Esprit de Locarno : paix européenne ou utopie ?

, par Allan Malheiro

Esprit de Locarno : paix européenne ou utopie ?
Gustav Stresemann ©WikimediaCommons

Reconnaissance par l’Allemagne de ses frontières occidentales avec la France, renonciation à la guerre comme moyen de résolution des conflits, promotion de la paix,… Cela ressemble beaucoup aux traités de Paris de 1954 et au début de la coopération franco-allemande, pourtant, ce sont les conséquences d’un autre traité : le traité de Locarno de 1925. Bien qu’il disparaisse moins d’une décennie après avec la prise de pouvoir de Hitler, il a posé les bases d’une coopération européenne bien avant la période suivant la Seconde guerre mondiale et généré un réel espoir d’une paix entre les nations et même d’une construction européenne avant l’heure.

Une Europe traumatisée par la guerre

En 1918, une Europe fatiguée sort de la guerre en ayant perdu 10 millions de ses enfants et comptant 21 millions de blessés. Le traumatisme donne le ton de la négociation du traité de Versailles : faire payer l’Allemagne. Berlin perd ses colonies, l’Alsace-Lorraine et ses territoires à l’Est au profit de la Pologne. Le pays doit rembourser de fortes indemnités de guerre. Plus choquant encore pour certains allemands, l’Allemagne est reconnue coupable de la guerre avec ses alliés et n’est même pas invitée aux négociations. La naissance de la nouvelle République de Weimar est ainsi mouvementée : Berlin est le théâtre d’une tentative de révolution communiste, le pays se retrouve humilié par le traité de Versailles et la violence politique atteint un niveau jamais vu (entre 1918 et 1922, près de 354 membres du gouvernement allemand sont assassinés).

Cependant, malgré la haine de l’Allemagne, de nombreux Français, Britanniques et Italiens (pour l’Autriche-Hongrie) sont résolus à obtenir la paix. La République de Weimar semble même se calmer : après 1923, qui est une annus horribilis pour le pays (hyperinflation, invasion de la Ruhr, putsch manqué d’Adolf Hitler, rébellions en Bavière et en Rhénanie...), le pays entre dans une phase de croissance. Comme en France avec les “Années Folles” ou aux Etats-Unis avec les “Roaring Twenties”, l’Allemagne bénéficie de 1923 à 1929 des “Goldenen Zwanziger” : la production allemande croît, des lois sociales sont mises en place, la société se libéralise et surtout, l’Allemagne voit apparaître l’un des plus grands hommes politiques depuis Bismarck : Gustav Stresemann.

Contester Versailles par la diplomatie

Comme la plupart des Allemands de l’époque, Gustav Stresemann ressent très durement le traité de Versailles. Pour autant, il est conscient du danger qu’une nouvelle guerre mondiale représenterait pour son pays et pour l’Europe : il décide donc de négocier pour démanteler le traité de Versailles honni. En 1924, il obtient, avec le plan Dawes, un plus grand délai ainsi que des prêts pour payer les réparations de guerre, petit succès face au traité de Versailles. Cependant, les alliés se méfient toujours de Berlin : ils refusent de quitter la Rhénanie en 1935 , contrairement à ce qui était prévu par le traité de Versailles Stresemann propose alors l’idée de négocier des garanties. L’Allemagne avec Gustav Stresemann, la France avec Aristide Briand et le Royaume-Uni avec Austen Chamberlain (demi-frère de Neville Chamberlain) se réunissent alors à Locarno, une ville dans le Tessin en Suisse, pour négocier des accords d’apaisement.

Ces négociations sont un réel succès : non seulement, pour la première fois depuis la 1ère guerre mondiale, l’Allemagne est traitée comme un vrai partenaire mais en plus Locarno aboutit à des engagements prometteurs pour la paix. L’Allemagne reconnaît ses frontières avec la France et la Belgique et renonce à la guerre comme moyen de résolution des conflits. En échange, elle intègre la Société des Nations l’année suivante et les 3 négociateurs des traités reçoivent le Prix Nobel de la Paix. La plus grande contribution à la paix de Locarno est cependant ailleurs : ce traité inaugure l’esprit de Locarno, une recherche de paix par les pays européens.

Une nouvelle ère de paix ?

L’esprit de Locarno donne espoir aux diplomaties européennes : même l’Italie fasciste de Mussolini cherche l’amitié franco-anglaise, participe à Locarno et améliore ses rapports avec la Yougoslavie en signant un accord sur la ville de Fiume en 1924 et sur l’immigration des Italiens dans le pays (avant que les relation ne se dégradent en 1928). La Société des Nations (SDN) entre également dans un âge d’or jusqu’en 1930 : le dialogue entre l’URSS et les pays européens reprend, aussi bien que le dialogue franco-allemand, et de plus en plus de personnes soutiennent l’institution. 1928 est l’apogée de cette vague de pacifisme : les ministres des Affaires étrangères français (Aristide Briand) et américain (Frank Kellogg) proposent le pacte de Paris ou pacte Briand-Kellogg condamnant le recours à la guerre pour résoudre les conflits. Il est immédiatement signé par les plus grandes puissances mondiales (Etats-Unis, Royaume-Uni, France, Allemagne, Italie, Japon,...) puis par tous les pays européens (sauf la Suisse mais y compris l’URSS) et d’autres grandes nations (Chine, Turquie, Iran,...) tandis que les pays latino-américains signent un traité similaire avec le pacte Saavedra Lamas.

La mort de l’esprit de Locarno

L’année 1928 s’annonce radieuse pour la paix européenne voire mondiale et certaines franges de la population commencent déjà à évoquer l’idée d’une construction européenne. Un an après le pacte de Paris, Aristide Briand propose même d’établir un marché commun et “une sorte de lien fédéral” !

Malheureusement, l’année 1929 vient détruire cet optimisme ambiant : une crise économique, qui deviendra bientôt la Grande Dépression, naît aux Etats-Unis et se propage dans toute l’Europe. En quelques mois, les performances économiques des années 20 sont annihilées. : Dans presque toute l’Europe (sauf dans des pays très isolés économiquement comme l’URSS ou dans une moindre mesure l’Italie), la production s’effondre, le chômage augmente et l’extrême droite progresse. Si la France ne se retrouve pas en proie à l’extrême droite grâce au Front Populaire, l’extrême droite allemande progresse : en plus du DNVP (parti de droite allemande qui devient d’extrême droite), le parti nazi (NSDAP) passe de 2,63% des voix en 1928 à 43,91% en mars 1933, date à laquelle Hitler prend les pleins pouvoirs.

La suite de l’histoire est connue : après des propos très virulents, Hitler retire son pays de la SDN en 1933, augmente la taille de l’armée allemande, remilitarise la Rhénanie en 1936 et rejette le traité de Locarno la même année avant de commencer l’annexion de ses territoires limitrophes (Autriche, Sudètes, Bohême-Moravie, Memel, Dantzig,...). Le début de la Seconde Guerre mondiale en septembre 1939 anéantit définitivement les espoirs de l’esprit de Locarno, pourtant, ces traités, bien que vains face aux totalitarismes européens, auront montré au Vieux Continent qu’une autre voie est possible : celle de la paix et de la coopération.

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