Trente ans. C’est le temps qu’aura passé Euronews à informer les citoyens européens au quotidien.
Créée le 1er janvier 1993 pour devenir le « CNN européen », la chaîne a constitué un modèle inédit et original, incarnant l’idéal d’une équipe multinationale de journalistes évoluant hors de la bulle bruxelloise – signe s’il en fallait que l’Europe ne se fait pas que dans sa capitale.
Après trente ans, regardée par 145 millions de personnes chaque mois, Euronews montre tout l’intérêt de ce cadre où des journalistes venus de toute l’Europe travaillent, coopèrent et produisent ensemble une information de qualité. Et pourtant, c’est un anniversaire aux allures de funérailles que fête le seul média « grand public » véritablement européen.
Le plan de restructuration annoncé le 2 mars dernier a des allures de caricature, tant par sa brutalité que son ampleur : activation immédiatement d’un mandat de vente de ses 10 000 mètres carrés de locaux à Lyon ; licenciement de 154 des 171 employés lyonnais, 198 à l’échelle du continent, soit la moitié de ses effectifs ; retour à un modèle médiatique « classique », basé sur six bureaux nationaux, complétés par un office central à Bruxelles. Sept emprises, mais aucune en Europe centrale, où la liberté de la presse a pourtant tant besoin de renforts.
Au-delà de ces annonces, le flou du projet détonne, tant il remet en question la capacité d’Euronews à continuer à proposer des contenus en de qualité douze langues, accessibles dans 160 pays. Après des années certes difficiles, marquées par trois plans de sauvegarde de l’emploi, 150 millions d’euros de pertes sur une décennie et le rachat de la chaîne par un fonds de capital-risque proche du gouvernement hongrois, la proportionnalité de cette restructuration reste à démontrer.
Un mutisme étonnant au plus haut niveau
Un mois après l’annonce, le silence de la classe politique française et européenne sur cette question est frappant.
Hormis le courrier adressé à la Commission européenne par 25 députés européens de toutes tendances proeuropéennes confondues, et la lettre adressée par trois parlementaires écologistes du Rhône aux ministres français de la Culture et de l’Économie, aucun responsable public national ou continental n’a estimé nécessaire de s’émouvoir de ce plan. Pas plus que lorsque le groupe avait été racheté en 2021 par le fonds d’investissement portugais Alpac Capital, dirigé par le fils de l’ancien eurodéputé conservateur Mário David, lui-même proche du Premier ministre hongrois Viktor Orbán, l’un des pires prédateurs de la liberté des médias en Europe, et récemment décoré par ce dernier.
De même, aucun édile lyonnais ne s’est ému de voir disparaître un pilier du quartier Confluence à Lyon, pourtant revitalisé précisément grâce à l’apport d’organisations et entités internationales comme Interpol et Euronews.
Ce désintérêt n’est évidemment pas nouveau, puisque la participation publique aux activités du média est en déclin marqué depuis plusieurs années : ses financements publics ont ainsi diminué de moitié entre 2013 et 2023, passant de 42 à 20 millions d’euros, et la chaîne, animée par 800 collaborateurs en 2016, n’en aura cette année que le quart. Cependant, ce démantèlement intervient au même moment où l’Europe se doit de trouver de nouveaux modèles d’information.
À l’heure où les enjeux politiques majeurs de nos sociétés sont plus que jamais des enjeux européens – réchauffement climatique, transformation de nos modèles de consommation et de production, modernisation de nos forces armées, innovation technologique –, les médias offrant un traitement continental de l’actualité se réduisent à une peau de chagrin.
Les grandes télévisions nationales, et notamment françaises, ignorent totalement les sujets européens et contribuent largement à la défiance des citoyens envers l’Union et au manque d’intérêt entourant les grandes décisions prises à Bruxelles et à Strasbourg. À un an des élections européennes de 2024, l’espace public européen n’a jamais eu autant besoin d’un paysage médiatique solide, pluriel et indépendant. La percée, puis la réussite de Politico Europe, dans un écosystème où l’on avait d’emblée prédit son insuccès, montre que l’émergence d’un média véritablement transnational n’est pas vouée à l’échec.
Alors que l’Union européenne peine à établir une stratégie dans la guerre de désinformation qui s’y mène, Euronews sombre dans l’atonie la plus complète. Une telle annonce, assortie de perspectives faibles, n’est pas à la hauteur de la situation critique dans laquelle se trouve la liberté d’informer sur notre continent.
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