Un Spitzenkandidat, qu’est-ce que c’est ?
A l’origine sélectionné directement par le Conseil européen où siègent les dirigeants des Etats membres, la démarche pour choisir la personne qui prendra la présidence de la Commission européenne s’est petit à petit rapprochée du cycle démocratique européen, en y faisant graduellement augmenter l’influence du Parlement européen et des élections européennes. Le traité de Lisbonne de 2009 (en son article 17) permet ainsi d’établir une vraie relation entre élections européennes et nomination à la présidence de la Commission européenne : à la suite des élections européennes, une majorité de députés arrivera en tête en nombre de sièges. La tête de liste de ce groupe politique, soutenu éventuellement par une coalition de plusieurs groupes sera alors « proposée » par le Conseil européen pour validation au Parlement européen, et cette tête de liste deviendra alors président ou présidente de la Commission.
C’est donc la traduction d’un véritable effort démocratique et d’une plus grande prise en compte des résultats des élections européennes que témoigne cette évolution. En 2014, lors de sa première et jusqu’ici unique mise en place, les principaux partis européens ont ainsi nommé leurs candidats à la présidence de la Commission : Aléxis Tsípras pour le Parti de la Gauche Européenne, Martin Schulz pour le Parti Socialiste Européen, Ska Keller et José Bové pour le Parti Vert Européen, Guy Verhofstadt pour l’Alliance des Libéraux et Démocrates Européens et le Parti Démocrate Européen, et enfin Jean-Claude Juncker pour le Parti Populaire Européen. Conformément aux résultats des élections européennes de 2014 qui ont vu le PPE arriver en tête, c’est Jean-Claude Juncker qui a accédé au 13ème étage du Berlaymont – celui de la présidence de la Commission.
Les premiers troubles
Le 7 février 2018, le Parlement européen a rappelé dans un communiqué offensif son attachement au principe des têtes de listes européennes. Les députés exprimaient ainsi que « Le Parlement est prêt à rejeter tout candidat à la présidence de la Commission européenne qui n’est pas désigné comme "candidat en tête de liste" avant les élections européennes de 2019 ». Le rapporteur espagnol du texte Esteban González Pons (PPE) estimait à cette occasion que "L’UE doit être plus démocratique et transparente, ou elle cessera simplement d’exister. Le fait que les citoyens connaissent les candidats à la présidence de la Commission européenne avant les élections est un pas important dans la bonne direction ».
Il faut également constater que cette procédure est au cœur d’une querelle larvée entre institutions européennes, Conseil européen et Parlement en tête. Les chefs d’État font notamment valoir le fait que la procédure n’a rien d’automatique, et Donald Tusk rajoutait même de l’huile sur le feu en février dernier en insistant sur « la compétence autonome du Conseil européen » qui ne peut « garantir par avance » que le choix sera fait parmi les Spitzenkandidaten.
Ces différends n’ont néanmoins pas empêché la plupart des partis européens de nommer leurs candidats « têtes de liste » pour l’élection à venir. On y retrouve par exemple Manfred Weber pour le PPE, Frans Timmermans pour le PSE, Jan Zahradil pour les Conservateurs et Réformistes Européens, Ska Keller and Bas Eickhout pour le Parti Vert Européen et enfin Violeta Tomič and Nico Cue pour le Parti de Gauche Européen. L’ALDE a quant à elle présenté une liste de sept candidats parmi lesquels Guy Verhofstadt, Margrethe Vestager ou encore Violeta Bulc.
Un principe remis en cause aujourd’hui
Plusieurs éléments se croisent pour jeter aujourd’hui le trouble sur la pérennité du principe des Spitzenkandidaten. Le premier d’entre eux est la base juridique sur laquelle ce principe est fondée. L’article 17 du Traité de Lisbonne stipule en effet que le candidat proposé par le Conseil européen pour approbation du Parlement doit l’être « en tenant compte des élections au Parlement européen », mais rien ne marque dans le marbre la prise en compte des « résultats » de celles-ci, et encore moins la logique de la tête de liste comme elle a été mise en place en 2014. On interprète uniquement qu’il faut un lien entre la majorité qui se dessine au Parlement et la famille politique dont sera issu le ou la président(e).
Une autre dynamique à l’œuvre à l’aune des élections européennes de 2019 est une réalité plus politique : trois chefs d’Etat ne sont aujourd’hui pas représentés au sein d’un groupe politique au Parlement européen. Il s’agit du Premier Ministre du Luxembourg Xaviel Bettel, de la Présidente lituanienne Dalia Grybauskaitė, et enfin du Président français Emmanuel Macron. Ce dernier déclarait également qu’il ne se sent « absolument pas lié par le système du spitzenkandidat », mais aussi qu’il ne fallait pas que la « cuisine des partis européens » ne s’impose aux Européens. Ces trois leaders européens se sont montrés particulièrement frileux vis-à-vis de ce principe de nomination, car celui-ci amènerait une présidence de la Commission potentiellement contraire à leurs objectifs politiques.
Il y a donc fort à parier que ce sujet de la nomination de la future présidence de la Commission sera un sujet de discussion important dans les arcanes européennes dans les mois qui viennent, et plus particulièrement à l’approche des élections du 26 mai prochain. L’un des risques principaux est celui d’un conflit ouvert entre Parlement et Commission européenne, qui pourrait entrainer des blocages institutionnels forts.
Spéculations sur le prochain locataire du Berlaymont
Les grandes manœuvres semblent déjà avoir commencées de la part du Conseil européen et des chefs d’Etats européens, comme en témoigne le sommet de Sibiu qui a eu lieu cette semaine. Donald Tusk y a annoncé que les chefs d’Etat se réuniraient le 28 ou 29 mai prochain pour discuter des futures nominations à la Commission, en réitérant le flou annoncé en février en déclarant que « [S]on intention est que le Conseil nomme la nouvelle direction de l’UE en juin. J’appelle tout le monde à prendre ses responsabilités pour rendre cela possible ». L’objectif d’efficacité dans les nominations, en évitant les trois sommets nécessaires au choix de Jean-Claude Juncker en 2014 semble être l’argument avancé par le Conseil pour questionner le choix ou non parmi la liste des Spitzenkandidaten.
Manfred Weber, le candidat allemand du PPE qui tenait jusqu’ici la corde au vu de l’échiquier politique européen, est aujourd’hui mis en difficulté par les leaders européens et peine à convaincre de nouveaux soutiens de se rallier à sa candidature, notamment à cause des troubles liés à la présence encore récente de Viktor Orbán au PPE. La nouvelle physionomie attendue du Parlement Européen, où le PPE et le PSE risquent de perdre leur majorité, aiguise les convoitises pour ce poste et entraine de fortes crispations parmi les états-majors des partis européens.
Au vu de la volonté de certains chefs d’États européens de passer outre la logique des Spitzenkandidaten, des noms commencent également à circuler pour les postes clés de la Commission qui prendra ses fonctions en novembre prochain. Des personnalités sont évoquées comme ayant davantage les faveurs des leaders européens, comme le négociateur en chef du Brexit Michel Barnier, que la République en Marche verrait bien au Berlaymont, ou encore le cas d’Angela Merkel, tour à tour évoquée pour prendre la direction de la Commission mais aussi du Conseil européen.
En tout cas, même si la présidence de la Commission est loin d’être promise et acquise aux Spitzenkandidaten, ces derniers se livreront malgré tout à l’exercice du débat, ce mercredi 15 mai. Un débat à suivre sur France info, en direct.
Suivre les commentaires : |