« Des millions d’enfants deviennent européens en jouant au football sur un terrain boueux avant d’aller à l’école », se targuait Michel Platini devant le Conseil de l’Europe en 2008. Non seulement les enfants s’amusent, mais ils deviennent par la suite supporters et s’identifient à un territoire qu’ils défendent. A travers les affrontements des clubs et équipes nationales, ils en apprennent et comprennent la géographie, la géopolitique et parfois l’histoire des lieux. Le « derby » de Madrid, affiche de la dernière finale de la ligue des champions, charge Madrid et l’Espagne tout entière de mémoire. Il oppose l’Atlético, quartiers ouvrier du sud de la capitale espagnole, au grand Réal, bourgeois et proche de la couronne royale. Il divise des trajectoires antinomiques autant qu’il les rassemble autour de la même passion du ballon rond.
Partout, les supporters se déplacent, rencontrent et découvrent des territoires qu’ils ignorent. Ils partagent avec leurs adversaires de fortes émotions. Ils expérimentent des styles de vie, des cultures et des caractères différents. « Les fans engagés et fidèles s’organisent et correspondent énormément entre eux. L’Europe des supporters a fait l’Union avant que les politiques y songent », analyse David Ranc, professeur spécialiste du sport à l’école de management (ESSCA).
Un gigantesque terrain de jeu drainé par La toute puissante UEFA
Dans l’équipe du football européen, tout le monde a sa place et l’UEFA fait tourner l’effectif. L’association européenne de football (UEFA) fédère les fédérations nationales et compte aujourd’hui pas moins de 55 membres. Elle intègre sans compter : des États non membres de l’UE (Albanie), d’autres qui ne trouvent à cheval entre l’Europe et l’Asie (Russie), d’autres qui ne touchent même pas le vieux continent (Kazakhstan) et d’autres encore qui n’existent même pas en tant qu’État (Pays-de-Galle, Îles Féroé). Parmi ces États fantômes, certains crispent les relations politiques entre les nations européennes à l’instar du Kosovo et de Gibraltar. D’Istanbul à Oslo, les médias diffusent à travers le monde les succès d’un immense espace européen qui fonctionne. Des triomphes que l’Europe du football doit à son patron et fidèle entraîneur depuis 1954.
Au bord et en dehors des terrains du football européen, l’UEFA fait la pluie et le beau temps. Elle rappelle à l’ordre, sanctionne, félicite et expulse. En 1992, elle empêche la Yougoslavie, alors en violente guerre ethnique, de participer à l’Euro en Suède. En 2013, elle exclue le club espagnol de Malaga de toute compétition européenne pendant trois ans pour gestion financière calamiteuse. Elle impose souvent aux plus grands clubs européens des matchs à huis-clos à la suite d’incidents racistes ou à des jets de projectiles. L’UEFA n’admet aucune entorse aux règles et ne permet pas de délai : la discipline sinon rien.
61% des Européens considèrent que le football les unis bien plus que les institutions ou la monnaie unique
L’Europe du sport ne date pas d’hier. Une compétition de natation voit le jour dès 1889 avant que dans les années cinquante, des championnats d’athlétismes, de basket et de gymnastique se mettent en place. Ces tournois résultent d’échanges entre les instances professionnelles nationales. Il s’agit pour elles de « transcender les rivalités européennes en les insérant dans un cadre réglementé », selon les chercheurs William Gasparini et Jean-François Polo. Ni les États ni la communauté européenne naissante n’en sont à l’origine. Les acteurs du sport ont européanisé eux-mêmes leurs disciplines pour progresser et gagner en expérience.
En interrogeant des sportifs, la Commission a conscience que l’Union partage avec le monde européen du sport des valeurs : respect des autres, ensemble dans la diversité, collectif.
Mais des fractures apparaissent : l’Union fait la part belle aux grands États quand le football laisse sa chance aux petits. Le Danemark et la Grèce ont remporté un Euro de football tandis que les puissants États menacent d’expulser les États en difficulté de la zone euro ou de Schengen, à l’image de la Grèce. Les parents du football s’identifient à un support qui leur permet de s’exprimer et de vivre des émotions. Au contraire, les citoyens européens se noient dans des rivalités institutionnelles incompréhensibles qui bloquent le projet européen. Quand le football européen s’adapte à de nouvelles difficultés telles que la sécurisation des stades, l’Union patauge dans les siennes et risque de perdre l’un de ses principaux membres. Entre ces deux modèles, les citoyens préfèrent taper dans un ballon plutôt que de voter.
Suivre les commentaires : |