Europe de la défense : ne pas céder aux sirènes euro-hégémonistes

, par Ferghane Azihari

Europe de la défense : ne pas céder aux sirènes euro-hégémonistes
Jean-Claude Juncker, président de la Commission, s’est prononcé en faveur d’une armée européenne dans une interview publiée dimanche par le journal allemand Welt am Sonntag. - European People’s Party

Le Président de la Commission s’est prononcé en faveur d’une armée européenne. Si l’idée d’une Europe de la défense n’est pas nouvelle, rappelons tout de même que celle-ci ne peut être bienveillante qu’à deux conditions cumulatives.

Le président de la Commission s’est prononcé en faveur d’une armée européenne dans une interview publiée dimanche par le journal allemand Welt am Sonntag. Nul doute qu’une communautarisation des politiques de défense est nécessaire pour rationaliser des coûts devenus exorbitants tout en confortant l’influence européenne sur la scène internationale. De la même manière qu’il est ridicule que les 28 États-membres maintiennent leurs représentations diplomatiques respectives à l’intérieur d’un espace commun de citoyenneté, il est parfaitement dangereux que les Européens restent divisés sur une question aussi cruciale que la diplomatie et la défense quand leur voisinage est loin d’être pacifié.

Cependant, une Europe de la défense ne doit pas être établie en récupérant la rhétorique hégémonisme de certains États-nations sous peine de dénaturer la finalité de l’intégration civile du continent. Les Européens doivent ainsi prendre en compte deux principales considérations sans quoi ils prendraient le risque de voir leur politique de sécurité détournée à des fins malsaines.

Conférer une dimension parlementaire à la politique étrangère et de sécurité commune

Si une armée européenne est nécessaire, elle doit être placée sous le contrôle de la seule institution élue directement en Europe, à savoir le Parlement européen. Il en va de même pour la politique étrangère qui lui est naturellement consubstantielle. Cela exclut d’emblée la perspective d’une armée et d’une diplomatie inter-gouvernementales contrôlées par le Conseil européen ou le Conseil de l’Union puisque les instances diplomatiques, par définition, sont imperméables au contrôle parlementaire.

Certes, chaque gouvernement est sur le papier responsable devant le Parlement de son pays (quoi que certains États, comme la France, consacrent explicitement l’irresponsabilité du pouvoir exécutif). Cependant, la somme des contrôles parlementaires nationaux ne correspond pas un contrôle parlementaire européen. En d’autres termes, confier une prérogative aussi cruciale que la diplomatie et l’armée a une instance inter-gouvernementale, ce serait dénaturer la séparation des pouvoirs en tuant immédiatement la démocratie parlementaire.

Prévenir les risques d’hégémonisme par l’instauration de contre-pouvoirs

La deuxième condition cumulative est relative au risque d’un éventuel hégémonisme européen. Il ne faut pas perdre de vue que confier le contrôle d’une armée à une élite politique, c’est prendre le risque de voir celle-ci détournée pour satisfaire des intérêts catégoriels impérialistes. L’exemple de la guerre en Irak montre que les régimes qui se veulent démocratiques ne sont pas à l’abri d’une utilisation malveillante de leurs prérogatives en matière militaire pour satisfaire les intérêts économiques d’une petite élite sur le plan interne (de juteux partenariats publics-privés pour ceux qui contrôlent les complexes militaro-industriels) et sur le plan externe (la possibilité d’exploiter les ressources de pays tiers en instrumentalisant le monopole de la violence légale).

Il est donc nécessaire d’envisager d’autres contre-pouvoirs pour contrôler ce dangereux mais nécessaire outil qu’est l’armée. On pourrait par exemple imaginer un système dans lequel les citoyens européens pourraient opposer un veto à une quelconque intervention extérieure. Ainsi donc la politique extérieure de l’Union aurait plus de chances d’être au service de considérations humanitaires. Cela est d’autant plus vrai si l’on se décide à fonder la citoyenneté européenne sur la résidence en lieu et place de la nationalité des États-membres.

