Après l’annexion de la Crimée et l’occupation d’une partie du territoire ukrainien (le « Donbass »), l’armée russe s’intéresse désormais à d’autres frontières : celles avec la Finlande, mais aussi avec l’Estonie, la Lettonie et la Lituanie (frontière avec Kaliningrad). Tour d’horizon pour mieux comprendre la situation actuelle et les risques qui en découlent pour l’Union européenne.
Une tension historique
En 2013, le peuple ukrainien se révoltait contre le pouvoir en place, jugé trop corrompu, trop proche de Poutine et de l’oligarchie russe. L’intervention militaire russe dans ce pays, aujourd’hui prouvée par de multiples observations ainsi que par l’enquête concernant le vol MH17, est évoquée avec anxiété en Estonie, en Finlande, en Lettonie et en Lituanie. De part et d’autre, les arguments agrémentés d’allusions historiques fusent. Pour Poutine, l’effondrement du bloc soviétique est une blessure qui ne se refermera jamais. Fier du passé de ce géant autoritaire, il se revendique de Lénine et Staline à travers une propagande bien orchestrée. En face, les pays baltes et la Finlande se préparent au pire : les traumatismes de l’époque soviétique sont encore bien présents dans les mémoires. Les pays baltes en particulier prennent leur rôle de « lanceurs d’alerte » très au sérieux : l’invasion de leur territoire par l’armée soviétique en 1918-1920 les avait menés à 70 ans d’oppression, loin des regards, derrière le « rideau de fer ». Le climat anti-balte entretenu ces jours-ci par le Kremlin ne fait que confirmer les craintes de l’autre côté de la frontière. Les médias russes, par exemple, ne cessent de marteler que les pays baltes ont quitté l’URSS de manière pacifique suite à un accord avec les autorités soviétiques. Plus inquiétantes encore, ce sont les rumeurs lancées de manière très officielle en Russie à propos d’un régime « d’apartheid » contre les minorités russophones mis en place dans ces trois pays. Et si des russophones sont victimes d’un régime discriminatoire les privant de leurs libertés fondamentales (telle que parler leur langue), pourquoi ne pas envoyer l’armée russe les sauver de cette terrible situation ? La guerre de l’information, ou de la désinformation, reste l’arme privilégiée de Vladimir Poutine… pour l’instant. La tension est à son comble, 25 ans après la fin de l’URSS.
La Finlande : une défense fragile ?
Si les pays baltes peuvent se rassurer grâce à leur statut de membres de l’OTAN (Organisation du Traité de l’Atlantique Nord), ce n’est pas le cas de la Finlande. Le gouvernement finlandais souhaiterait se rapprocher d’un statut de membre à part entière, mais la population, bien qu’effrayée par les récents développements du côté russe, n’est pas du même avis. Le soutien pour une adhésion à l’OTAN a même diminué entre 2015 (27%) et 2016 (25%) [1]. D’autre part, le Président russe n’a pas hésité à menacer son voisin finlandais de représailles si ce dernier osait rejoindre l’organisation internationale lors d’une visite officielle en Finlande, en juillet 2016. La base militaire russe la plus proche de la frontière finlandaise n’est en effet qu’à 60 kilomètres de celle-ci. C’est pourquoi la Finlande mise sur une plus grande coopération avec l’OTAN « hors adhésion », notamment en créant un centre international de défense contre les attaques dites « hybrides ». Ces attaques sont définies par leur caractère à la fois officiel et non-officiel : un gouvernement attaquant de manière frontale (agression militaire officielle par une force armée étrangère) et de manière plus furtive (dissimulation d’une présence militaire sur un territoire en la faisant passer pour un convoi humanitaire, par exemple, ou encore cyberattaque, ou manipulation de mouvements d’opposition). Un scénario qui n’est malheureusement pas sans rappeler l’intervention militaire russe en Ukraine, et tout particulièrement dans l’Est de ce pays, avec l’acheminement d’armes et de soldats russes sur le territoire ukrainien grâce à des convois prétendument humanitaires, notamment. Les soldats eux-mêmes n’étaient pas au courant de leur vraie destination à leur départ. Enfin, le gouvernement finlandais a négocié différents accords militaires supplémentaires avec les Etats-Unis ces dernières années. Cependant, les élections américaines qui ont eu lieu le mois dernier remettent potentiellement ces accords en question, si l’on en croit les déclarations du candidat républicain, désormais élu président.
