Index.hu, bastion d’une presse menacée
Lorsque l’on parle d’Index, on le présente comme le principal site d’information indépendant du pouvoir en Hongrie, à côté de plusieurs autres tels que 444.hu, et pour cause, le site d’actualités est le plus lu, enregistrant “jusqu’à 1.7 millions de visiteurs pendant la crise du covid” comme l’a souligné Judit Windisch. Ce lectorat a de quoi attirer les convoitises du pouvoir, qui depuis le retour de Viktor Orban en 2010 n’a eu de cesse de s’accaparer des médias, les réduisant petit à petit en simples outils de propagande, alors qu’une grande partie de la presse est depuis 2018 contrôlée par la Fondation pour la presse et des médias d’Europe centrale (KESMA)
Face à cette monopolisation de l’information, Index s’est révélé être un réel contre-pouvoir. Crée en 1996 par Péter Új pour qui “Index est [devenu] gênant pour le clan Orban”, le site a su s’imposer comme la première source d’informations non gouvernementale, malgré des remous dès 2011, soit 1 an après le retour de Viktor Orban en tant que Premier ministre. En effet Péter Új avait à cette époque quitté la rédaction pour fonder un nouveau journal, suivi par quelques journalistes qui estimaient “qu’une activité rédactionnelle libre et indépendante” n’était déjà plus possible. Un deuxième avertissement était tombé en 2018 lorsque la majorité de l’écosystème d’Index a été racheté par des proches du Fidesz, affaiblissant financièrement le journal. Pour le couper de ce qui pouvait ressembler à une OPA hostile, il a été placé sous l’égide d’une fondation afin de préserver son indépendance, désormais mesurée par un baromètre.
Une tactique financière bien rodée
Outre le rachat direct des médias via la KESMA, dont l’objectif est de rendre “la sphère médiatique plus nationale qu’internationale”, stratégie renforcée par un décret suspensif des règles de la concurrence (considéré conforme par la Cour constitutionnelle hongroise), le gouvernement hongrois cherche à asphyxier financièrement la presse hors de son contrôle, quand il ne ferme pas unilatéralement un journal qu’il ne considère pas compatible “avec son empire médiatique”, comme le pense András Dési concernant le journal Népszabadság, dont la publication avait été suspendue en 2016.
Quelques semaines avant que Szabolcs Dull alerte sur la situation d’Index, c’est l’arrivée de Miklos Vaszily dans le capital de la régie publicitaire du journal qui a envoyé les premiers signaux. Comme le rappelle Jean Baptiste Chastand, cet homme est un “récidiviste” en la matière. En 2014 il était déjà derrière le rachat du journal Origo, “devenu porte-parole de la propagande orbanienne”. L’objectif ici est simple : contrôler la régie publicitaire permet de conditionner les revenus à des arbitrages concernant les articles. Cette situation a été suivie d’un chamboulement à la tête d’Index qui a vu en quelques semaines s’enchaîner deux démissions et un projet de restructuration. C’est ce qui a poussé Szabolcs Dull à déplacer le curseur du fameux baromètre : d’indépendant, Index est alors passé “en danger”.
Une indépendance bientôt inexistante en Hongrie ?
Le renvoi du rédacteur en chef ne marque pas en soi la fin de l’indépendance d’Index, mais plutôt une nouvelle étape vers un contrôle indirect du gouvernement. C’est le choix des quelques 70 journalistes de démissionner qui précipite cette fin, un choix plus que nécessaire.
En effet depuis maintenant 10 ans, l’indépendance des médias en Hongrie ne fait que s’effondrer, et avec Index il ne reste que quelques irréductibles comme 444.hu. Le choix de démissionner est un choix médiatique, celui de dépasser la simple bulle journaliste et hongroise et d’alerter l’opinion publique européenne. Puisqu’au delà d’un problème strictement hongrois, il s’agit d’un problème européen : l’indépendance des médias est au fondement de nos démocraties, la laisser s’éroder dans l’indifférence est le signe qu’elles sont profondément malades.
Suivre les commentaires : |