La guerre en Ukraine réveille l’UE
Le 24 février 2022, la Russie déclenche l’opération spéciale en Ukraine, réveillant l’Union européenne de son rêve de paix. En effet, après la chute de l’URSS, l’UE semblait frôler l’utopie d’un continent assurant sa prospérité à travers la coopération politique, économique, sociale, etc. Elle s’est successivement élargie à l’est en 2004 et 2007 tout en construisant un partenariat stable et durable avec la Russie. En 2008, les premières accroches débutent avec l’occupation de l’Abkhazie et de l’Ossétie du Sud par les troupes russes puis les relations se dégradent après l’invasion de la Crimée en 2014. Toutefois, l’UE, guidée par une Allemagne soucieuse de pérenniser son modèle de croissance, reste convaincue que son interdépendance économique avec la Russie évitera une confrontation directe. Les pays de l’UE ont largement profité des dividendes de la paix engendrés par la diminution des budgets de défense. De plus, la prépondérance de l’OTAN dans la politique de défense des Etats membres et la bienveillance de l’Oncle Sam ont installé l’UE dans une fauteuil dans lequel il est difficile de sortir.
La guerre en Ukraine lancée par Vladimir Poutine a entraîné une réaction forte de l’UE. Si l’Ukraine n’en est pas un membre, son invasion constitue une violation du droit international d’autant plus que les justifications russes sont des attaques frontales des valeurs de l’UE. Cette dernière fait le choix de soutenir Kiev à travers des livraisons d’équipements mais très rapidement se pose la question de la production d’armement en Europe. Afin de permettre à l’Ukraine de se défendre, les pays de l’UE doivent de facto se réarmer. C’est une production d’armement qu’il est nécessaire de réorganiser mais les Etats membres choisissent des chemins différents. Emmanuel Macron évoque à maintes reprises « une économie de guerre », l’Allemagne annonce mettre fin à son pacifisme avec la Zeitenwende tandis que la Pologne procède à un réarmement massif en multipliant les importations d’équipements. Les pays de l’UE s’accordent sur le réarmement mais la direction diffère…
In varietate concordia
L’Union européenne compte parmi ses rangs les plus gros producteurs d’armement. Si l’on regroupe les budgets de défense des Etats membres de l’UE en un seul, ce dernier atteint près de 236 milliards d’euros en 2022, soit une augmentation de 11% par rapport à 2021. La Finlande, suivie de la Suède et la Pologne ont connu les plus fortes hausses de budget. En 2023, seulement 7 pays de l’UE ont rempli l’objectif des 2% de PIB en dépenses militaires tandis que 13 pays membres sont en dessous de 1,5%. D’après l’Agence Européenne de la Défense (AED), la sommes des budgets militaires de l’UE pourrait atteindre 284 milliards d’euros en 2025. Il constituerait alors le troisième budget derrière celui de la Chine et des Etats-Unis. Les moyens ne manquent pas mais la mise en commun des budgets de défense des pays européens n’est pas à l’ordre du jour. Outre les questions de souveraineté, les armées européennes, bien qu’elles identifient la Russie comme menace principale, n’ont pas les mêmes objectifs et besoins capacitaires. En revanche, l’absence de véritables coopérations industrielles handicapent l’UE et favorisent l’industrie d’armement américaine. En 2022, l’industrie de la défense de l’UE rassemble près de 500 000 emplois avec un revenu de 119 milliards d’euros et près de 45 milliards d’euros pour les exportations. Ces chiffres sont colossaux et peuvent rassurer sur l’état de l’industrie de la défense de l’UE. Cependant, ils cachent la concurrence que se livrent les européens.
