En défense de la loi – une manifestation contre la réforme de la Cour Suprême

, par Michał Wyrębkowski, traduit par Antonina Stępniak

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En défense de la loi – une manifestation contre la réforme de la Cour Suprême
Photo : Imgur.com

Il y a un an, la bataille pour l’indépendance du pouvoir judiciaire a commencé. Des manifestations générales ont alors abouti au veto présidentiel, qui a bloqué deux des trois réformes nuisant au troisième pouvoir. La réforme de la Cour suprême, signée par le président, est rentrée en vigueur le 3 avril 2018. Un de ses points les plus importants concerne l’âge de départ à la retraite des juges, et il devait rentrer en vigueur dans la nuit du 3 au 4 juillet. Les manifestants se sont alors de nouveau retrouvés devant la Cour suprême.

Le troisième pouvoir

Dans le cadre de la séparation des pouvoirs théorisée par Montesquieu, les juridictions exercent un rôle de contrôle sur les organes des pouvoirs exécutif et législatif – ainsi, elles constituent l’instance de dernier recours en cas de mesures illégales ou anticonstitutionnelles de l’exécutif. Le Tribunal constitutionnel est devenu la première victime de cette réforme et le catalyseur de l’opposition de la société au gouvernement. Car après les changements apportés par la réforme, le Tribunal donnerait carte blanche au gouvernement pour permettre d’apporter des modifications importantes aux règles du droit positif actuellement en place.

Il ne faut donc pas s’étonner que la Cour suprême soit rapidement rentrée dans le champ d’intérêt des gouvernants. Dans le droit polonais, la Cour suprême déclare la validité des élections et des référendums, ce qui témoigne de son rôle important pour le système politique de l’Etat. La nouvelle loi sur la Cour suprême a introduit un âge de départ à la retraite relativement bas pour les juges, qui est de 65 ans, prolongeable avec l’accord du président. En la comparant aux autres systèmes judiciaires, cette mesure est plus une exception qu’une règle. Prenons par exemple les Etats-Unis - ils n’imposent pratiquement pas d’âge de départ à la retraite aux juges de la Cour suprême qui sont choisis à vie. Et comme la première présidente de la Cour suprême polonaise a fêté ses 65 ans au moment de l’entrée en vigueur de la réforme, elle aurait dû partir à la retraite le 4 juillet.

Cependant, il est nécessaire de souligner que la Constitution polonaise consacre, à l’article 180, la règle de l’inamovibilité des juges. L’abaissement de l’âge de départ à la retraite des juges, ainsi que l’expiration du mandat de la présidente de la Cour suprême suite à l’entrée en vigueur de la réforme, portent donc atteinte à la Constitution. Il est aussi important de dire que le Tribunal constitutionnel a examiné la loi sur la Cour suprême, la déclarant partiellement incompatible avec la Constitution, sans pour autant se prononcer sur le mandat de la première présidente. Pour une réelle majorité des juges de la Cour suprême et des manifestants, le mandat de la première présidente devrait durer jusqu’en 2020, conformément à la règle constitutionnelle.

En défense de l’Etat de droit

Le matin du 4 juillet, le jour de l’entrée en vigueur de la réforme de la Cour suprême, la première présidente Malgorzata Gersdorf a trouvé une foule d’opposants à la réforme devant le siège de la Cour, située à la place Krasinskich. Lors d’une rencontre avec le président qui a eu lieu la veille, aucun accord n’a été trouvé. En résultat, les 27 juges de la Cour suprême qui ont atteint l’âge de départ à la retraite ont arrêté de statuer, du moins jusqu’à l’obtention de l’accord présidentiel de prolongation de travail. Car il faut noter que le président s’est réservé la possibilité de décider sur la continuation du travail des juges ayant fini 65 ans. En raison de son congé, la première présidente a désigné Jozef Iwulski comme son remplaçant (et non pas son successeur, comme le disent certains), qui a également passé l’âge de départ à la retraite.

Néanmoins, les Polonais rassemblés devant la Cour suprême ne manifestaient pas uniquement contre l’abaissement de l’âge de départ à la retraite des juges de la Cour. Cela était, et cela est toujours, une bataille pour des principes - les fondements d’un Etat démocratique, comme l’inamovibilité des juges ou l’indépendance des tribunaux - et plus généralement, une bataille pour le respect de la Constitution et des règles de l’Etat de droit. Cette querelle a de facto commencé au moment de la victoire du parti Droit et justice aux élections parlementaires et elle a profondément divisé la scène politique de la Pologne, ainsi que sa société. Cependant, dire que cette division est une division stéréotypée entre villes-campagnes, Est-Ouest, la Pologne libérale contre la Pologne conservatrice, serait une simplification criante de la situation. Malgré les apparences, cette dispute existe dans le cadre d’un même camp, prenant racine de la même source - Solidarnosc des années 1980. Les animosités internes, les ambitions des leaders et les dissensions personnelles sont la braise du conflit qui s’est transposé sur les fondements du régime étatique. Les réformes du système judiciaire ne sont pas basées sur la vision idéologique et autocratique du pouvoir, car celle-ci en réalité n’existe pas. La prise du contrôle sur le judiciaire a pour seuls objectifs le maintien au pouvoir et la légitimation de leurs actions.

Budapest sur Vistule

Au sein de l’opposition règne l’opinion que le régime politique polonais se transforme en autoritarisme rampant et en crépuscule de la démocratie libérale. On pense en général que la Pologne a choisi le modèle de l’orbanisation de la vie politique. On ne peut cependant pas comparer Varsovie et Budapest en toute proportion. En Pologne, la démocratie est déjà enracinée et les souvenirs de la loi martiale sont toujours présents, les citoyens n’accepteront donc pas un régime autoritaire. Dire que les Polonais sont prédestinés à la démocratie peut paraître abusif, il ne faut cependant pas oublier que la République des Deux Nations était le plus grand Etat démocratique de l’Europe moderne et le deuxième Etat dans le monde à s’être doté d’une Constitution, pour le respect de laquelle les Polonais se battent actuellement.

Nous pouvons tirer une autre conclusion de ces manifestations devant la Cour suprême. Une grande partie des jeunes impliqués dans la politique n’ont pas pris la défense du judiciaire. Ils ont pris pour objectif ACTA 2.0, en se basant sur une fake news. Les manifestations concernant la nouvelle directive de l’Union européenne n’étaient cependant pas grandes, et l’engagement des jeunes se limitait souvent à la communication de leur désaccord sur les réseaux sociaux. Les jeunes, déjà s’ils devaient s’affilier avec des partis politiques, d’après les sondages ils s’affilieraient avec des partis anti-système, tel Kukiz’15. Alors se pose la question - pourquoi les jeunes choisissent-ils populisme et radicalisme ?

D’un côté, il s’agit du privilège du jeune âge, qui consiste à contester des règles et autorités stéréotypées. Cependant d’un autre côté, la faute évidente revient au système éducatif qui n’apprend pas la réflexion critique aux jeunes et qui ne traite que brièvement des principes de la démocratie, dont des règles de l’état de droit. Les partis anti-système n’exigent pas de réflexion critique ni de connaissances de la part de leurs partisans et leurs programmes contiennent uniquement des postulats populistes, sans apporter aucune valeur ajoutée. Le judiciaire est un élément fondamental du système démocratique. Miner la confiance en ce pouvoir, ce que fait actuellement le parti Droit et justice, détruit la foi en l’état de droit démocratique, en particulier chez les jeunes. Si des lois néfastes peuvent être changées, il serait sans aucun doute plus difficile de restaurer la foi en les fondements de la démocratie.

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