Entretien avec Sandro Gozi : « Avec une Europe souveraine, sortir du statu quo »

, par Laura Mercier

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Entretien avec Sandro Gozi : « Avec une Europe souveraine, sortir du statu quo »
Sandro Gozi a été élu à la présidence de l’Union des Fédéralistes Européens, le 23 novembre, à Vienne Photo : UEF, tous droits réservés.

Sandro Gozi, membre fondateur du Parti démocrate italien et ancien secrétaire d’Etat chargé des Affaires européennes, a été élu président de l’Union des Fédéralistes Européens, samedi 23 novembre 2018, lors du Congrès de l’organisation à Vienne. Il partage avec le Taurillon les objectifs de sa présidence et sa vision du débat sur la construction européenne, à quelques mois des élections.

Le Taurillon / Laura Mercier : Quelles sont les priorités de votre présidence de l’Union des Fédéralistes Européens ?

Sandro Gozi : L’objectif est évidemment de remettre au centre du débat le choix de l’Europe souveraine. Pour moi, l’Europe fédérale signifie une Europe souveraine. Il s’agit donc de remettre au cœur des discussions et échanges, les moyens démocratiques pour reprendre le contrôle sur les grandes questions de notre société : les migrations, la lutte contre le changement climatique, la lutte contre le terrorisme, la défense et la sécurité, mais aussi la gouvernance de nos biens communs autour de questions sur la finance globale et le numérique. Une Europe souveraine signifie un lien démocratique dans lequel on doit reprendre le contrôle pour le bien commun sur ces sujets. Ceci doit être au cœur de l’action et des visions de l’Union des Fédéralistes européens.

De plus, il y a un aspect du débat européen qui n’a jamais été aussi présent qu’en ce moment et qui peut représenter le clivage principal (mais pas le seul) dans l’actualité européenne. En effet, pour la première fois à ces élections européennes, il y a ce clivage entre pro-européens, progressistes d’un côté et réactionnaires, néo-nationalistes de l’autre. C’est exactement la prophétie écrite par Altiero Spinelli dans le Manifeste de Ventotene de 1943. Aujourd’hui on retrouve ce clivage pour la première fois. Mais ce n’est pas le seul, il y a encore des valeurs de gauche, des valeurs de droite mais pour la première fois le débat sur le retour au nationalisme s’impose à la société européenne et donc il faut donner les bonnes réponses, et notamment aux questions posées par les nationalistes.

Pour moi, une bonne partie de ces réponses se trouvent dans une Europe souveraine et démocratique.

Le Taurillon : Sur le court terme, quels changements institutionnels soutenez-vous ? Quelles doivent être selon vous les priorités de la prochaine mandature du Parlement européen ?

Sandro Gozi : Il faut commencer par les politiques, pour ensuite réformer les institutions, et non l’inverse. L’Europe de la défense et l’armée européenne sont fondamentales pour une Europe qui multiplie les protections et garantit la sécurité des citoyens. L’Europe sociale et l’Europe des grands plans d’investissements sociaux et des droits sociaux européens doivent être au cœur de la prochaine législature pour une Europe qui multiplie les opportunités. Surtout, il faut énormément travailler sur la dimension transnationale de la démocratie au sein de l’Union européenne. C’est le troisième grand chantier : favoriser et affirmer un espace transnational, politique et civique. Il faut par conséquent encourager les réseaux transnationaux d’associations et mouvements civiques, ouvrir les esprits des dirigeants des partis politiques nationaux pour européaniser la façon de penser puis la façon d’agir. Pour cela, il faudra se saisir à nouveau des questions comme celle des listes transnationales pour les élections de 2024. C’est un instrument utile pour atteindre cet objectif de politique européenne transnationale (mais pas le seul). Enfin, il s’agira également de concrétiser la réforme de la zone euro pour rendre possible la relance européenne avec un groupe de pays et de peuples, un ensemble dynamique, qui souhaite aller de l’avant.

Le Taurillon : Pour revenir sur la question de la mise en place d’une politique européenne résolument transnationale, vous proposiez dans votre livre « Génération Erasmus » des solutions concrètes mais qui n’ont pas su être concrétisées. Les listes transnationales ont été rejetées par le Parlement européen en février dernier, le Conseil Européen s’est exprimé pour dire qu’il ne nommerait pas nécessairement le Spitzenkandidat dont le parti remportera la majorité aux élections européennes, pour la présidence de la Commission. On constate aussi que certains partis comme l’ALDE n’ont pas désigné de Spitzenkandidat. Quel est votre sentiment concernant la remise en cause de cette pratique informelle, à quelques mois des élections européennes ?