Le projet SCAF rassemblant, la France, l’Allemagne et l’Espagne est en concurrence avec le projet Tempest des Italiens, des Suédois et des Britanniques. Le char du futur (MGCS) devant remplacer le français Leclerc et l’allemand Leopard II patine malgré l’arrivée récente de l’industriel italien, Leonardo. Si l’industriel terrestre KNDS est le fruit d’une fusion entre l’allemand KMW et le français Nexter, le groupe possède d’autres concurrents européens de constructeur de blindés : Romarm en Roumanie, Kongsberg en Norvège ainsi que les industriels américains. Pour les hélicoptères, il existe deux principaux fabricants :la branche spécialisée de l’italien Leonardo et Airbus Hélicopters, sans oublier l’américain Sirkosky. Pour les avions de combat le Grippen suédois de l’entreprise Saab, l’Eurofighter issu du consortium allemand, britannique, espagnol et italien et le Rafale français se font concurrence. Mais c’est malheureusement le F-35 américain qui reste le plus vendu en Europe. A travers ces exemples, l’UE semble s’éparpiller tous azimuts. Pourtant, des éléments déjà existants peuvent être améliorés et méritent d’être connus.
Quelles bases de développement ?
En 2004, l’UE donne naissance à l’Agence européenne de la défense dont l’objectif est de développer la coopération entre les Etats membres en termes de défense. Cette même année, un livre vert annonce l’objectif de promouvoir un marché de la défense européen dans lequel règne transparence, optimisation de l’utilisation des ressources et compétitivité. En 2009, deux directives viennent affiner le projet. La première, 2009/43/CE met en place un système de licence pour le transfert d’équipements entre les pays de l’UE. La seconde, 2009/81/CE, facilite l’accès d’un marché d’un pays membre de l’UE à un autre pays membre. Toutefois, cela reste facultatif en raison de l’article 346 du TFUE qui institue une exception pour le domaine de la défense. Les Etats membres, par souci de souveraineté, continuent de faire appel aux entreprises nationales. Mais, l’UE continue son travail d’harmonisation avec la création en 2012 de l’European Defence Standards Reference. Il s’agit alors d’assurer des normes communes aux équipements.
En 2017 est créé le Fonds Européen de la Défense (FED). Il soutient les projets transnationaux rassemblant trois industriels issus de trois pays membres différents et est doté d’un budget de 8 milliards d’euros étalé sur six ans. Le FED constitue l’un des premiers outils de l’UE dans le développement d’une industrie de la défense européenne. Dépendant du FED, l’European Defence Innovation Scheme s’adresse aux PME en tant que ressource budgétaire. Son budget total reste faible au regard des enjeux : 224 millions d’euros. Conservant cette impulsion, la Direction de l’Industrie de la défense et de l’espace voit le jour deux ans plus tard. La guerre en Ukraine peut être considérée comme un véritable tournant. En effet, les mesures d’urgence prises telles que l’Act in Support of Ammunition Production (ASAP) illustrent une prise de conscience. Il encadre la livraison de missiles et munitions pour l’Ukraine tout en assurant le renouvellement des stocks des pays de l’UE. Plus récemment, un dernier mécanisme d’aide a vu le jour : l’European Defence Industry Reinforcement through common Procurement Act (EDIRPA). Il permet une acquisition commune d’un équipement militaire dans la limite de 300 millions d’euros dont au moins 65% des composants proviennent d’un pays de l’UE par au moins trois pays membres ou associés. Aussi, le Defence Equity Facility doit permettre à la Commission et au Fonds Européen d’Investissement (FEI) d’utiliser 175 millions d’euros provenant du FED et du FEI pour faciliter l’accès aux investissements par fonds propres des petites et moyennes entreprises produisant des technologies à double-usage pouvant contribuer à la défense et à la sécurité de l‘UE. Enfin, Thierry Breton a même évoqué un fonds de 100 milliards d’euros dans la rallonge budgétaire prévue pour 2024-2027 pour accélérer le réarmement de l’UE.
Le discours sur l’état de l’Union de septembre 2023 a mis en avant la faiblesse de l’UE en matière d’armement mais aussi sa prise de conscience. Désormais les mesures d’urgence doivent laisser la place à une véritable politique industrielle s’inscrivant dans le temps. Et si les Européens faisaient émerger un géant européen de l’armement avant de privilégier la logique de marché ? Avec l’hypothèse d’un retour de Donald Trump à la tête des Etats-Unis, il vaut mieux commencer maintenant.
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