Green Deal : l’argent, le nerf de la guerre

Comment Ursula von der Leyen compte-t-elle financer son « Green Deal » ?

, par Théo Boucart

Green Deal : l'argent, le nerf de la guerre
Ursula von der Leyen et Frans Timmermans à Bruxelles. Trop peu ambitieuse pour les uns, irréaliste pour les autres, la stratégie financière du Green Deal est déjà sous le feu des critiques. Copyright : European Union 2019 - Source : Parlement européen.

La Commission européenne a présenté le 14 janvier la stratégie financière de son Green Deal, censé faire de l’UE le leader incontesté de la transition énergétique. L’exécutif européen joue la carte de l’inclusivité pour tenter de vaincre les dernières réticences des États membres.

Il s’agit d’un tournant dans l’élaboration de la politique-phare de la nouvelle Commission. Mardi 14 janvier, Ursula von der Leyen, la nouvelle présidente de la Commission européenne, et son vice-Président Frans Timmermans ont présenté le plan d’investissement du Pacte vert pour l’Europe, la stratégie financière du Green Deal.

Cette annonce intervient un mois après la présentation officielle des détails législatifs de ce Green Deal, censé faire de l’Europe le leader de la transition énergétique mondial.

L’objectif affiché est de mobiliser au moins 1000 milliards d’euros d’ici 2030, pour que l’Europe devienne le premier continent neutre en carbone d’ici 2050. D’ici 10 ans, les émissions de gaz à effet de serre (GES) doivent être 50% à 55% inférieures aux niveaux de 1990. Le Green Deal doit donc construire sur l’acquis énergétique de l’UE et la stratégie financière rassemble aussi bien des instruments existants que des nouveaux fonds.

Le plan d’investissement du Pacte vert pour l’Europe qui sera discuté par les députés européens et les États membres (en format Conseil des ministres) se compose de quatre piliers : le mécanisme pour une transition juste, le budget européen, le plan d’investissement InvestEU et les fonds d’innovation et de modernisation dans le cadre du marché européen du carbone.

L’inclusivité au centre de la transition énergétique

C’est un point très attendu de cette stratégie financière : la création d’un « mécanisme de transition juste » pour aider les régions européennes les plus dépendantes des énergies polluantes comme le charbon, en particulier en Europe centrale et balkanique. La Commission propose une aide d’environ 100 milliards d’euros par an et se compose de trois piliers :

  • Un « fonds de transition juste », intégrant des financements de la politique régionale européenne et de l’argent supplémentaire venant du budget européen (environ 7,5 milliards d’euros). L’objectif est d’atteindre entre 30 et 50 milliards d’euros en ajoutant les autres fonds de cohésion et des contributions nationales ;
  • Une partie, de 45 milliards d’euros, issue du plan d’investissement InvestEU ;
  • Des prêts auprès de la Banque européenne d’investissement (BEI)

La décision la plus sensible dans le cadre du mécanisme sera indubitablement le choix des régions concernées. La Commission souhaite une sélection précise pour un maximum d’inclusion. Nul doute néanmoins que l’ensemble des pays se rueront sur cette nouvelle opportunité de recevoir des fonds européens.

L’enjeu est également national. La Commission a présenté le 15 janvier la répartition des 7,5 milliards d’euros du fonds pour une transition juste. La Pologne est la grande bénéficiaire avec 2 milliards d’euros de promis pour aider les régions en transition, à condition que le pays présente un plan d’action détaillant précisément comment les fonds comptent être dépensés. L’Allemagne est le deuxième bénéficiaire du fonds avec 877 millions d’euros.

Un budget européen plus vert

Le budget européen sera aussi un pilier du Green Deal. Alors que le cadre financier pluriannuel 2021-2027 (CFP, la dénomination officielle du budget européen) est en négociation, il semble acté que 25% des crédits seront alloués à des projets de transition bas carbone, ce qui représenterait environ 280 milliards d’euros sur sept ans. Avec l’effet d’entraînement, la Commission table sur 503 milliards d’euros d’ici 2030.

En fonction du pourcentage de PIB retenu pour l’élaboration de ce budget, cette somme peut être plus ou moins importante. [1] Alors que le Parlement européen souhaite un budget équivalent à 1,3% du PIB de l’UE, la Commission propose 1,11%. L’Allemagne, premier contributeur net du budget européen, ne veut pas aller au-delà de 1%.

Dans ce budget, le programme de recherche et d’innovation Horizon Europe (le successeur d’Horizon 2020) jouera un rôle essentiel. 35% des 100 milliards d’euros sera ainsi dédié à la transition énergétique.

Poursuivre le « Plan Juncker »

Il s’agit de l’une des grandes réussites de la Commission dirigée par Jean-Claude Juncker. Le prédécesseur d’Ursula von der Leyen avait en effet lancé un vaste plan de relance de 315 milliards d’euros jusqu’en 2018, augmenté à 500 milliards d’euros d’ici 2020. En décembre 2019, le plan avait généré près de 460 milliards d’euros dans l’ensemble de l’UE.

