Une Italie durant l’entre-deux-guerre troublée et agitée
Au lendemain de la Première Guerre mondiale, le Royaume d’Italie de Victor-Emmanuel III (1900-1946) s’enfonce dans la crise. Les tensions entre classes sociales éclatent et l’Italie connaît une importante crise économique, caractérisée notamment par un forte déflation qui ralentit l’activité économique. De plus, l’opinion italienne se sent trahie par ce qu’il est coutume d’appeler la « victoire mutilée », expression de l’intellectuel Gabriele D’Annunzio qui représente l’irrédentisme italien. En effet, les promesses du traité secret de Londres, notamment territoriales, faites pendant la Première Guerre mondiale pour convaincre l’Italie d’entrer en guerre contre son propre camp, la Triple Alliance n’ont pas été tenues, s’agissant notamment de la ville de Fiume (1919) et des côtes de la Dalmatie. Les promesses non-tenues nourrissent un irrédentisme italien qui fait le lit du fascisme. L’État libéral italien est de plus affaibli et s’avère incapable de faire face à la montée des forces révolutionnaires durant l’entre-deux-guerre. Ces éléments nourrissent la montée en puissance du Mouvement fasciste, qui opte pour un État fort et qui promet la concrétisation de l’irrédentisme italien.
Prendre Rome, la Ville éternelle
Pour mener son action, Benito Mussolini fonde en mars 1919 à Milan le parti des Faisceaux italiens de combat (Fasci italiani di combattimento), organisation paramilitaire dont les membres sont reconnaissables par le port des « Chemises noires ». Dès l’année suivante, les miliciens armés des Faisceaux mènent des actions violentes et se présentent ainsi comme les garants de l’ordre face à l’agitation sociale et politique de l’entre-deux-guerre. Les Faisceaux bénéficient à ce titre de l’indulgence des forces de l’ordre et de la justice et sont regardés avec bienveillance par le patronat italien, hostile à l’internationalisme « rouge ».
Aux élections législatives de mai 1921, Mussolini et trente quatre de ses partisans sont élus sur les listes des « blocs nationaux ». Il choisit de siéger à l’extrême-droite de l’hémicycle pour marquer son hostilité à l’internationalisme socialiste grandissant. En novembre 1921, Benito Mussolini opte pour la légalité et fonde le Parti nationale Fasciste (PNF), premier parti d’Europe occidentale ouvertement non-démocratique afin de se démarquer des autres bandes fascistes du « bloc national ».
Le parti fasciste, comptant près de 700 000 adhérents en 1922, ne parvient pourtant pas à se hisser au pouvoir par la voie électorale. Il ne fait pas non plus le poids face à une armée italienne disciplinée et très bien armée. Mais il démontre une nouvelle fois sa force, en août 1922, en brisant une grève générale lancée par le Parti socialiste à son égard. Alors que le gouvernement reste indécis, le roi Victor-Emmanuel III, craignant la guerre civile, refuse de signer le décret d’état d’urgence. Opportunistes, les chemises noires marchent alors vers la Ville éternelle le 28 octobre, menant des actions violentes contre les communistes et les socialistes.
Le souhait de Mussolini est de se faire porter à la présidence du Conseil, l’équivalent du Premier ministre. C’est chose faite le 29 octobre 1922, lorsque le roi d’Italie Victor-Emmanuel III nomme Benito Mussolini Président du Conseil et le charge de constituer un gouvernement.
S’ouvre ainsi la double décennie fasciste italienne, la « ventennio fascista » (1922-1943) qui voit un durcissement du régime italien. Les lois « fascistissimes » de 1925-1926 transforment le régime parlementaire italien en une dictature autoritaire, instaurant le monopartisme du PNF, établissant la censure, supprimant les syndicats et installant une police politique répressive appelée l’OVRA.
