes mesures nationales de relance de l’économie en autorisant le non-respect du Pacte de stabilité budgétaire et une dérogation en ce qui concerne les aides d’État au profit des entreprises nationales. Malgré ces mécanismes exceptionnels qui enfreignent les principes formulés par les traités, force est de constater les lacunes et l’inertie de l’Union européenne. En une semaine, un virus apparu sur un marché de Wuhan en Chine fait vaciller les fondements de l’Union européenne.
Les réponses tardives de l’Union européenne révèlent une nouvelle fois le dysfonctionnement de ses institutions et l’impossibilité pour les États de régler par eux-mêmes des enjeux dépassant le seul cadre national tels que l’endiguement d’une épidémie.
Face à ce moment extraordinaire, nombre de politiques et d’éditorialistes n’hésitent pas à affirmer la fin de l’Union ainsi que le retour des frontières et de l’Etat-Nation qui seraient les seuls remparts face aux dangers provoqués par une mondialisation dérégulée. Or, si nous regardons d’un angle différent la situation, il est à noter que les décisions prises unilatéralement par les États les uns après les autres n’ont pas permis de contenir l’épidémie. Bien au contraire. C’est l’absence de coordination entre les États, articulée par une organisation supra-nationale qui a favorisé la propagation du virus.
Dès lors, plutôt que de sonner l’hallali et annoncer la fin de l’Union européenne, la crise du coronavirus, unique dans l’histoire contemporaine, ne serait-elle pas un mal pour un bien pour la construction européenne ? Ne serait-ce pas un tournant dans l’idéal européen formulé par les Pères Fondateurs de l’Union au sortir de la Seconde Guerre Mondiale ?
Car, malgré ses réussites indéniables (promotion de l’État de droit, des droits de l’Homme, monnaie unique, libre circulation, système juridictionnel, AIRBUS, absence de guerre entre États...), l’Union européenne a échoué dans son objectif de créer une organisation politique démocratique transcendant les intérêts nationaux particuliers en vue de sauvegarder la paix. Perçue comme une institution technocratique et économique fondée sur le dogme libéral et l’opacité, l’Union européenne ne parvient pas à susciter une adhésion totale de la part de ses citoyens. La ratification du traité de Lisbonne malgré le refus par référendum en France et aux Pays-Bas en 2005 du TECE constitue une plaie entre l’Union et les peuples qui ne semble pas se refermer.
Or, bien que la crise sanitaire et économique actuelle montre une nouvelle fois la nécessité d’une Union européenne toujours plus étroite, un changement de méthode doit être enclenché. A la méthode fonctionnaliste prévalant depuis 1957 doit se substituer une méthode politique inédite. Le discours de J. Fischer en 1999 devant le Parlement européen est plus que jamais d’actualité. Se questionnant sur l’efficacité de la « méthode Monnet » et conscient des limites des États au temps de la mondialisation, le ministre des Affaires étrangères allemand tentait de montrer l’importance d’une intégration politique afin de relever les défis posés par la mondialisation et surtout d’assurer « la gestion préventive des crises. ».
Cependant, l’intégration politique voulue par J. Fischer, désirée par les Pères Fondateurs comme Altiero Spinelli et formulée par Jacques Delors sous la formule « fédération d’Etats-Nation » fondée sur un texte constitutionnel régissant les rapports d’équilibre d’un « triangle Europe, nation et régions » ne sera possible que si l’Union européenne parvient à prévenir de telle crise. Or, en l’état actuel, l’Union est incapable de coordonner les politiques nationales de crise en matière sanitaire, économique voire sécuritaire. Elle ne vient qu’a posteriori valider les décisions adoptées par les États, alors qu’elle devrait être aux avants-postes face à des problèmes globaux. La crise du coronavirus en est l’exemple le plus éclatant.
Dans le jargon médical, la « crise » signifie le moment où une pathologie atteint son point culminant mettant le corps en danger de mort. En grec, la « crise » se définit comme la décision. En d’autres termes, la crise est le moment nécessitant un décision radicale afin d’éviter la mort du corps malade. Ne nous voilons pas la face. L’Union européenne est un corps malade. La crise du coronavirus et ses conséquences nous le prouvent un peu plus chaque jour. Il lui incombe de devenir le véritable moteur des prochaines décisions, de bouleverser sa logique économique et de coordonner les politiques nationales afin de susciter la confiance de ses citoyens en vue d’engager une prochaine étape politique décisive.
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