D’aucuns ont vu dans ce plan Juncker le germe d’un Green New Deal à l’européenne. Pourtant, il s’était attiré les critiques de certains militants écologistes car la part de projets énergivores et nécessitant des énergies fossiles était trop élevée, surtout en Europe centrale.

Cette fois-ci, le plan InvestEU, destiné à prendre la suite du plan Juncker, devra plus se concentrer sur l’économie durable. 650 milliards d’euros devront être levés en seulement 6 ans. 279 milliards sont réservés aux projets durables.

La Banque européenne d’investissement, banque du climat

La Banque européenne d’investissement (BEI) sera une institution centrale dans la politique de financements du Green Deal. Le principal bailleur de fonds de l’UE doit devenir la « banque européenne du climat » selon les dires de la présidente von der Leyen.

Déjà en juillet dernier, la BEI avait publié une proposition de nouvelle politique de financements de l’énergie. Celle-ci excluait les énergies fossiles de tous prêts. Cette proposition devrait s’appliquer à partir de la fin 2021. La BEI projette donc de débloquer de son côté 1000 milliards d’euros d’investissements verts, dont 250 milliards dans le cadre du Green Deal.

Il s’agit d’une vraie bonne nouvelle, les subventions aux énergies fossiles sont encore considérables [3] et des actions fermes comme celle-ci devra être suivie d’autres concrétisations.

Visegrad sceptique, l’Allemagne pingre

L’effet d’annonce passé, les objectifs digérés, il est temps de se tourner vers les véritables décideurs dans la politique européenne : les États. La politique énergétique étant une compétence partagée avec l’UE, ceux-ci sont très attentifs aux développements, d’autant plus que la définition des mix énergétiques nationaux est du seul ressort des États membres.

La Commission devra donc se montrer convaincante avec certains pays, en particulier les pays d’Europe centrale tributaires du charbon, comme la Pologne, la République tchèque, la Roumanie ou la Bulgarie.

Lors du Conseil européen du 12 décembre dernier, la Pologne avait refusé de se rallier à l’objectif de neutralité carbone du continent européen d’ici 2050. Varsovie, soutenue par d’autres capitales d’Europe centrale, craint en effet les conséquences de mesures de lutte contre les énergies polluantes sur l’emploi. 80% de l’électricité polonaise est produite à base de charbon et les mines emploient encore une centaine de milliers de Polonais.

Le « mécanisme pour une transition juste » pourrait être le début de la solution.

Berlin est le deuxième point d’interrogation. Sa position est quelque peu absconse. Alors qu’Angela Merkel s’est ralliée cet été à l’objectif de neutralité carbone, le ministère des Finances (dirigé par le Vice-chancelier social-démocrate Olaf Scholz) a refusé toute contribution supplémentaire de l’Allemagne au budget européen et au financement de la BEI. Alors que l’Allemagne dégage des excédents commerciaux record, le fonds de transition lui accorde de généreuses subventions. Il faut dire que le charbon est encore une source d’énergie importante outre-Rhin.

Néanmoins, le refus de Berlin de payer plus pour la transition énergétique est étonnant : l’Allemagne renoncera entièrement à la production nucléaire en 2022 et réfléchit sur une sortie du charbon en 2038. 40 milliards d’euros sont promis aux régions les plus dépendantes du charbon. L’Allemagne sait donc mieux que personne que la transition énergétique socialement juste nécessite de l’argent.

Des investissements suffisants ?

Au-delà de la réticence de certains pays, l’ensemble des mesures financières présentées par la Commission suffira-t-elle à atteindre les objectifs du Green Deal et a fortiori du paquet climat-énergie 2030 ? [3] La taxe carbone aux frontières de l’UE, couplée à un robuste marché européen du carbone, est une possibilité de financements supplémentaire.

La Commission européenne avait déclaré en 2016 que 380 milliards d’euros annuels seraient nécessaire entre 2020 et 2030 pour atteindre les objectifs du paquet climat-énergie. Le Green Deal devra donc plus que jamais permettre la bonne synergie entre financements européens, contributions nationales et capitaux privés.

[1] : Alors que le Parlement européen souhaite un CFP équivalent à 1,3% du PIB de l’UE, la Commission argue pour 1,11%. Un pays comme l’Allemagne, principal contributeur au budget, ne veut pas aller au-delà de 1%.

[2] : En 2016, les Etats européens ont subventionné les énergies fossiles à hauteur de 55 milliards d’euros.

[3] : 40% de GES en moins par rapport à 1990, 32,5% d’énergies renouvelables dans le mix européen, 32% d’efficacité énergétique en plus.

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