La citoyenneté résidentielle comme vecteur d’une politique extérieure ouverte

Fonder la citoyenneté européenne sur la résidence est une autre manière d’envisager les contre-pouvoirs nécessaires pour prévenir les risques d’impérialismes. Parce que l’Union européenne serait composée de citoyens du monde, il lui serait impossible de développer un discours nationaliste et impérialiste pour fonder sa politique extérieure sous peine de menacer sa cohésion interne. Celle-ci serait plus encline à fonder sa politique extérieure sur des valeurs universelles et prendrait ainsi à contre-pieds l’atmosphère internationale actuelle qui fait la part belle aux théories sur le choc des civilisations.

Le politologue Alois Riklin estime en effet que ce besoin de faire coexister pacifiquement plusieurs communautés est ce qui a motivé, entre autres choses, des pays comme la Suisse à développer une conception non belliqueuse de la politique extérieure. Il y a également fort à parier que le simple de fait de confronter des personnes de cultures et d’horizons différents donnera des désaccords sur des questions de politique extérieure. La solution pacifique qui s’imposera pour concilier la multiplicité des revendications sociales en matière de relations internationales consistera à prôner une diplomatie ouverte pour dépolitiser et individualiser les relations extérieures de la même manière que nous tentons de le faire sur le plan interne afin de rester fidèle au postulat qui fonde l’intégration européenne, postulat universel selon lequel les puissances publiques restent les pires gardiennes de la paix là où la liberté individuelle et l’autonomie des sociétés civiles en sont les vecteurs principaux.

Vos commentaires
  • Le 9 mars 2015 à 14:52, par Guillaume Bucherer En réponse à : Europe de la défense : ne pas céder aux sirènes euro-hégémonistes

    Ah ! C’est assez rare donc je le dis : je suis d’accord avec vous sur les deux premiers paragraphes. Ce que vous proposez semble en effet nécessaire.

    Evidemment, je ne peux pas vous suivre sur une « Union européenne composée de citoyens du monde ». Là on retombe à nouveau sur l’ONU, mais pas sur l’UE. Et croyez bien que c’est déjà assez compliqué de trouver une citoyenneté européenne, alors une citoyenneté mondiale...

    Quant aux valeurs que vous prétendez universelles, elles sont le fruit historique de notre civilisation. Et ne sont pas partagées par tous à travers le monde. C’est quand même hyper ethno-centré que de prétendre le contraire. Entre une valeur réellement universelle (donc partagée par tous) et une valeur que vous souhaiteriez universelle, il y a quand même un pas. Un pas impérialiste, dirais-je, si je voulais provoquer un peu.

    Quant à la politique « impérialiste » de l’UE, elle existe de fait déjà : si nous n’étions qu’une neutre assemblée gentille de marchands, la Russie n’aurait pas levé le petit doigt et l’extrême-droite nous ignorerait royalement. Et nous n’aurions ni politique de voisinage, ni Eurocorps, ni zone euro, etc. Se mentir en disant qu’il faut éviter une politique impériale, c’est ne pas prendre de parapluie au prétexte qu’on ne croit pas qu’il pleuve.

    Restons sur une note positive : oui le contrôle parlementaire et l’organisation de contre-pouvoirs sont tout à fait indispensables.

  • Le 9 mars 2015 à 20:21, par Ferghane Azihari En réponse à : Europe de la défense : ne pas céder aux sirènes euro-hégémonistes

    Vous savez cher Guillaume, quand j’entends que vous souhaitez l’émergence d’un nationalisme européen le tout couplé un impérialisme pour mieux opprimer les autres peuples de la terre et quand j’observe que, c’est effectivement un discours très en vogue dans chez les europhiles, il m’arrive parfois de remettre en question la nécessité de l’intégration européenne....

    Il n’est pas question ici d’une citoyenneté mondiale. Mais d’une citoyenneté post-nationale à l’échelle d’un continent, la même qui existe déjà à l’échelle locale de nombreux pays qui ont ouvert le droit de vote des étrangers aux extra-communautaires en prenant à contre-pieds les postulats conservateurs selon lesquels certains peuples seraient taillés pour la dictature et l’oppression alors qu’il est facile d’observer que les théories démocratiques et libérales ont un écho sur les cinq continents et que l’Occident n’a pas le monopole de la liberté.

