Enfin un commissaire pour la défense et l’industrie spatiale !

, par Mathis Puyo

Enfin un commissaire pour la défense et l'industrie spatiale !
Andrius Kubilius, commissaire désigné à la défense et l’industrie spatiale. © Commission européenne

Ce fut long mais espérons que l’attente en valait la peine. En annonçant la composition de son collège des commissaires, Ursula von der Leyen semble faire de la défense et l’industrie spatiale un secteur dans lequel l’UE a enfin son mot à dire. Anciennement réparties entre la DG DEFIS (Defence Industry and Space) et la DG GROW (Internal Market, Industry, Entrepreneurship and SMEs), les questions de défense et d’industrie spatiale sont enfin rassemblées dans un seul et même portefeuille. C’est un premier pas, d’autres doivent suivre. C’est le lituanien, Andrius Kubilius qui aura la lourde tâche de réveiller la défense et l’industrie spatiale au sein de l’UE. Bon courage.

Un soutien indéfectible de l’Ukraine

Deux fois ancien Premier ministre de la Lituanie, puis réélu député européen après un premier mandat débuté en 2019 au sein du Parti Populaire Européen, Andrius Kubilius s’avance comme un connaisseur des problématiques industrielles de l’UE. Membre de la commission sur l’industrie, de la recherche et de l’énergie, de la commission des affaires étrangères et de la sous-commission des « Droit de l’homme » depuis 2019, le lituanien est un fervent partisan de l’aide financière et militaire pour l’Ukraine. Il a déjà proposé deux résolutions conjointes avec d’autres députés pour la poursuite de l’aide à l’Ukraine. Dans un débat en séance plénière à Strasbourg du 17 septembre, Andrius Kubilius a mis en avant l’insuffisance de l’aide de l’UE à l’Ukraine. Il a aussi ajouté la nécessité de trouver des ressources financières plus larges afin d’accélérer la production de l’industrie d’armement européenne. C’est l’un des nombreux défis que le nouveau commissaire devra relever.

Une situation d’urgence

Le conflit en Ukraine initié par Vladimir Poutine en février 2022 a suscité une réaction vigoureuse de l’Union européenne. Bien que l’Ukraine ne soit pas un État membre, son invasion constitue une violation du droit international, d’autant plus que les justifications avancées par la Russie sont des attaques directes contre les valeurs de l’UE. Comme le rappelle Andrius Kubilius dans son intervention du 17 septembre au Parlement européen, la sécurité de l’Ukraine est celle de l’UE. Celle-ci a décidé de soutenir Kyiv par des livraisons d’équipements, mais la question de la production d’armement en Europe s’est rapidement posée. Pour permettre à l’Ukraine de se défendre, les pays européens doivent inévitablement renforcer leurs capacités militaires. Cela exige une réorganisation de la production d’armement, mais les États membres empruntent des voies divergentes.

D’après l’Agence Européenne de la Défense (AED), la sommes des budgets militaires de l’UE pourrait atteindre 284 milliards d’euros en 2025. Il constituerait alors le troisième budget derrière celui de la Chine et des Etats-Unis. Les moyens ne manquent pas mais la mise en commun des budgets de défense des pays européens n’est pas à l’ordre du jour. Outre les questions de souveraineté, les armées européennes, bien qu’elles identifient la Russie comme menace principale, n’ont pas les mêmes objectifs et besoins capacitaires. En revanche, l’absence de véritables coopérations industrielles handicapent l’UE et favorisent l’industrie d’armement américaine. Les risques de décrochage industriel sont présents.

Des fondations à consolider

Dieu merci, l’Union européenne ne part pas de zéro. Cependant, elle n’a pas été un maître en matière d’anticipation. En 2017, le Fonds Européen de la Défense (FED) est créé. Il vise à soutenir les projets transnationaux impliquant trois industriels provenant de trois pays membres différents, avec un budget de 8 milliards d’euros réparti sur six ans. Le FED représente l’un des premiers outils de l’UE pour développer une industrie européenne de la défense. En lien avec le FED, l’European Defence Innovation Scheme est dédié aux PME en tant que source de financement, bien que son budget global reste beaucoup trop modeste par rapport aux enjeux, avec 224 millions d’euros. Des mesures d’urgence comme l’Act in Support of Ammunition Production (ASAP) témoignent d’une prise de conscience, en facilitant la livraison de missiles et de munitions à l’Ukraine tout en garantissant le réapprovisionnement des stocks des pays de l’UE.

