« Cessons l’hypocrisie (...) nous faisons face à une invasion, organisée par la Turquie. » Le 3 mars dernier, Yannis Pretenderis, éditorialiste grec réagit avec vigueur à la décision du président Turc Recep Tayyip Erdoğan d’ouvrir les frontières aux réfugiés. Au cœur de ces discours et ces actes, des individus ballotés, en fuite et qui rêvent d’une vie meilleure, loin de la violence et des exactions quotidiennes qu’ils doivent subir dans leur région d’origine.
Et alors que les débats font rage et que des décisions politiques aux conséquences majeures sont prises, des centaines de milliers de personnes font parfois face à une précarité extrême, même après avoir laissé leur pays derrière eux pour diverses raisons.
Qui sont les migrants ?
La question des déplacements de population souffre régulièrement d’un manque de clarté. Les personnes quittant leur pays et arrivant dans un autre sont qualifiées de diverses manières. Une véritable opposition sémantique existe entre les termes « migrant » et « réfugié ». Comme le rappelait Le Monde en 2015, en droit international, le « réfugié » est le statut officiel d’une personne qui a obtenu l’asile d’un État tiers. Il est défini par la Convention de Genève signée en 1951.
« Le terme « réfugié » s’appliquera à toute personne (…) qui, craignant d’être persécutée du fait de sa race [son origine], de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner. »
Même s’il n’existe pas de définition juridiquement reconnue du terme « migrant », le qualificatif est employé par l’Unesco pour désigner une « personne qui vit de façon temporaire ou permanente dans un pays dans lequel il n’est pas né » et « qui a acquis d’importants liens sociaux avec ce pays ». Tout réfugié peut donc être un migrant, mais l’inverse est faux. Les migrations peuvent avoir des causes très diverses : guerres, motivations économiques, environnementales, de travail ou familiales...
Les flux de demandeurs d’asile sont, quant à eux, étroitement liés aux conflits en cours. À la suite des guerres en Libye et en Syrie, leur nombre sur le continent européen a augmenté. Depuis 2010, l’UE a enregistré près de 700 000 demandes d’asile par an en moyenne, avec des variations importantes : en 2015 et en 2016 le nombre a dépassé un million, avant de redescendre à moins de 800 000 en 2017. En 1994 déjà, les demandes d’asile ont explosé en Europe alors que les combats faisaient rage en Ex-Yougoslavie.
Un argument politique majeur
La place des migrants dans les discours publics et dans l’actualité semble toutefois proportionnellement contradictoire avec leur importance réelle dans la population européenne. Le nombre de citoyens non-européens résidant dans un État membre de l’Union au 1er janvier 2019 s’élevait à 21,7 millions, soit 4,9 % de la population des 27 États membres de l’Union européenne. Une situation qui n’a rien à voir avec celle d’un pays comme le Liban, dont la force de travail serait composée pour moitié de migrants syriens, ou qui accueille des centaines de milliers de réfugiés palestiniens (environ 470000 en 2019).
De plus, une part importante des migrations concernant l’Union européenne… sont les migrations internes à l’Union, réalisées entre ses pays membres. Ainsi, sur les 4,4 millions d’immigrants accueillis par l’Union en 2017, « il est estimé qu’1,3 million de personnes avaient la nationalité d’un État membre de l’Union autre que celui dans lequel elles ont immigré », comme le développe Eurostat.
Toutefois, la perception d’une immigration massive est un thème repris avec succès dans les élections nationales et européenne. « L’immigration est la mère des tous les problèmes », proclame le ministre de l’Intérieur allemand Horst Seehofer en septembre 2018, relançant les discussions sur le sujet au sein de l’élite politique de son pays.
Dans l’hémicycle du parlement européen également, la thématique est bien présente. « Le droit de contrôler et de réglementer l’immigration est donc un principe fondamental partagé par les membres du parti », affirme Identité et Démocratie parmi ses engagements principaux. Le groupe politique est actuellement la quatrième force au Parlement européen, devant le groupe Vert-ALE.
La base légale de la politique européenne concernant l’immigration est établie par les articles 79 et 80 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne.
Un long périple éprouvant
Attention, ce n’est pas parce que nous relativisons l’importance numérique et proportionnelle de la migration venant de l’extérieur de l’Europe que nous relativisons aussi la dangerosité de leur périple.
