Il y a 30 ans, le monde disait aurevoir à la Tchécoslovaquie

, par Paul Brachet

Il y a 30 ans, le monde disait aurevoir à la Tchécoslovaquie
L’Horloge astronomique de Prague se situe sur la façade de l’Hotel de ville de l’ancienne capitale de la Tchécoslovaquie. crédit : Pixabay

Dans la nuit du nouvel an 1993, à minuit, deux nouveaux États ont vu le jour : la Tchéquie et la Slovaquie. Deux nouveaux États qui, à l’image des républiques d’ex-Yougoslavie ou de l’ex-URSS, sont issus d’une union fédérative socialiste : la Tchécoslovaquie. Toutefois, contrairement aux autres fédérations multiethniques du “Bloc de l’Est”, la dissolution de l’État tchécoslovaque s’est produite “en douceur” et les relations de part et d’autre de la frontière n’ont jamais été aussi bonnes. 30 ans après, voyage dans un État disparu, la Tchécoslovaquie.

C’est à Prague, capitale tchèque et ancienne capitale de la Tchécoslovaquie, que le Premier ministre tchèque Petr Fiala a donné rendez-vous à son homologue slovaque, Eduard Heger, pour célébrer l’anniversaire de l’indépendance des deux pays. Au programme, une représentation de l’Orchestre philharmonique tchèque dans les ors du Rudolfinum. Comme le veut notre temps, les deux protagonistes ont tout de suite posté leur rencontre sur les réseaux sociaux ; maître-mot des réactions des internautes tchèques et slovaques : "l’amitié" entre les deux rives de la Morava, fleuve fixant la frontière entre les deux États.

Trente ans après, il est fascinant d’observer la quiétude qui existe entre les successeurs de l’État tchécoslovaque, encore plus aujourd’hui alors que le reste des États devenus indépendants suite à la chute du communisme en Europe possèdent entre eux des relations bien plus tendues, voires conflictuelles. Pour ne citer que quelques exemples, il est aisé de penser aux guerres de Yougoslavie dont les tensions contemporaines en Bosnie-Herzégovine et au Nord-Kosovo ne sont rien de plus que des héritiers, ou les guerres actuelles entre la Russie et l’Ukraine ou entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie. Bref, une scission qui fait exception par sa tranquillité, dans le présent comme dans le passé au moment de la dissolution de la Tchécoslovaquie.

La Tchécoslovaquie, une union volontaire aux origines pré-communistes

Il n’a pas fallu attendre l’émergence du communisme en Europe pour que se forme des États multiethniques. En ce qui concerne les Tchécoslovaques, ceux-ci étaient unis sous la couronne habsbourgeoise de l’Empereur d’Autriche, cela depuis 1526 et l’union des couronnes autrichienne, bohémienne et hongroise par un même monarque, l’archiduc autrichien Ferdinand de Habsbourg. La conscience nationale est alors quasi inexistante et les nobles et ecclésiastiques de ce qui sont alors les territoires de Bohême, de Moravie (les deux provinces formant aujourd’hui la Tchéquie) et de Haute-Hongrie (l’actuelle Slovaquie), parlent principalement le latin, l’allemand, voire dans une moindre mesure le hongrois.

La situation change lors de la période du Vormärz (“l’avant mars” en allemand). Durant cette période, les nationalismes s’éveillent, les nobles et élites des différents empires multiculturelles de l’époques - comme l’Empire d’Autriche ou l’Empire russe - ou aux contraires des territoires divisés à outrance - comme les territoires germaniques ou italiens qui sont alors composés d’une myriade de cités-États - commencent à réfléchir aux vecteurs nationaux d’identité, ciment d’une véritable communauté nationale. Le mouvement n’échappe pas aux Tchèques et aux Slovaques, ceux-ci étant l’objet d’une double “révolution” : purement nationale et panslave. Les deux provinces ne sont pas égales dans leur “renaissance nationale”, grâce à une plus grande intégration, une indépendance passée et un poid démographique important, le mouvement du Vormärz se développe davantage dans les provinces de Bohême-Moravie que dans celle de la Haute-Hongrie.

Ce qui sera appelé postérieurement le “Printemps des Peuples” a des répercussions sur le traitement des nationalités au sein de l’Empire des Habsbourgs, ainsi que sur l’unité politique des Tchèques et des Slovaques. En effet, les révoltes imposent au pouvoir central de Vienne d’établir un compromis avec la deuxième nationalité du pays : les Hongrois. Le compromis austro-hongrois fait ressusciter le Royaume de Saint-Étienne et transforme l’Archiduché en Empire d’Autriche-Hongrie. L’unité des Slaves du Nord est brisée : les Tchèques de Bohême et de Moravie sont sous l’autorité de la Cisleithanie autrichienne tandis que les Slovaques de la Haute-Hongrie font partie du Royaume de Hongrie.

