« Nous n’avons peur de personne. Nous sommes des Vikings ! » Ragnar Sigurdsson, aux avant-bras remplis de tatouages, laisse éclater sa joie ce lundi soir devant les journalistes. Les Islandais viennent de provoquer un « Euroxit » en expulsant les Anglais de la compétition. Sur une longue touche de son capitaine, marque de fabrique des « bleus », le défenseur central s’extirpe du marquage de la défense adverse pour propulser le ballon au fond des filets. L’inconnu trentenaire appartenant à un obscur club russe a immédiatement répondu au penalty de la star Wayne Rooney pour égaliser et remettre son équipe dans le droit chemin. Douze minutes plus tard, un beau mouvement collectif permet aux nordiques de prendre l’avantage.
Le score ne bouge plus. « Strákarnir okkar » (nos garçons), s’imposent 2-1 et renvoient les Anglais chez eux. Le plus bel exploit jamais réalisé par les footballeurs de Reykjavik.
Un véritable fait de société
Dans l’Allianz Riviera de Nice, la dizaine de milliers de supporters exulte. L’incroyable clapping ponctué de « ouh ! » transporte les foules.
C’est tout un pays qui s’enflamme. Pendant le huitième de finale victorieux, la chaîne islandaise Sjonvarp Símans a rassemblé 99,8% des téléspectateurs. Sur les 329 000 habitants, plus de 70 000 cherchent à se rendre en France pour le match. L’ambassade, débordée, tente de faire le maximum pour affréter des avions et contenter l’éruption d’hystérie qui embrase l’archipel. « On est en plein rêve et on a la chance de ne pas se réveiller. On a montré que tout est possible », avance timidement Berglind Asgeirsdottir, ambassadrice d’Islande en France.
Les électeurs n’en oublient pas pour autant la politique. Si le foot a éclipsé l’élection présidentielle dans les médias, 75% des Islandais ont voté le 25 juin. Un score supérieur aux dernières élections. « On avait le plus ancien président d’Europe avec le dictateur du Belarus. Les gens voulaient changer et ont fait le nécessaire pour voter », raconte Siggi, présent à Nice. Les uns ont voté avant de partir (en Islande, on peut voter jusqu’à un mois avant les élections), les autres par correspondance. Les consulats islandais se sont même mis en quatre pour offrir aux phobiques administratifs l’opportunité de faire parler leur voix. Le staff, les journalistes et les joueurs ont eux directement voté sur le camp de base de la sélection. Résultat, les 185 390 votants ont choisi l’historien indépendant de 48 ans Guðni Jóhannesson.
Tout sauf une surprise
L’ancien et le nouveau président, présent en France, ont ajourné la passation de pouvoir. L’épopée de leur équipe traduit le travail phénoménal de la fédération islandaise de football. En 15 ans, l’Islande s’est doté de 7 stades entièrement couverts, de terrains synthétiques et chauffés permettant de jouer toute l’année, même l’hiver, et de formateurs agréés par l’UEFA. « Ici, toutes les conditions sont réunies pour faire progresser nos jeunes qui peuvent désormais s’entraîner toute l’année », se réjouit Geir Thorsteinsson. Le président de la fédération a surtout doté son équipe d’un sélectionneur suédois expérimenté. Lars Lagerbäck a révolutionné l’esprit de ses joueurs et leur a donné toutes les cartes en main pour réussir. Aujourd’hui, la fédération compte une centaine de professionnels et certains attirent les grands clubs européens.
« Je crois que les Anglais n’avaient pas exactement compris à qui ils avaient affaire », lâche le défenseur Ari Skulason. Sur le papier, le gardien de but réalisait encore des clips pour l’Eurovision il y a quelques années alors que l’entraîneur adjoint reçoit toujours des patients dans son cabinet de dentiste. Pas de quoi faire peur. Mais désormais, les Français savent à quoi s’en tenir. Ragnar Sigurdsson averti que les Vikings veulent dévorer le coq : « Nous avons des joueurs fantastiques. Si nous pouvons battre l’Angleterre, nous pouvons terrasser tout le monde ! »
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