Sandro Gozi : C’est la conséquence logique du rejet de la part du Parti populaire européen des listes transnationales. Justement, les Spitzenkandidaten ont besoin, pour reposer sur une véritable légitimité démocratique et une mobilisation citoyenne autour de la question du choix du Président ou de la Présidente de la Commission européenne (ou de l’Union européenne, à l’avenir), d’être liés à un choix démocratique direct à travers les listes transnationales. Ceux qui veulent défendre le système des Spitzenkandidaten doivent nous aider à introduire des listes transnationales car c’est la seule façon de lier le choix démocratique des citoyens à l’investiture du président de la Commission. C’est aussi une étape nécessaire pour la création de véritables partis politiques européens. C’est là une partie de la solution à l’affirmation d’une démocratie réelle, et pas seulement formelle.

Le Taurillon : Vous l’avez évoqué auparavant, le débat actuel sur les enjeux européens est très marqué par le clivage entre d’un côté les eurosceptiques, et de l’autre les pro-européens, clivage selon lequel les citoyens européens auraient le choix entre le nationalisme ou une réforme européenne. Pensez-vous que c’est un débat sain et fructueux pour les élections européennes ou bien faut-il essayer de sortir de cette binarité ?

Sandro Gozi : Ce n’est pas un débat que nous créons, mais un débat que l’on trouve dans la société. Il faut donc l’assumer pour sortir du statu quo, vers le haut. La proposition d’une Europe souveraine, progressiste et fédéraliste, c’est une façon de sortir vers le haut de ce statu quo. Les fédéralistes et les nationalistes veulent en sortir mais les solutions sont bien différentes. Ces solutions doivent être concrètes et porter sur ce que les citoyens vivent au quotidien : la transition écologique, la lutte contre les inégalités et la pauvreté, les opportunités pour la jeunesse, les investissements entre partenaires européens. C’est pourquoi il faut d’abord faire avancer les politiques publiques à l’échelle européenne pour après envisager de nouvelles institutions. Car notre Europe doit reposer sur la volonté politique d’un groupe de peuples, et il est temps de faire un véritable saut qualitatif dans les politiques européennes.

Le Taurillon : Quel regard portez-vous sur les Etats dirigés par des gouvernements eurosceptiques voire anti-européens ? Sur le long terme, estimez-vous que l’Union européenne peut-elle rester unie si plusieurs niveaux de coopération se pérennisent en son sein ?

Sandro Gozi : Aujourd’hui dans l’Union européenne, des valeurs fondamentales sont menacées. Il faut se battre contre le nationalisme. Le fait que des Etats membres de l’UE soient dirigés par des nationalistes donne encore plus d’importance au scrutin européen et au rôle que le Parlement européen devra jouer dans la nouvelle législature. Je pense que l’on ne pourra pas construire une Europe souveraine si tous les Etats membres avancent au même rythme et avec les mêmes modalités. Il faut créer une dynamique démocratique favorable menée par un groupe de pays et de peuples, qui doit toujours rester ouvert aux Etats qui souhaiteront le rejoindre. Si nous restons dans le statu quo, l’Union européenne est à risque, et l’on pourrait connaître les débuts de la désintégration européenne. C’est ce sentiment d’urgence qui doit nous pousser pour gagner les élections européennes avec nos idéaux fédéralistes et essayer d’influencer au maximum le prochain Parlement européen sur un agenda fédéraliste. C’est le but de l’Union des Fédéralistes Européens et c’est un des objectifs que je me suis fixé lors de mon élection à la présidence de l’association.

Le Taurillon : Comment le fédéralisme européen peut-il rassembler les citoyens au sein d’un projet commun, au regard des différents enjeux et difficultés auxquels ils peuvent être confrontés ?

Sandro Gozi : L’Europe fédérale, c’est une Europe qui permet ensemble et de façon démocratique, de reprendre le contrôle sur des sujets qui inquiètent. Vous êtes inquiets des dérives financières de la finance globale, des défis liés la révolution numérique, vous êtes inquiets par le terrorisme. Vous voulez que l’on reprenne le contrôle sur ces menaces. Les Etats nations et leurs politiques nationales voire nationalistes, divisés, séparés, nous rendent impuissants. L’Europe souveraine est la seule façon de reprendre ce contrôle. Nous sommes dans un contexte de désordre global, où des Etats continents, comme la Russie, les Etats-Unis et la Chine, ont des intérêts et des valeurs bien différentes des nôtres. Si nous voulons êtes protagonistes, promouvoir nos intérêts et défendre nos valeurs dans ce désordre mondial, nous devons agir en étant unis sinon, nous disparaitrons de la carte politique mondiale.

Le Taurillon : Quel message souhaitez-vous adresser aux lecteurs du Taurillon ?

Sandro Gozi : Je voudrais leur dire que c’est le moment de la mobilisation. C’est le moment de travailler ensemble pour créer une masse critique, qui guide les politiques pour mener à bien le projet européen. En dépassant les frontières, en dépassant les clivages partisans traditionnels, en dépassant les différents du passé. C’est le moment de travailler pour une Europe fédérale.

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