Le 10 juillet dernier, la ministre-présidente de Rhénanie-Palatinat, Malu Dreyer a invité ses homologues de Sarre et du Bade-Wurtemberg, ainsi que de la région Grand Est, pour la présentation du prototype d’un futur train de type Regiolis (aussi appelé « Coradia polyvalent » par son constructeur, le français Alstom), point de départ d’un projet ferroviaire transfrontalier de grande ampleur. L’évènement s’est tenu à la gare de Neustadt-an-der-Weinstrasse, petite ville entre Karlsruhe et Mannheim, en présence notamment de Claudine Ganter, présidente de la Commission relations internationales et transfrontalières de la région.
Sept lignes transfrontalières de train dans le Rhin supérieur et la Grande Région seront mises en service ou rénovées d’ici 2025. Sont concernées notamment les axes Metz-Sarrebruck-Trèves, Strasbourg-Sarrebruck, Wörth-am-Rhein Karlsruhe, Neustadt-an-der-Weinstrasse Offenburg, ainsi que Mulhouse-Müllheim. Plus de 375 millions d’euros vont être investis dans le projet, parmi lesquels trois millions d’euros du fonds européen FEDER (Interreg V Rhin supérieur), pour un total de trente rames.
Premières livraisons début 2024
Dans une volonté de production industrielle locale, les rames de train seront produites sur le site de Reichshoffen, à 50 kilomètres au nord de Strasbourg. Un site qui appartient pour le moment à Alstom, mais qui doit être cédé dans le cadre du rachat de l’entreprise ferroviaire canadienne Bombardier. Ce projet transfrontalier est donc mis en place en coopération avec Skoda Transportation, potentiel repreneur tchèque de l’usine de production alsacienne. En mai dernier, les premières rames avaient quitté l’usine de production de Reichshoffen pour des essais techniques et d’homologation en Allemagne, puis en République tchèque. Les premiers essais sur le réseau commercial allemand se feront au printemps prochain, pour des premières livraisons assurées début 2024.
Ce projet marque l’aboutissement de plusieurs années de travail et de consultations entre les acteurs politiques transfrontaliers franco-allemands. En juin 2018, la ministre-présidente de Rhénanie-Palatinat, Malu Dreyer, et le président de la région Grand Est, Jean Rottner, s’étaient prononcé en faveur d’un renforcement du transport ferroviaire transfrontalier durable dans une résolution commune. Une première pour la coopération locale franco-allemande.
Ce n’est pourtant pas le premier projet ferroviaire transfrontalier mené par Alstom. Outre l’Allemagne, la multinationale opère également avec la Suisse. Sa gamme Coradia polyvalent alimente la ligne franco-suisse du Léman Express entre Annemasse et Genève depuis décembre 2019. Il s’agit du plus grand projet ferroviaire transfrontalier en Europe.
Mobilité propre
Ce projet est également à mettre en regard avec le développement progressif de la mobilité ferroviaire à hydrogène, gris voire vert. Si Alstom compte livrer des rames « bi-mode » (utilisant à la fois de l’électricité et du diesel), une réelle réflexion est menée sur le sujet. Ces dernières années, Alstom a annoncé la mise en place de nombreux projets de transport impliquant des rames à traction hydrogène. En 2018, l’entreprise française a fait rouler ses premiers prototypes entièrement à l’hydrogène en Allemagne, notamment dans la région de Francfort-sur-le-Main. La production industrielle est en cours actuellement.
Si les lignes ferroviaires transfrontalières ne sont pas concernées pour le moment, la SNCF a passé une important commande de douze trains « bi-mode » électrique et hydrogène, pour le compte de quatre régions concernées par la coopération transfrontalière, dont la région Grand Est. La prochaine étape pourrait être de voir des trains à hydrogène, de préférence « vert » (bien que plus cher à produire), se développer dans les régions transfrontalières, en particulier franco-allemandes.
Potentiel sous-estimé
Malgré l’existence d’importantes lignes à grande vitesse, notamment la « LGV Est européenne », le transport régional transfrontalier souffre d’un sous-développement, même dans le Rhin supérieur et la Grande Région.
En consultant la très intéressante carte des transports ferroviaires transfrontaliers du Rhin supérieur, produit par rutsch.eu, on ne peut qu’être frappé par l’organisation très nationale des lignes françaises, allemandes, et même suisses, malgré le caractère très transfrontalier des gares de Bâle. Le constat n’est guère différent dans la Grande Région avec très peu de lignes transfrontalières, lesquelles sont de surcroît surtout orientées vers et depuis le Luxembourg. Une situation d’autant plus surprenante que les relations ferroviaires entre l’Alsace et le Bade Wurtemberg étaient très développées au début du XXème siècle, lorsque les deux régions faisaient partie de l’Empire allemand.
Une des raisons tient bien sûr à la reconstruction des réseaux ferroviaires juste après la Seconde Guerre mondiale, à une époque où la coopération transfrontalière n’était pas à l’ordre du jour entre deux anciens ennemis héréditaires. Une autre raison est à trouver du côté de l’organisation très différente des compagnies en France, en Allemagne et en Suisse. Dans ces derniers pays, la régionalisation est en effet plus poussée, permettant une offre de transport locale plus riche. Enfin, de nombreuses divergences techniques sont à constater dans chaque pays, concernant notamment le voltage des voies. Ainsi, malgré l’annonce politique début juillet, la ligne de train Colmar-Breisach permettant une interconnexion avec Freiburg-im-Breisgau n’est pas concernée. Une absence d’offre de transport qui fait cruellement défaut.
De manière générale, il existe bel et bien des carences structurelles dans le transport ferroviaire entre la France et ses voisins : selon la mission opérationnelle transfrontalière, les transports en commun ne concernaient que 7% du trafic transfrontalier. Si de véritables contraintes géographiques et techniques sont identifiables entre la France, l’Espagne et l’Italie, cela est moins compréhensible avec l’Allemagne, le Luxembourg ou la Belgique.
Il n’empêche, le lancement de nouvelles lignes et la rénovation d’anciennes lignes sont un signal politique fort, alors que la pandémie de COVID-19 perturbe fortement la mobilité transfrontalière depuis le début de l’année 2020.
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