En Europe occidentale, le danger est réel

Un article de la série « la liberté de la presse en Europe en 2020 »

, par Jérôme Flury

En Europe occidentale, le danger est réel
Au Royaume-Uni, pays de cette région d’Europe le moins bien classé en termes de liberté de la presse, les tabloïds se vendent bien mieux que les quotidiens de référence. Image : Gerd Altmann / Pixabay

Dernière étape de notre grand voyage et de notre série sur la liberté de la presse : l’Europe occidentale, où les divergences sont très grandes. Entre les très bons élèves Néerlandais et Suisses, les rassurants Allemands, Belges et Irlandais, et les inquiétudes légitimes en France et au Royaume-Uni, la liberté des médias reste globalement protégée mais fait face à des menaces de plus en plus grandes.

Dans le classement annuel de la liberté de la presse publié par Reporters sans frontières, certaines des plus nettes progressions sont à mettre à l’actif de l’Allemagne et de l’Irlande qui améliorent leurs indices respectivement de 2,44 et de 2,40 points et gagnent chacun deux places. Cependant, dans cette partie de l’Europe, ce sont les seuls pays à progresser. La France (-2), la Belgique (-3), le Royaume-Uni (-2), la Suisse (-2) et les Pays-Bas (-1) baissent tous dans la nouvelle édition du classement.

Cela est particulièrement inquiétant dans les cas de la France et du Royaume-Uni, qui arrivent en 34e et 35e positions. Les tensions sociales et politiques qui ont régné dans ces pays, que ce soit à travers le mouvement des Gilets jaunes ou à cause des conséquences d’un Brexit impossible à négocier, se sont en partie traduites par une augmentation des violences pesant sur les journalistes. L’assassinat de la journaliste Lyra McKee alors qu’elle assistait aux soulèvements de Derry en avril 2019 est une illustration frappante de la nécessité « de prendre des mesures pour assurer la sécurité des professionnels de l’information », comme le développe RSF dans son rapport.

Politiques agressives, coupes budgétaires et lois polémiques

Les pressions politiques sur les journalistes sont de plus en plus grandes. Aux Pays-Bas, « des politiciens populistes extrémistes attaquent la légitimité des médias établi », en Suisse, plusieurs actions en justice ont été engagées par des élus politiques contre des journalistes, à Genève et à Lausanne, ce qui constitue là une nouveauté. Chez le voisin français, de nombreuses intimidations judiciaires visant les journalistes d’investigation afin d’identifier leurs sources. Ainsi des journalistes enquêtant sur la vente d’armes par la France à l’Arabie saoudite ou travaillant sur l’affaire Benalla ont été convoqués par les services de renseignement. Et la liberté de publication a même été encore plus contrainte au Royaume-Uni où la police municipale de Londres a engagé des poursuites contre la publication d’informations confidentielles provenant de câbles diplomatiques en la qualifiant d’« affaire criminelle ». D’autres démarches judiciaires ont été entreprises notamment concernant l’affaire de diffamation lancée par Arron Banks contre la journaliste Carole Cadwalladr. Et chez le voisin irlandais, les poursuites pour diffamation sont fréquentes et les dommages et intérêts colossaux. Ce qui peut pousser à l’auto-censure alors que le domaine reste précaire.

L’autre danger majeur pour les journalistes d’Europe occidentale relève justement du domaine économique. En Suisse, la concentration croissante dans le domaine de la presse écrite francophone s’est traduite par la disparition de plusieurs titres emblématiques, comme L’Hebdo en 2017, bientôt suivi par d’autres comme Le Matin publié uniquement sur le web depuis l’été 2018. Quant à Le Temps, 24Heures et La Tribune de Genève, ils ont eux aussi dû réduire leur distribution et augmenter l’offre payante sur Internet. En Irlande aussi, la forte concentration menace : le groupe Independent News and Media (INM) détient une large part du marché des quotidiens et des journaux du dimanche. Le secteur de la radiodiffusion est lui dominé par l’entreprise semi-publique RTE. En Allemagne aussi, des titres continuent à disparaitre, tandis qu’en Belgique, le manque de moyens et les coupes budgétaires décidées par le gouvernement flamand ont été largement décriées.