En 1935, l’invasion de l’Ethiopie par l’Italie est vivement condamnée par la Société des Nations (SDN) et la communauté internationale, isolant de fait Mussolini sur la scène européenne. Dès lors, Hitler et Mussolini se rapprochent. En 1937, ce dernier est invité à Berlin par le chancelier allemand. En septembre 1938, après seize ans de gouvernement, l’Italie proclame des lois raciales (« Leggi razziali ») qui introduisent de violentes discriminations à l’endroit de la population juive italienne, perçus comme des « obstacles » au projet anthropologique du « Nouvel Homme Fasciste », par nature « obéissant, agressif et prolétarien » (Adler, 2006). Les juifs italiens paraissaient comme de toute évidence « bourgeois » et liés historiquement à l’ordre libéral, corrompu, décadent, que le fascisme italien s’était fixé pour mission d’abattre. En 1937 déjà, un décret interdisait le mariage et le concubinage entre Italiens et « sujets » des colonies africaines.
La démocratie italienne supprimée, le gouvernement italien collabore avec l’Allemagne nazie durant la Seconde Guerre mondiale. La destitution de Mussolini, prononcée en 1943 par le roi Victor-Emmanuel III, toujours chef de l’État et chef des armées conformément à la Constitution italienne, sonne la fin des années noires du régime totalitaire dans la péninsule et le début de la guerre civile.
Avec l’arrivée de Benito Mussolini, l’Italie inaugure ainsi le premier régime fasciste d’Europe. Le régime fasciste italien est l’une des trois incarnations du totalitarisme et des heures sombres européennes de l’entre-deux guerre, au côté de l’URSS de Joseph Staline et de l’Allemagne nazie d’Adolf Hitler. Le fascisme italien, comme expérience historique, s’effondre avec la mort du Duce en avril 1945, la fin de la République sociale italienne ainsi que le retour de l’Italie à la démocratie.
Le souvenir de Mussolini 100 ans après : un événement clé et clivant de l’Italie moderne
De nos jours, la « double décennie fasciste » continue de hanter la mémoire des Italiens. Dans l’immédiate après-guerre, la tendance à banaliser le fascisme a dominé dans la culture italienne, causant un retard historiographique avec lequel l’Italie a dû affronter sérieusement la réalité de l’expérience fasciste et son héritage (Gentile, 2008).
Il faut attendre les années 1970 et 1980 pour que les études historiographiques sur le fascisme connaissent un véritable développement. Toutefois, l’historiographie et la mémoire publique ne se croisent pas en raison des conflits politiques, des mémoires plurielles et divisées, dans un contexte de malaise des Italiens vis-à-vis de leur passé, dont les débats houleux autour d’un musée du fascisme de Predappio, ville natale du Duce constituent un exemple éloquent (Baioni, 2020).
Annuellement, 70 000 personnes, dont des nostalgiques, viennent « en pèlerinage » à Predappio pour se recueillir sur la tombe du Duce. La ville, situé en Emilie-Romagne, peine à faire face à ces « pèlerins », dont la présence crée l’embarras mais qui dans le même temps, contribuent significativement à stimuler l’économie locale (Giampaoli, 2016).
Récemment, l’actualité politique de la Péninsule a rouvert les plaies mémorielles de la société italienne vis-à-vis de la « double décennie fasciste ». La victoire aux législatives de Fratelli d’Italia, parti d’ultra-droite, conservateur et se qualifiant de “post-fascist”, a permis à Giorgia Meloni de devenir Première ministre de l’Italie. A 15 ans seulement, Giorgia Meloni avait rejoint l’organisation de la jeunesse du Mouvement social italien (MSI), formation post-fasciste fondée en 1946 par des partisans du défunt Benito Mussolini. La victoire électorale de Fratelli d’Italia a ravivé le souvenir du fascisme italien et rappelé les divisions existantes quant à ce sombre passé. Une séquence controversée était alors ressortie illustrant la Première ministre, alors âgée de 19 ans, témoigner de son respect pour le Duce, qui avait été « un bon politicien ». Giorgia Meloni n’a pas souhaité retirer la flamme controversée, héritière du fascisme, du logo de son parti. Lors de son discours de politique générale toutefois, la nouvelle cheffe du gouvernement italien avait cherché à rassurer ses partenaires européens de toute « sympathie » ou « proximité » avec la fascisme.
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