« Les entreprises comme Google ont une responsabilité particulière. Elles ne doivent pas affaiblir la compétition. Nous avons dû infliger une amende à Google car ils n’ont pas été à la hauteur de cette responsabilité. » Margrethe Vestager, le 7 novembre 2017 au Web Summit de Lisbonne. [1] Le 27 juin dernier, l’épée de Damoclès s’est abattue sur Google. La vindicte repose sur le comportement de ce géant, comportement constituant un abus de position dominante sanctionné par une amende de 2,42 milliards d’euros. Depuis les années 1990, [2] l’autorité de la concurrence européenne est en croisade contre les géants de l’internet. De Microsoft à Google, de l’ancien commissaire de la concurrence Mario Monti à Margrethe Vestager, le montant des amendes infligées augmente jusqu’à se chiffrer en milliards d’euros.
En novembre 2010, la Commission européenne a débuté une procédure de négociations avec Google afin de stopper l’atteinte à la libre concurrence du fait de son comportement sur le marché européen. Las de l’échec de la procédure d’engagements initiée, Google a été le destinataire d’une notification de griefs en mai 2015. [3] En juin 2017, l’actuelle Commissaire de la concurrence affirmait que « ce que Google a fait est illégal au regard des règles de concurrence de l’UE. Elle a empêché les autres sociétés de livrer concurrence sur la base de leurs mérites et d’innover. Et surtout, elle a empêché les consommateurs européens de bénéficier d’un réel choix de services et de tirer pleinement profit de l’innovation. » [4]
Le rôle prépondérant de la Commission européenne en matière de concurrence
En 2004, Google a importé son service de comparaison des prix en Europe, soit une offre détaillée de l’ensemble des prix pratiqués par des détaillants de l’internet de toute sorte. L’ensemble des 31 Etats de l’Espace Economique Européen (EEE) est concerné par cette implantation pérenne de Google. Partant de ce constat, le marché européen étant affecté, le droit européen s’applique. En droit économique, le marché se matérialise comme le lieu de rencontre de l’offre et de la demande. A propos de Google, il s’agit de l’offre relative aux services propres à faciliter les recherches sur internet, et à la comparaison des prix. La demande est, quant à elle, promue par les utilisateurs de biens et de services. La Commission européenne est de jure compétente pour veiller à la protection de la concurrence sur le marché européen.
Le moteur de recherche favorisait illégalement le comparateur de prix « Google Shopping »
L’abus de position dominante est prohibé par l’article 102 du Traité sur le Fonctionnement de l’Union Européenne (TFUE). Une position dominante se définit au regard des parts de marché détenues conférant à une entreprise une position de puissance économique lui permettant de faire obstacle au maintien d’une concurrence effective. A préciser que la position dominante d’une entreprise sur un marché de biens ou de services n’est pas sanctionnée en tant que telle. Toutefois, l’abus est réprimandé. L’abus de position dominante est une « notion objective » consistant à restreindre la libre concurrence . [5]
De ce fait, l’entreprise Google détient un quasi-monopole sur le marché des moteurs de recherche sur internet. Le communiqué de presse de la Commission européenne, relatif à la sanction infligée, précise que sur le marché des moteurs de recherche l’entreprise, Google prédomine (détention de 90% des parts de marché). [6]
Quel lien existe-t-il entre le service Google, moteur de recherches et « FROOGLE » soit le service comparateur de prix (rebaptisé « GOOGLE SHOPPING ») ? Au préalable, les prémisses de ce service furent un échec. [7] Cependant, fort de sa position dominante, Google a hissé au premier plan son service de comparaison des prix en rétrogradant ceux de ses concurrents. La visibilité du service « GOOGLE SHOPPING » est alors devenue bien plus importante. En application de l’article 102 du TFUE, la Commission européenne a considéré que l’entreprise Google limitait l’activité des concurrents en créant à leur égard un désavantage dans la concurrence par la promotion « illégale » du service « GOOGLE SHOPPING ». En favorisant le foisonnement d’offres, la concurrence peut être vertueuse. Toutefois, lorsque les concurrents suffoquent sous le poids d’un titan, les avantages caractéristiques d’une concurrence saine sont inexistants. Par un raisonnement cartésien, la Commission européenne adopte une solution traduisant la volonté croissante de faire respecter les règles propres à assurer la protection du marché et de la concurrence.