Les Pays Baltes : entre OTAN et UE
La situation est un peu plus complexe côté balte, surtout depuis l’élection de Donald Trump aux Etats-Unis. En effet, les pays baltes savaient qu’ils pouvaient compter sur Barack Obama pour mettre en œuvre tout ce qui serait nécessaire pour contrer une attaque russe si un tel évènement se produisait. La règle d’or pour tout membre de l’OTAN étant de défendre tout autre membre de l’OTAN si ce dernier était attaqué sur son territoire par une force armée « étrangère » et hostile. Cependant, Donald Trump n’a pas caché son admiration pour Vladimir Poutine durant sa campagne électorale et même après son élection. Dès lors, une réaction protectrice de la part de l’armée américaine en cas d’attaque russe sur les territoires baltes devient beaucoup plus incertaine qu’auparavant. D’autant plus que le nouveau président a déclaré à plusieurs reprises que les Etats-Unis devaient revoir leur niveau d’engagement au sein de l’OTAN.
En réaction à cette inquiétante élection, la Lituanie a notamment distribué 30 000 « guides de résistances civiles » à ses concitoyens, afin de les préparer à des « situations d’urgence et de guerre ». L’Estonie a quant à elle cherché à rassurer sa population (dont 25% sont russophones et/ou de nationalité russe) : à peine élue, la nouvelle présidente Kersti Kaljulaid a déclaré que les Baltes n’avaient pas peur des Russes. Pendant ce temps, l’armée estonienne effectue régulièrement des exercices militaires pour se préparer à une invasion militaire, et ce en coopération avec les forces de l’OTAN présentes dans la région de la mer Baltique. Ces exercices leur permettent de montrer à Vladimir Poutine l’étendue de leurs capacités militaires, comme par exemple le déploiement de nouveaux chars « autonomes », c’est-à-dire sans soldat à l’intérieur et commandé à distance (le fameux « THeMIS ADDER »).
De son côté, la Russie ne se contente évidemment pas d’observer ses voisins. Le nombre d’incidents avec des sous-marins russes, des avions de chasse russes ou des interventions au sol russes (tel que l’enlèvement d’Eston Kohver alors qu’il se trouvait sur le territoire estonien, par exemple) a très largement augmenté ces deux dernières années. La Suède, la Pologne, les pays baltes, la Finlande mais aussi le Royaume-Uni et la France ainsi que le Danemark ont été témoins de ces incidents suspects.
Quel impact pour l’Union européenne ?
Les pays baltes et la Finlande sont tous les quatre membres de l’Union européenne, ils font tous les quatre partie de la zone euro et de l’espace Schengen. De ce fait, l’Union européenne est directement impliquée dans ce conflit aux allures de Guerre Froide. Or elle n’a actuellement aucun outil efficace pour faire face à une telle crise. On a pu voir le manque de cohésion entre les différents Etats-membres dans le domaine de la défense et de la gestion de nos frontières extérieures durant la crise des réfugiés mais aussi à travers la lutte contre le terrorisme. C’est pourquoi les pays baltes, la Finlande mais aussi la Suède et la Pologne soutiennent aujourd’hui le président de la Commission européenne dans son effort pour créer une armée européenne, ou tout du moins un système permettant une réponse militaire commune de l’Union européenne dans de telles situations. Idée, n’ayons pas peur de le revendiquer, suggérée depuis bien des années par les fédéralistes européens. L’élection de Donald Trump a déjà eu ses premiers effets sur cette initiative européenne. Nos chefs d’Etats ont enfin compris le danger représenté par une trop grande dépendance vis-à-vis des Etats-Unis, en particulier en matière de défense. Il n’y a plus qu’à espérer que les pions soigneusement placés par Poutine au cœur même de l’Union européenne n’auront pas le succès voulu par le Kremlin. Malheureusement, la guerre risquerait sinon de ne pas venir seulement du Moyen-Orient, mais aussi de nos frontières au Nord-est…
1. Le 13 décembre 2016 à 20:28, par seb M En réponse à : Face à la Russie, les Pays Baltes et la Finlande entre anticipation et crainte
Merci pour cet article. Ça ne modifie pas le fond, mais l’évocation des indépendances des pays baltes mériterait d’être reprécisée. Ils ont acquis une première fois leur indépendance en 1918-1920. Invasion Soviétique en 1939, allemande en 41 puis de nouveau Soviétique en 44. Suivront 45 ans d’occupation. C’est en partie l’expérience de l’échec de la première indépendance qui les pousse à être méfiants et a s’entourer d’alliés crédibles.
2. Le 23 février 2017 à 12:39, par thoral En réponse à : Face à la Russie, les Pays Baltes et la Finlande entre anticipation et crainte
Bonjour, Les Lituaniens ont pris leur indépendance dans les années 90. Les chars russes sont entrés . Les Lituaniens ont fait une chaine humaine pour protéger le parlement. Les chars russes ont fait des morts ce jour là.
C’est un souvenir encore très vif en Lituanie ; Ils se méfient donc énormément de leur voisin.
Ils sont entrés en Europe en espérant protection et prospérité. On en est loin, et ils restent très dépendants économiquement des Russes.
Quel est leur avenir sans l’Europe ?
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