En Grèce, la parole se libère sous l’effet de la vague #MeToo

, par Samuel Touron

En Grèce, la parole se libère sous l'effet de la vague #MeToo
Wikimedia Commons

En janvier 2020, Ekaterini Sakellaropoulou devenait la première présidente de la Grèce, un séisme, dans un pays à la réputation « macho » mais qui a pourtant fait des progrès plus que louables pour atteindre l’égalité des sexes, conformément aux objectifs fixés par l’UE. La libération de la parole, ainsi rendue possible, a fait éclater en Grèce, la vague #MeToo qui touche particulièrement le milieu du sport et de la culture. En quelques jours, fin février, des milliers de plaintes pour des faits de violences sexuelles ont été déposées, ébranlant le pays tout entier.

Au pays des Jeux Olympiques, c’est d’une athlète, double médaillée olympique de voile, ayant obtenu l’or en 2004 à Athènes et le bronze en 2008 à Beijing, qu’est parti le mouvement #MeToo grec. Lors d’une visioconférence, en présence de la ministre de la Culture et des Sports, Lína Mendóni, Sofia Bekatorou a révélé avoir été victime de violences sexuelles et de harcèlement. de la part d’un haut-placé de la fédération grecque de voile. Ces faits se sont déroulés alors que la carrière de l’athlète n’en était encore qu’à ses commencements. En 1998, Sofia Bekatorou a 21 ans. Elle est en pleine période de préparation des Jeux Olympiques de Sydney et est encore relativement inconnue dans le monde de la voile. Afin de ne pas pénaliser l’équipe olympique grecque et pour pouvoir continuer à pratiquer sa passion, Sofia Bekatorou taira les agressions dont elle fut alors la victime. Plus de 20 ans après les faits, à la suite d’une carrière de sportive brillante, Sofia Bekatorou a libéré la parole de milliers de sportives grecques en revenant sur l’horreur qu’elle a vécu dans cette chambre d’hôtel.

Le milieu du sport est prédisposé et surexposé aux violences sexuelles

Le drame vécu par Sofia Bekatorou n’a malheureusement rien d’anodin. Le milieu du sport reste particulièrement propice aux agressions sexuelles. Absence de contrôles de la part des ministères des sports, position d’autorité des entraîneurs et encadrants, ambitions des jeunes athlètes isolés de leur famille et de leurs amis, protection des entraîneurs et encadrants coupables de violences sexuelles par des fédérations sportives soucieuses de préserver la qualité sportive de leurs équipes etc…Les raisons qui font du sport un milieu ultra-exposé aux violences sexuelles sont nombreuses.

Aucun pays, aucune fédération n’est épargnée : en France, celles de motocyclisme et d’équitation en ont fait les frais, ayant objectivement camouflé les actions criminelles de leurs entraîneurs et encadrants. Ces dernières n’ont pas été dissoutes, témoignant là aussi que les ministères des sports ferment le plus souvent les yeux sur ces crimes. Une situation intolérable et inadmissible. À tous les niveaux, les violences sexuelles et l’omerta règnent, ainsi, en octobre 2020, un entraîneur du club d’athlétisme de Béziers a été accusé de viols par six athlètes du club dans le cadre de déplacements en mini-bus pour des compétitions. Si les exemples que nous mobilisons ici sont français, cet état de fait est valable partout dans le monde. pas un seul pays, de la Norvège au Turkménistan, n’est épargné, et la Grèce n’échappe évidemment pas à la règle. Les mots de Sofia Bekatorou sont d’une force inouïe, ils brisent le tabou des violences sexuelles dans le monde du sport et sont d’une puissance incroyable pour tous les sportifs de Grèce, d’Europe et du monde, victimes qui ne parlent pas ou que l’on ne veut pas écouter, pour qui, une passion, un rêve, celui de décrocher un titre mondial ou une médaille olympique se transforme en drame, en désastre, celui d’être violé dans les vestiaires, dans une chambre d’hôtel ou à l’arrière d’un mini-bus par la personne censée prendre soin de nous. La violence symbolique de ces actes est effroyable.

