Instruits par leur histoire séculaire, les Européens doivent demeurer prudents, mais ils ne peuvent rester sans réagir et doivent le faire de manière appropriée, sans perdre leur sang froid.
Les frontières actuelles de l’Ukraine, pays à l’histoire tourmentée, sont récentes. Elles sont le fruit de rectifications souvent machiavéliques dont les hiérarques communistes étaient friands et qui se sont poursuivies jusqu’en 1954. Dans ces frontières, l’Ukraine n’a recouvré son indépendance qu’en 1991. Au cours de leur vie, nombre de ses habitants ont changé de nationalité plusieurs fois sans déménager.
Une analyse rapide de la situation a pu amener certains commentateurs à prévoir, à anticiper, voire à souhaiter, une partition du pays entre un Ouest perçu comme pro-UE et un Est prétendument et « naturellement » russophile parce que russophone.
Plusieurs experts mettent en garde contre cette vision simpliste : l’usage d’une langue ne détermine pas une nationalité ! Les déclarations de nombreux Ukrainiens, même à l’Est, invitent à la plus extrême prudence. L’exemple des printemps arabes appelle les plus grandes précautions. On constate simplement aujourd’hui que le peuple ukrainien, transcendant ses divers courants et dans un élan très largement partagé, s’est libéré du joug d’un pouvoir dictatorial corrompu et – il l’a montré sur sa fin – sanguinaire, au prix du sacrifice d’au moins 82 morts et de centaines de blessés.
Chacun savait qu’une certaine proportion de la population ukrainienne demeurait nostalgique de l’URSS d’autrefois. Il n’est pas étonnant que Monsieur Poutine, dans ses visées nationalistes et impérialistes, tente de l’instrumentaliser. Mais, en vertu de traités entre États souverains, la présence permanente de la flotte d’un État dans les ports d’autres États n’est en rien exceptionnelle et ne saurait justifier une invasion militaire. Elle ne menace la souveraineté ni des uns, ni des autres.
Ce qui se joue en Ukraine, par delà la fierté et le patriotisme des Ukrainiens, c’est bien la crédibilité des pays occidentaux. Celle des États-Unis et du Royaume-Uni qui, en 1994, se sont portés garants – avec la Russie ! – de l’intégrité territoriale du pays, mais plus précisément celle de l’Union européenne.
Il est aisé, au café du commerce, de tancer la diplomatie de l’UE pour son inefficacité. Inefficacité ? Voire ! L’UE n’a pas d’armée. Ses membres, divisés dans leur approche et leur conduite de politiques extérieures qu’ils prétendent chacun incontestables, s’ingénient à annihiler toute velléité de construire un Service européen d’action extérieure (SEAE) digne de ce nom. Madame Ashton, choisie pour jouer un rôle mineur, ne peut éternellement être mise en cause : au lieu d’en attendre ou de la laisser prendre des initiatives guidées par la recherche de l’intérêt commun des citoyens et des peuples européens, les « grands » États membres l’ont placée sous une tutelle permanente. Dans ces conditions, s’indigner ou se désoler de l’impuissance de la diplomatie de l’UE relève de la mauvaise foi. Il se trouve cependant que, se substituant au SEAE, dont le traité de Maastricht faisait le 2e pilier de l’Union, les ministres des Affaires étrangères d’Allemagne, de Pologne et de France étaient parvenus tant bien que mal à poser les fondements d’une résolution de la crise Ukrainienne, au moins provisoirement. L’UE avait donc semblé, jusqu’ici, continuer de mériter son Prix Nobel de la Paix. Mais la voilà maintenant mise en demeure de se montrer digne de l’estime que beaucoup lui portent. Du piège qui lui est délibérément tendu, elle doit se sortir avec grandeur.
Dans un contexte si évolutif, les fédéralistes insistent particulièrement sur deux points.
1. Il faut s’opposer vigoureusement à toute partition d’un État dont les citoyens, dans leur apparente majorité, accordent à l’Union Européenne un crédit moral dont elle doit demeurer digne. Les fédéralistes savent bien que si, au sein d’un État deux ou plusieurs entités manifestent des particularités fortes, la seule réponse envisageable est l’instauration de dispositions à caractère fédéral. En dépit de ce que certains prétendent, on n’en n’est pas encore là en Ukraine.
2. Il faut de toute urgence exiger une politique européenne étrangère, de défense et de sécurité efficace et crédible. Cela commencera par un SEAE autonome, tourné vers le bien commun des Européens. Attendre des diplomates des États membres de l’UE, préoccupés par la défense des intérêts nationaux, qu’ils prennent en charge avec application les besoins légitimes de l’ensemble des peuples européens, c’est faire fi d’inévitables conflits d’intérêts. Il faut libérer le SEAE des entraves que lui infligent des États jaloux de prérogatives désuètes, lui accorder les moyens dont il a besoin et le laisser jouer son rôle. Le bras armé de cette politique sera constitué d’une force européenne d’action rapide pouvant être mise en œuvre sans tergiverser dans les limites d’un cadre prédéterminé.
La crise ukrainienne, c’est l’affaire de l’Union dans son ensemble. Aucun État membre, par même un groupe d’États, ne peuvent prétendre s’exprimer au nom de l’Union. Si, dans le cas présent et en l’absence d’une politique commune, l’action diplomatique de l’UE a relevé d’une approche intergouvernementale classique, et non d’une vision supranationale, la conduite des affaires communes doit constituer une souveraineté commune, confiée aux institutions communautaires.
Le Parlement européen, en tant que tel, doit être régulièrement saisi de la politique menée en Ukraine au nom des citoyens et des peuples européens.
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