Après la Première Guerre mondiale, la défaite de la Triple Entente permet aux nationalités de l’Empire une émancipation menant à l’indépendance d’États-nations “imparfaits”, parmi eux, la Tchécoslovaquie. La seule république parlementaire d’Europe centrale durant l’entre-deux-guerres doit faire face à d’importantes minorités alors que l’irrédentisme se développe - allemande dans les Sudètes, mais aussi hongroise, polonaise ou ukrainienne. La démocratie tchécoslovaque s’effondre sous le dépècement du pays par l’Allemagne nazie, puis par son occupation par l’Union soviétique de 1945 jusqu’en 1989.

Des Tchécoslovaques aux Tchéco-Slovaques

La Tchécoslovaquie devient dès lors un État communiste faisant partie intégrante du Bloc de l’Est dirigé par l’URSS. Le “bloc” qui avait déjà perdu de son unité avec les crises berlinoise puis hongroise, s’effrite encore un peu plus avec le soulèvement de Prague en 1968. La crise a pour origine la volonté du secrétaire du Parti communiste tchécoslovaque, Alexander Dubček, de mettre en place dans le pays un “socialisme à visage humain”. Cette volonté d’émancipation politique insufflée par Prague et soutenue par la population, faisant craindre une possible émancipation diplomatique, est réprimée dans le sang par l’entrée des chars du Pacte de Varsovie le 21 août 1968.

La situation politique reste alors inchangée jusqu’à l’effondrement du Bloc amorcé par la chute du Mur de la honte. Laché de toutes parts et sous le coup des critiques de manifestations étudiantes dans l’ensemble des villes du pays, le régime communiste de Prague entreprend une transition vers la démocratie, acte la fin du système de parti unique, annonce des élections libres et propose la démission de son gouvernement et de l’ensemble de l’appareil d’État. Václav Havel, homme de lettres et opposant au régime communiste, devient le leader de l’opposition et le symbole de la transition, il remporte les élections et entreprend de réformer le pays, tout d’abord en transformant la République socialiste de Tchécoslovaquie en République fédérale tchèque et slovaque.

Toutefois, une majorité de responsables politiques slovaques exprime un malaise, voire un mécontentement, de la situation slovaque au sein du nouvel État fédéral. La Slovaquie dispose en effet d’une population deux fois moins nombreuse que la Tchéquie, d’un PIB réduit, et d’une intégration et d’un développement conséquent à ce dernier. Après de longues négociations - notamment dans la ville équidistante aux deux capitales, Brno - l’affaire est tranchée : la Tchécoslovaquie ne survivra pas au XXème siècle qui l’avait vu naître. La décision ne connaît ni consultation ni référendum mais seulement un simple vote de ratification de la part de l’assemblée fédérale. Václav Havel mécontent de la situation, mais conscient de la fragilité de la démocratie retrouvée, démissionne de son poste de Président de la République le temps du processus de la dissolution.

Le 1er janvier 1993, la Tchécoslovaquie n’est plus. Les Tchèques et les Slovaques qui cohabitaient dans une même entité depuis 1526 forment désormais deux pays distincts aux relations toutefois pacifiques, cordiales voire fraternelles. Václav Havel devient alors le premier Président de la toute nouvelle République Tchèque au lendemain de la division.

Des relations pacifiques, soif d’intégration européenne

La situation de pleine et entière division ne dure cependant pas. Dès 2004, soit une dizaine d’années après leur indépendance, les Républiques tchèque et slovaque entrent conjointement dans l’Union européenne (UE). Trois ans plus tard, en 2007, les deux États intègrent l’espace Schengen, plus aucune frontière matérielle, une liberté de circuler rappelant l’âge d’or de la Tchécoslovaquie est alors possible. Les citoyens des deux pays peuvent alors se rendre des deux côtés de la frontière sans contrôle, trouver un emploi ou monter une entreprise sans discrimination, partir en voyage… Aujourd’hui, une seule différence persiste : la monnaie. Alors que la Bratislava paye en euro, Prague continue de disposer de sa propre monnaie : la Couronne tchèque.

30 ans après 1993, alors que la Tchécoslovaquie n’existe plus, la division n’est pas de mise tant sur le plan politique que sur le plan matériel. Alors que les relations entre Bratislava et Prague n’ont jamais été aussi cordiales, les citoyens des deux pays sont, grâce à l’UE, de nouveau réunis.

Vos commentaires
modération a priori

Attention, votre message n’apparaîtra qu’après avoir été relu et approuvé.

Qui êtes-vous ?

Pour afficher votre trombine avec votre message, enregistrez-la d’abord sur gravatar.com (gratuit et indolore) et n’oubliez pas d’indiquer votre adresse e-mail ici.

Ajoutez votre commentaire ici

Ce champ accepte les raccourcis SPIP {{gras}} {italique} -*liste [texte->url] <quote> <code> et le code HTML <q> <del> <ins>. Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

Suivre les commentaires : RSS 2.0 | Atom