Les défenseurs de Google [8] opposeront qu’assurer à son propre service la meilleure visibilité ne constitue pas un abus d’algorithme mais l’expression normale de la concurrence. Toutefois, quid du positivisme juridique ? Quel est l’intérêt d’édicter des dispositions en matière de concurrence si le non-respect de ces règles n’est pas sanctionné ? Dominer un marché n’est pas reproché, néanmoins, étouffer, entraver l’essor de ses concurrents est signe de malhonnêteté concurrentielle et de ce fait, condamnable.
Une sanction prononcée à titre exemplaire
2,42 milliards d’euros à titre d’amende ont été infligés à Google. Dans le respect du règlement n°1/2003 du Conseil, complété par les lignes directrices de la Commission de juin 2006, la détermination de l’amende en matière d’antitrust s’effectue par référence au montant du chiffre d’affaires réalisé, montant plafonné à 10% du chiffre d’affaires. L’amende infligée par la Commission représente 6% du chiffre d’affaires de Google et est, à ce titre exemplaire. [9] En 2008, ce montant fut majoré de pénalités de retard d’un montant de €899 millions, [10] puis modifié à la baisse (€ 860 millions) par le Tribunal de l’Union Européenne (TUE). [11] S’élevant à €1,357 millions, la sanction constituait jusqu’alors un record. Egalement, au titre d’un abus de position dominante sur le marché espagnol de l’accès à Internet à large bande, une amende d’un montant de 152, 875 millions d’euros a été infligée à l’opérateur Téléfonica. [12]
En dernier lieu, concernant Intel, une amende d’1,06 milliards d’euros avait été prononcée par la Commission et approuvée par le Tribunal de l’Union européenne (TUE), avant d’être annulée par la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE), le 6 septembre 2017. [13] Prenant acte du contexte actuel, le 11 septembre dernier, Google a exercé un recours contre la décision de la Commission. Ce recours n’ayant aucun effet suspensif, et le traitement judiciaire étant lent (entre un à deux ans de procédure), Google devra s’acquitter du montant de l’amende et ne pourra espérer bénéficier de l’influence de la décision Intel qu’à rebours. Néanmoins, l’arrêt du 6 septembre est à relativiser, en effet, l’annulation sanctionne l’erreur de droit, appréciée in concreto, commise par la Commission et le TUE. Les rabais octroyés par Intel à ses clients furent qualifiés de « rabais d’exclusivité » sans prendre en compte leur caractère « fidélisant » dans le contexte global de l’affaire. [14] Une telle solution est difficilement transposable à l’affaire Google où la mise en exergue du service Google Shopping a été facilitée avec évidence par l’abus de sa position dominante. Le rejet du recours semble donc inévitable.
Les « GAFA » (Google, Apple, Facebook, Amazon) sous pression constante
La position de la Commission européenne énoncée le 27 juin dernier n’est que le préalable des turbulences auxquelles l’entreprise américaine de Mountain View devra faire face. Deux autres affaires sont actuellement examinées par la DG Concurrence de la Commission européenne. Premièrement, suite à une procédure de négociations, le 20 avril 2016, la Commission européenne a adressé à Google une communication de griefs pour abus de position dominante en imposant des restrictions aux fabricants d’appareils utilisant Android et aux opérateurs de réseaux mobiles. Cette simple notice informative ne préjuge pas de l’issue de l’affaire, et permet aux parties d’exercer leur droit de la défense.
Deuxièmement, Google est de nouveau sous le feu des projecteurs avec l’affaire « Google Adsense ». A ce propos, en juillet 2016, un avis préliminaire a été notifié par la Commission, selon lequel l’entreprise a abusé de sa position dominante en limitant artificiellement la possibilité, pour les sites web tiers, d’afficher les publicités contextuelles émanant de concurrents de Google. Enfin, il faut souligner que Google n’est pas le seul géant inquiété. Les sources de querelles entre l’Union européenne et les « GAFA » (Google, Apple, Facebook, Amazon) s’élargissent. Les soupçons d’infractions ne se limitent pas seulement aux abus de position dominante. Le curseur est aussi largement en train d’osciller vers les enjeux du traitement des données personnelles et particulièrement sous le prisme de leur protection, guidé par la notion de « vie privée » des internautes européens. A suivre….
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