Des signaux positifs

Pour autant, le désespoir n’est pas permis en la matière. Les journalistes n’ont pas hésité à lever la voix pour faire entendre leurs revendications et des grèves se sont déroulées en France, mais également - fait rarissime - en Suisse en 2018. Et dans les pays voisins également de telles protestations ont pris place, comme en Belgique où les journalistes de la télévision néerlandophone VRT en Flandre ont défilé pour dénoncer les coupes budgétaires. Les citoyens aussi se mobilisent pour préserver leurs médias : le 4 mars 2018, l’initiative populaire « No Billag », qui proposait le démantèlement du service public audiovisuel par la suppression de la redevance, a été rejetée massivement par 71,6% des votants après une campagne qui a notamment mobilisé les milieux politique et artistique.

Globalement, la situation dans cette partie d’Europe reste bonne. Sur la situation aux Pays-Bas, le mieux classé de ces pays, RSF rappelle que « les médias néerlandais restent totalement indépendants. Le gouvernement respecte la liberté de la presse aux Pays-Bas et à l’étranger ». Et les efforts des autorités hollandaises ont payé concernant la protection des journalistes contre les tentatives d’intimidation ou même d’assassinat. Et alors que certains titres mettent la clé sous la porte, d’autres naissent comme en Suisse où plusieurs éditions numériques indépendantes ont émergé ces deux dernières années : Republik (Zurich), Bon pour la tête (Lausanne) et Heidi.news (Genève).

Et outre les garanties historiques existant dans ces Etats, comme l’article 5 de la Loi fondamentale allemande et la jurisprudence de la Cour constitutionnelle dans ce pays, des engagements récents semblent démontrer un attachement à la liberté de la presse. Le Royaume-Uni a ainsi accueilli la Conférence mondiale pour la liberté de la presse et assuré la coprésidence de la nouvelle Coalition pour la liberté des médias. Et dans les faits, des décisions fortes ont été prises, notamment en Irlande où l’abrogation du délit de blasphème a été décidé par référendum en octobre 2018.

Une liberté à protéger

Malgré ces points favorables, la sécurité des journalistes est en danger. Les agressions sont inquiétantes. Aux Pays-Bas, « les attaques sur internet, les menaces de mort contre les journalistes et leur famille semblent presque incessantes », alerte RSF. La situation la plus préoccupante est sans doute celle de la France où « l’année 2019 a été marquée par une hausse très inquiétante d’attaques et de pressions contre les journalistes ». Plusieurs ont été blessés en couvrant des grèves et des manifestations notamment lors du mouvement des Gilets jaunes. Et plus récemment, c’est en Allemagne que des attaques ont eu lieu.

Désormais, l’une des clés se trouve peut-être dans le domaine législatif. Partout, les discussions se multiplient. La loi sur la diffamation devrait être révisée prochainement en Irlande. Aux Pays-Bas, les journalistes demandent une clause d’exemption à la nouvelle législation en vertu de laquelle les citoyens néerlandais se rendant dans une zone contrôlée par un groupe terroriste doivent demander une autorisation préalable auprès du ministère de la Justice. Les institutions doivent être les garantes de la liberté de la presse et la décision du Conseil d’Etat belge de révoquer une proposition de loi de l’ex-ministre des Affaires étrangères belge Didier Reynders, dont un article réprimait pénalement tout informateur divulguant une information classifiée, est à souligner. Oui l’Europe occidentale reste en 2020 l’une des régions du monde les plus sûres en matière de liberté de la presse, mais le danger est réel.

Lors de notre série spéciale « liberté de la presse en Europe en 2020 », retrouvez également des articles plus détaillés sur la liberté de la presse en : France, Allemagne, Suisse, Pays-Bas, Royaume-Uni et Irlande

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