Après le sport, c’est au tour de la parole dans le monde de la culture de se libérer

La Grèce n’est pas seulement le pays des Jeux Olympiques, c’est aussi le pays du théâtre. Après le sport, quoi de plus logique que la culture pour poursuivre cette libération de la parole face aux violences subies ? Le 8 février, Giorgos Kimoulis, un monument du cinéma grec, considéré comme l’un des meilleurs acteurs du pays, est déprogrammé du Festival d’Athènes et d’Épidaure. Le même jour, Petros Filippidis, autre géant du cinéma hellène, est licencié par la chaîne de télévision publique grecque ERT. Quelques jours plus tard, c’est au tour de Dimitris Lignadis, directeur artistique du Théâtre national de Grèce de remettre sa démission à la Ministre de la culture et des sports.

Si ces trois « grands » du milieu médiatique et culturel grec nient bien évidemment les faits, appelant à l’attente d’un procès en sachant pertinemment que la plupart des faits dont ils sont accusés seront proscrits, l’intérêt est ailleurs. En rappelant incessamment, les actes dont se sont rendues coupables ces personnes que nous pouvons - si la justice ne tient pas à le faire - qualifier de « criminels ». En dénonçant ces actes nous pouvons participer à leur fin médiatique et à la fin des agissements de leurs pairs en montrant la sanction qu’ils encourent. C’est là que réside tout l’intérêt du mouvement #MeToo.

Les Grecs ont bien compris cet intérêt puisqu’en l’espace de quelques semaines, plusieurs milliers de plaintes ont été enregistrées, ciblant des personnalités et des inconnus du monde du sport, de la culture, de l’audiovisuel ou encore de la politique. Sofia Bekatorou s’est d’ailleurs félicitée de l’ampleur du mouvement déclarant sur Twitter : « Je suis heureuse car beaucoup de personnes s’expriment publiquement, parlent des agressions subies et se tournent vers les autorités ».

La Grèce, un pays en retard sur l’égalité des sexes ?

L’erreur à faire serait de considérer que la vague #MeToo frappe la Grèce du fait de son retard dans l’égalité des sexes et du fait que le pays, méditerranéen, aurait des lois plus arriérées et plus machistes que ses voisins européens. Rien n’est plus faux. En effet, si le mouvement #MeToo touche désormais la Grèce c’est du fait de l’adoption d’une législation ambitieuse en matière d’égalité des sexes permettant d’entendre la voix de celles et ceux qui sont victimes de violences sexuelles. Sans cette mise en confiance, c’est la loi du silence, #MeToo est donc un signe plutôt positif pour les sociétés touchées car, oui, aucune société n’est épargnée par les violences sexuelles.

En outre, si l’élection d’Ekaterina Sakellaropoulou à la présidence grecque a été un symbole, un véritable arsenal législatif a été adopté pour mettre la Grèce au niveau des attentes européennes en matière d’égalité des sexes. Une loi prévoit désormais que 40% des élus au parlement grec, au sein des conseils municipaux et des comités publics doivent être des femmes. Depuis la fin des années 1990, l’emploi des femmes n’a pas cessé d’augmenter et le pays a ratifié en 1983 la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes. Le pays octroie également aux femmes migrantes sans papiers le droit de disposer d’un permis de travail et de résidence, une loi quasi-unique au monde. Cependant, des efforts considérables restent encore à faire tant le poids des traditions est fort dans le pays. Si 60 % des étudiants dans les universités du pays sont des femmes, ces dernières assurent toujours très massivement l’essentiel des travaux domestiques et le viol marital n’est toujours pas considéré comme un crime par le Code Pénal. Un travail immense reste ainsi à accomplir, comme dans un grand nombre de pays européens Le mouvement #MeToo pourrait accélérer les réformes entamées et montrer que même dans une société à tradition très patriarcale, des changements massifs et ambitieux sont possibles.

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