Plus récemment, un autre mécanisme d’aide, l’European Defence Industry Reinforcement through common Procurement Act (EDIRPA), a été mis en place. Il permet l’acquisition conjointe d’équipements militaires, avec un budget limité à 300 millions d’euros, dont au moins 65 % des composants doivent être produits dans un pays de l’UE et achetés par au moins trois pays membres ou associés. Enfin, la Defence Equity Facility vise à permettre à la Commission et au Fonds Européen d’Investissement (FEI) d’utiliser 175 millions d’euros issus du FED et du FEI pour faciliter l’accès des PME aux investissements en fonds propres, notamment celles développant des technologies à double usage susceptibles de contribuer à la défense et à la sécurité de l’UE.

La Stratégie industrielle européenne de Défense : l’élaboration récente d’un cadre

Le 5 mars 2024, la Commission européenne a révélé la Stratégie industrielle européenne de Défense (European Defense Industrial Strategy, EDIS). L’objectif est d’aboutir à une orientation commune de l’industrie de la défense européenne pour transformer durablement la Base Industriel et Technologique de Défense Européenne (BITDE) à travers l’achat d’équipements militaires de manière collaborative, la consécration de budgets spécifiques aux marchés publics européens et le renforcement des échanges commerciaux de défense intra-UE. Pour cela, la Commission européenne a créé un fond de 1,5 milliards € sur la période 2025-2027. De plus, elle peut mobiliser un arsenal législatif préexistant tout en le modernisant avec la création d’un comité de préparation industrielle de défense pour améliorer la transparence, la coordination et la cohérence des marchés publics. Il s’agit d’encourager les marchés publics communs à travers le European Defence Industry Reinforcement through common Procurement Act (EDIRPA). Le commissaire pourrait faire appel à la Banque Européenne d’Investissement qui exclut de sa politique de prêt des activités en lien avec la défense ou encore mettre en avant l’idée d’une exonération de TVA sur les produits militaires.

Des défis colossaux

La mission de Andrius Kubilius s’annonce ardue. La défense reste une prérogative des Etats-membres. Les dirigeants s’en emparent dans une course à l’enchère pour la souveraineté. De plus, l’article 346 du TFUE institue une exception pour le domaine de la défense. En bref, le commissaire à la défense et l’industrie spatiale devra être un maître dans la coordination et la coopération. Il sera notamment amené à collaborer avec l’estonienne et future Haute représentante de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, Kaja Kallas, mais aussi avec le français Stéphane Séjourné, nommé vice-président exécutif pour la Prospérité et la stratégie industrielle dont l’une des missions est d’assurer le redressement industriel de l’UE. L’un des premiers objectifs sera dé dégager un budget. Les 1,5 milliard de l’EDIS sont faméliques. Andrius Kubilius se prononce notamment en faveur d’un fonds de relance pour la défense et pour l’utilisation des eurobonds. L’ancien commissaire européen au marché intérieur, Thierry Breton, évoquait un budget de 100 milliards € pour développer et renforcer la défense européenne. Par ailleurs, le récent rapport de Mario Draghi sur la compétitivité de l’UE avance des idées nouvelles avec notamment une division du travail de l’industrie d’armement et la préférence européenne pour l’achat militaire. Ces recommandations devraient inspirer le lituanien.

L’industrie spatiale est elle aussi à un tournant. Si le lancement d’Ariane-6 fut un succès, il ne faut pas oublier les quatre années de retard du projet. Le modèle du NewSpace et ses réussites remettent en question la stratégie des européens. D’après Enrico Letta et son rapport sur l’avenir du marché unique, une plus grande intégration est nécessaire pour assurer la pérennité de l’industrie spatiale européenne. Le budget alloué au spatial était de près de 14 milliards d’€ dans le CFP 2021-2027 alors que le budget de la NASA pour la seule année 2023 dépassait les 25 milliards de dollars. L’une des tâches les plus importantes sera le lancement de la constellation de satellites Iris2 (Infrastructure for resilience, interconnectivity and security by satellite). L’objectif premier est de garantir l’indépendance dans la collecte et l’utilisation des données spatiales.

Si l’on peut se réjouir de la nomination d’un commissaire pour la défense et l’industrie spatiale, tout reste à faire. En fin de compte, c’est sûrement le New York Times qui résume le mieux la situation : « A king without a Kingdom ». A vous de jouer monsieur Kubilius.

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