  • Le 10 mars 2015 à 12:08, par shaft En réponse à : Europe de la défense : ne pas céder aux sirènes euro-hégémonistes

    Je ne suis pas d’accord sur le principe même d’armée européenne tans sur le point européen que par anti-militarisme.Ce qui m’inquiète, c’est que le jour où l’on enverra des troupes en Ukraine, quid des pays qui refusent cette intervention ?Auront-ils le choix de ne pas envoyer leurs soldats membres de cette armée ?Ensuite vient le point habituel.On commence par envoyer l’armée aux frontières de l’UE et après tout naturellement, on l’envoie à l’intérieur.Si par exemple, en Grèce, les violences explosent à cause de la dette, l’armée européenne pourrait rétablir l’ordre, ce qui prouverait, du point de vue des révoltés, que l’Europe est totalitaire.Je me méfie de manière générale de l’armée.Rappelez-vous els actions d’un quarteron de généraux en retraite ou celles d’un maréchal de France sénile ou enfin celles d’un général chilien, partisan de la démocratie (sic) avec des amis à Washington....

  • Le 10 mars 2015 à 12:20, par Guillaume Bucherer En réponse à : Europe de la défense : ne pas céder aux sirènes euro-hégémonistes

    C’est vraiment tout le crédit que vous accordez à votre armée ? Je vous invite à venir nous découvrir. Vous y trouverez des gens dévoués, respectueux du droit et des valeurs humaines, mais dédié à la défense de votre pays. Et vous verrez ce qu’est notre travail au quotidien... : vigipirate, évacuation des ressortissants, missions de maintien de la paix, formation des forces étrangères, protection contre la piraterie, lutte contre la pêche illégale et la pollution maritime, protection de l’espace aérien, etc.

    Ensuite, pour répondre à votre vraie question sur le droit de retrait : je pense que les armées nationales ne se dissoudront pas entièrement dans l’armée fédérale. Un contingent sera mis sous commandement européen, qui lui devra être considéré comme mis à disposition. Un droit de retrait ne pourrait donc avoir lieu.

    Quand à l’armée européenne intervenant en Grèce...on imagine plutôt une force de police que l’armée.

  • Le 10 mars 2015 à 14:54, par Lame En réponse à : Europe de la défense : ne pas céder aux sirènes euro-hégémonistes

    Si l’on craint l’instauration d’une dictature militaire européenne, la solution est simple : une armée fédérale pour les institutions européennes, une armée nationale pour chaque Etat-Nation. C’est le fédéralisme militaire pratiqué aux USA.

    Maintenant, il est évident que le déficit démocratique des institutions communautaires est un obstacle à toute avancée dans tous les domaines. Ce n’est pas aux Etats-Nations qu’il faut l’imputer mais à la commission, aux fonctionnaires européens et aux lobbies, le véritable électorat de nos députés.

    Placer une armée européenne unique sous le simulacre de « contrôle » du Parlement européen augmente justement le risque de dérive autoritaire. Ne rien faire, c’est consacrer l’hégémonie militaire allemande en construction.

  • Le 10 mars 2015 à 18:29, par Ferghane Azihari En réponse à : Europe de la défense : ne pas céder aux sirènes euro-hégémonistes

    Merci pour votre commentaire Lame, j’ignorais que la compétence militaire n’était pas du seul ressort de l’échelon fédérale aux USA. Je constate toutefois que cette forme de séparation des pouvoirs n’est pas suffisante pour prévenir les risques d’impérialisme.

  • Le 11 mars 2015 à 01:36, par Alexandre Marin En réponse à : Europe de la défense : ne pas céder aux sirènes euro-hégémonistes

    @shaft Les réserves que vous émettez valent aussi bien pour une armée européenne que pour une quelconque armée nationale.

