Les dysfonctionnements d’aujourd’hui
Tous les cinq ans, on déplore les conditions dans lesquelles se déroulent les élections européennes : désinformation sur les enjeux du scrutin, absence d’acteurs européens dans les campagnes électorales, investiture de candidats ne portant aucun projet européen … Mais ceci n’est que le symptôme d’une problématique plus large, à savoir l’immense cacophonie qui règne au sein des partis politiques à l’échelle européenne.
Si les enjeux des élections européennes ne sont perçus qu’à travers le prisme des partis nationaux, c’est bien sûr parce que les partis politiques au niveau européen ne sont encore que des coquilles vides manquant cruellement de moyens pour une action militante. Cependant, plus important est le fait que partis nationaux et européens ne sont réunis que par un mécanisme d’affiliations complexe et totalement illisible pour le citoyen étant donné le très grand nombre et l’extrême diversité des partis nationaux. S’ajoute à cela les fortes divergences de thèses entre les partis nationaux affiliés au même parti européen. Quoi de commun entre Les Républicains en France, Forza Italia, la CDU allemande, voire le parti de Viktor Orbán, pourtant tous affiliés au Parti populaire européen ? Comment, dans ces conditions, peut-on avoir un débat structuré sur les enjeux européens ?
On cherche donc des palliatifs pour porter le débat au niveau européen : S’agissant de la réforme électorale de l’Union européenne, on se convainc que seules des listes transnationales contrant l’hégémonie des partis nationaux sont de nature à européaniser les élections. On devient les ardents défenseurs du statut de membre individuel du seul parti européen, indépendant d’une affiliation à un parti national. On crée de nouveaux partis, comme le Parti fédéraliste européen, pour qu’enfin on parle d’Europe.
Une vision à long terme
Ces initiatives ne peuvent que servir d’aiguillon pour que le débat politique évolue dans le bon sens. Car plutôt que de s’obstiner à différencier partis européens et partis nationaux, voire les opposer comme risque de le faire par exemple un système électoral à deux voix, il faut plutôt chercher à les fédérer. Dans un Etat fédéral, à l’image de la Suisse, des Etats-Unis ou encore de l’Allemagne, il y a pour une famille politique donnée un seul et même parti disposant d’instances fédérales et de sections locales aux divers échelons territoriaux, étant entendu que des sensibilités ou des priorités locales peuvent, et doivent même, subsister.
Évidemment, la construction sui generis de l’Europe, dont il n’existe pas d’autre exemple de diversité, rend les choses beaucoup plus compliquées. Fédéraliser les partis est pourtant la seule voie envisageable à long terme. Si les institutions évoluent vers davantage d’intégration et de démocratie, avec des compétences croissantes au niveau supranational, les partis politiques devront suivre la même tendance. Niveau décisionnel et niveau d’action des partis vont de pair. Aujourd’hui, les partis européens et leurs partis nationaux affiliés sont tout à fait dans la logique intergouvernementale actuelle. Si on souhaite une Europe fédérale, les partis devront eux aussi se fédérer.
Les étapes
Il faut commencer par « européaniser » les partis nationaux afin qu’ils intègrent davantage la dimension européenne dans leur action militante. Difficile de les convaincre tant que les décisions politiques sur les questions de portée européenne ne seront pas effectivement prises au niveau européen. C’est pourtant indispensable, car ce sont eux qui donne à l’Europe son assise de représentativité locale et citoyenne, et c’est au niveau local que les militants exercent normalement leur action.
Dans le même temps, il faut renforcer les partis européens. Ceux-ci doivent devenir plus visibles et plus transparents, développer une fonction programmatique – aujourd’hui plutôt dévolue aux groupes respectifs du Parlement européen – et aller au-delà de leur rôle actuel, strictement institutionnel, pour devenir une force militante.
Mais surtout, il s’agira d’évoluer vers de véritables partis transnationaux, la distinction actuelle entre partis nationaux et partis européens s’effaçant progressivement. C’est le plus difficile étant donné la diversité des tendances politiques à l’échelle européenne. Cela devrait cependant se faire naturellement au fil des ans si les occasions d’interactions entre partis de la même famille politique se multiplient (élections, référendums, travaux thématiques, ...). Ces partis devraient alors être organisés selon une structure fédérale avec, par exemple, des instances fédérales centrées sur une assemblée de délégués prenant les décisions de portée européenne à la majorité, ses membres étant élus démocratiquement par la base locale du parti.
Peut-on y croire ? Certains évoqueront la crise de légitimité des partis politiques et l’inopportunité de transposer au niveau européen ce qui ne fonctionne pas au niveau national. On ne pourra pourtant pas créer une société civile européenne, qui ne soit pas que marginale, sans une transformation des grands partis politiques traditionnels. Aussi, toutes les initiatives portant sur le débat public européen, y compris la réforme électorale de l’Union, doivent tendre vers cet objectif et ne pas le desservir.
1. Le 19 avril 2016 à 16:41, par Audric ALEXANDRE En réponse à : Fédéraliser les partis politiques d’Europe
Bonjour, Comme vous l’expliquez très bien, il y a un gouffre entre différents partis nationaux du même groupe européen, qu’il s’agisse d’un côté de l’UMP/LR ou PP face à Viktor Orban, d’un PS français à côté du SPD, ou de nos Verts face à eux-mêmes. L’idée de créer des partis européens à partir des partis nationaux me semble plutôt impossible pour cette première raison, mais aussi parce que ces partis nationaux sont composés de personnes, d’êtres humains, dont le logiciel de pensée est souvent strictement national.
C’est pourquoi les partis européens (les vrais partis européens, et non pas les groupes de partis nationaux dont vous parlez) comme le PFE ou PACE, le parti des citoyens européens, seront amenés à prendre de l’importance sur les scènes politiques européenne, nationales et locales. Philippe Herzog avait évoqué l’idée d’une fédéralisation des Verts européens pour créer un véritable parti européen, dans les années 80. Daniel Cohn-Bendit avait rejeté l’idée.
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