Premier facteur de dangerosité : la longueur du trajet. Si les Syriens n’ont « que » la Turquie à traverser pour atteindre les frontières de l’UE (ce qui est en soi très périlleux, surtout depuis que le pays a conclu un accord avec l’UE en 2016), les Africains sub-sahariens et les Afghans doivent parcourir plusieurs milliers de kilomètres. Les premiers partent généralement soit de l’Afrique de l’Ouest via Bamako et Gao au Mali ou bien Niamey et Agadez au Niger, soit d’Afrique de l’Est via Addis Abeba en Éthiopie ou Khartoum au Soudan. La traversée du Sahara est extrêmement éprouvante et les risques d’asservissement ne sont pas à exclure. En novembre 2017, un reportage de la chaîne américaine CNN avait provoqué la consternation de la communauté internationale en filmant des milliers de migrants africains réduits en esclavage en Libye.
Deuxième facteur de dangerosité : l’âge des migrants. Les enfants sont particulièrement vulnérables puisque selon l’UNICEF (le fonds des Nations unies pour l’enfance), près de 3 enfants sur 4 sont victimes de brutalités durant le voyage, des « chiffres accablants ». A Lesbos, « les premiers à se noyer sont les enfants », soulignait un journaliste du quotidien italien La Repubblica, le 29 février dernier. Et sur les 20 000 individus présents dans le camp de Moria, 7 000 sont des enfants. La situation n’était guère meilleure lorsque la route des Balkans était très fréquentée avant 2016. Les réfugiés, hommes, femmes et enfants, devaient franchir les frontières barbelées « sous les grenades assourdissantes lancées par les forces de l’ordre ».
Ainsi, les réfugiés doivent entreprendre un voyage extrêmement éprouvant de plusieurs mois, voire plusieurs années, à l’issue totalement incertaine. La Mer méditerranée est en effet le premier cimetière de réfugiés au monde, des centaines d’embarcation de fortune coulent en effet chaque année. Ce qui a fait dire à l’ancien président du Conseil italien, Enrico Letta, la chose suivante, lors d’une conférence organisée en Sorbonne sur la crise migratoire et les élections européennes : « Si dans un siècle, un archéologue explore les fonds marins et trouve 500 squelettes entassés, il va se demander quelle guerre au début du XXIème siècle a bien pu causer cela ».
Des humains avant tout !
Finalement, ce qui ressort le plus souvent des récits et des analyses médiatiques, c’est le côté « comptable » de la crise des réfugiés. On parle très souvent de « flux » migratoires (comme on parlerait de « flux financiers » ou de « flux de marchandises ») et on n’hésite pas à dire que ces réfugiés sont « entassés dans des camps de réfugiés » (un peu comme du bétail).
« Qu’avons-nous fait pour que le monde nous traite ainsi ? Quel crime avons-nous commis pour être ainsi mis au supplice ? », se lamente le journaliste syrien Dalir Youssef, dans un article traduit par le Courrier international. Les réfugiés sont des hommes et des femmes comme les autres, ils n’ont juste pas eu la chance d’avoir la vie matérielle correspondant à nos standards européens, ou bien s’ils l’avaient, les guerres et les persécutions ont eu raison de leur vie paisible.
Qu’on se le dise, la crise des migrants du milieu de la dernière décennie n’est rien comparé à la migration forcée de centaines de millions de personnes, chassées de leurs pays à cause du changement climatique et des exactions qui en découleront. Si l’UE n’a pas su gérer correctement l’arrivée de quelques centaines de milliers de personnes en 2015 et 2016, comment peut-être survivre à un probable afflux sans commune mesure dans moins d’une génération ?
Et dans le contexte actuel de pandémie, les migrants également sont victimes. Le journal espagnol El Pais souligne la double vulnérabilité des travailleurs irréguliers face à l’épidémie et aux conséquences du confinement. Le Portugal a ainsi décidé d’agir et de régulariser tous les immigrés qui avaient introduit une demande avant l’entrée en vigueur de l’état d’urgence le 18 mars. Ces derniers disposent ainsi des mêmes droits que les citoyens portugais, en matière de santé comme dans le cadre des aides financières.
Cependant, les rejets de migrants par les autorités françaises se poursuivent à Vintimille, comme le rapporte Il Fatto Quotidiano. Dans une situation complexe, enfermés dehors, comme le souligne Le Monde, les migrants ne doivent pas simplement être l’objet de discours déshumanisants et sujets à des marchandages entre États. Encore une fois, ce sont des humains avant tout.
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