    « Ce qui m’inquiète, c’est que le jour où l’on enverra des troupes en Ukraine, quid des pays qui refusent cette intervention ?Auront-ils le choix de ne pas envoyer leurs soldats membres de cette armée ? »

    La question se pose aussi pour l’intervention de l’armée française au Mali, quid des régions et conseils régionaux qui refusent cette intervention ?

    « On commence par envoyer l’armée aux frontières de l’UE et après tout naturellement, on l’envoie à l’intérieur.Si par exemple, en Grèce, les violences explosent à cause de la dette, l’armée européenne pourrait rétablir l’ordre, ce qui prouverait, du point de vue des révoltés, que l’Europe est totalitaire. »

    Si des révoltes éclatent en Seine Saint-Denis et qu’on envoie l’armée, comme ce fut envisagé en 2005, cela prouverait aussi que la France est totalitaire. Sinon, comme le dit Guillaume Bucherer, on envoie plutôt la police.

  • Le 11 mars 2015 à 11:34, par tnemessiacne En réponse à : Europe de la défense : ne pas céder aux sirènes euro-hégémonistes

    « La question se pose aussi pour l’intervention de l’armée française au Mali, quid des régions et conseils régionaux qui refusent cette intervention ? »

    Les régions et conseils régionaux n’ont pas d’armée, contrairement aux Etats-membres.

    Concernant l’armée européenne il ne faut pas oublier que celà consiste surtout à l’intégration de l’industrie de la défense européenne. Et que cette communication va de pair avec des communications rappelant l’objectif des Etats-Unis d’Europe.

    Et comme il est dit une armée européenne facilite les décisions communes en terme de politique extérieure et de sécurité commune.

  • Le 12 mars 2015 à 04:20, par Xavier C. En réponse à : Europe de la défense : ne pas céder aux sirènes euro-hégémonistes

    Avant les deux guerres mondiales, il y avait une très forte proportion d’Allemands aux USA. Cela n’a pas empêché les USA d’entrer deux fois en guerre contre l’Allemagne.

    Ces deux guerres ont d’ailleurs provoqué une sorte de déclin de la culture et de la langue germanique aux USA : changements de patronymes, non-transmission de la langue, etc. pour ne pas paraître « ennemi ».

    Bref. Je ne suis pas convaincu que la citoyenneté résidentielle offre concrètement l’once d’un espoir de pacification.

  • Le 30 avril 2015 à 16:33, par Nix En réponse à : Europe de la défense : ne pas céder aux sirènes euro-hégémonistes

    « La question se pose aussi pour l’intervention de l’armée française au Mali, quid des régions et conseils régionaux qui refusent cette intervention ? »

    Les régions ? Elles n’ont rien à dire en ce domaine. Aussi simple que ça.

  • Le 30 avril 2015 à 16:41, par Nix En réponse à : Europe de la défense : ne pas céder aux sirènes euro-hégémonistes

    « Je me méfie de manière générale de l’armée. »

    Pourtant, l’armée vous protège, de fait. Et elle ne se méfie pas de vous, ni de votre anti-militarisme. Vous semblez vouloir vous rappeler des mauvais coups, et seulement des mauvais coups, tramés par des militaires dans le monde depuis 1900. Ces mauvais coups sont-ils l’apanage des militaires ? À l’évidence, non.

    Invoquer une « méfiance » à l’égard de l’armée en débitant une litanie des méfaits qu’on leur impute revient à reprocher aux Allemands leur période nazie. Pour parler poliment, c’est improductif.

  • Le 30 avril 2015 à 16:45, par Nix En réponse à : Europe de la défense : ne pas céder aux sirènes euro-hégémonistes

    « Mais d’une citoyenneté post-nationale à l’échelle d’un continent, la même qui existe déjà à l’échelle locale de nombreux pays qui ont ouvert le droit de vote des étrangers aux extra-communautaires »

    Une citoyenneté post-nationale ? Autant vider de toute substance l’idée même de citoyenneté. Voulez-vous donc la mort des États, et la mort des nations ?

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