Interview Vital Moreira « la Démocratie portugaise est une démocratie tranquille »

, par Geoffrey Lopes

Interview Vital Moreira « la Démocratie portugaise est une démocratie tranquille »

Vital Moreira, eurodéputé socialiste portugais, président de la Commission du commerce international du Parlement européen, ancien député à l’Assemblée de la République portugaise et juge à la Cour constitutionnelle du Portugal entre 1983 et 1989, répond à nos questions à l’occasion des 40 ans de la Révolution des Œillets.

Vous avez vécu les dernières années de la dictature et vous avez une bonne connaissance du régime de Salazar. Finalement, qu’est-ce que la Révolution a changé ?

Vital MOREIRA (VM) : J’étais au Portugal pendant pratiquement toute la période dictatoriale de l’État nouveau. Mais curieusement, au moment de la révolution du 25 avril 1974, je préparais mon doctorat à la London School of Economics au Royaume-Uni que j’ai tout de suite interrompu pour revenir au Portugal. J’ai ensuite été élu à l’Assemblée constituante dans la circonscription de Coimbra le 25 avril 1975 et j’ai voté la Constitution toujours en vigueur aujourd’hui.

En réalité, si la Révolution des œillets a renversé le régime dictatorial, mis fin aux guerres coloniales et instauré la démocratie, elle a surtout radicalement transformé le pays dans tous les domaines : éducation, santé, sécurité et politiques sociales ou encore environnement et économie. Tous les secteurs se sont métamorphosés et vous en trouverez très difficilement un qui ne se soit pas amélioré. Mais le catalyseur de tous ces changements, qui a réellement permis de consolider la révolution, a sans nul doute été la liberté avec la démocratie dans son sillage.

Ainsi la liberté reste le « ciment » de la révolution, à l’origine de l’établissement définitif de l’État de droit et de la démocratie, entraînant le pays vers un développement économique et social sans précédent et son adhésion à la Communauté économique européenne en 1985 (effective en janvier de l’année suivante). Des trois « Dé », principaux objectifs de la Révolution, tous ont pu être concrétisés : décoloniser, démocratiser et développer, même s’il faut reconnaître que le développement du Portugal demeure inachevé et toujours en cours.

Le Portugal a connu, entre le XIXe et le XXe siècle, beaucoup d’agitations politiques et de nombreux drames. Pourquoi cette fois ci la révolution des œillets a-t-elle réussi ?

VM : Je crois tout simplement que la population était prête. Tous les facteurs convergeaient vers ce but : affaiblissement du régime dictatorial, intégration de l’armée dans l’OTAN, crise migratoire vers le nord de l’Europe et épuisement des forces vives du pays en Afrique à l’occasion des guerres coloniales. Dès lors, parmi les raisons expliquant la stabilisation de la démocratie au Portugal, on peut citer l’expérience humiliante de la longue et pénible dictature, le niveau de qualification de plus en plus élevé, le projet européen et la mise en place du suffrage universel direct.

Aujourd’hui, que pensez-vous de la solidité et des forces de la démocratie portugaise ?

VM : Je pense que la démocratie portugaise est désormais solidement ancrée et peut être comparée à n’importe quelle démocratie de l’Union européenne. A cet égard, notre démocratie n’a rien à envier aux régimes des États plus développés et le Portugal ne doit pas faire de complexe d’infériorité. Vous noterez d’ailleurs qu’il n’existe aucun parti d’extrême droite au Portugal tandis que le parti communiste, qui l’a ratifié à nos côtés en 1976, s’est toujours conformé à la Constitution.

Selon vous, dans quel état se trouve aujourd’hui la politique portugaise et comment les Portugais participent-ils à la vie politique ?

VM : La vie politique portugaise souffre actuellement de nombreuses complications, semblables à celles touchant la plupart des sociétés démocratiques et accentuées par la continuation de la crise économique et sociale. On constate un éloignement progressif des citoyens du pouvoir, un discrédit de la « classe politique » notamment par le biais de discours démagogiques et populistes, et une augmentation constante de l’abstention à toutes les élections. Ce tableau n’est donc pas uniquement celui du Portugal mais il reste néanmoins assez peu réjouissant. S’il est clair que la grave crise sociale secouant actuellement le Portugal a intensifié le mécontentement des citoyens envers le système et les partis politiques, les Portugais ont toutefois conscience que ce n’est que grâce à la démocratie représentative qu’ils peuvent s’exprimer et choisir le meilleur pour leur pays. Aujourd’hui, les partis et acteurs de la vie politique portugaise font face à l’immense défi de crédibiliser de nouveau la politique aux yeux des citoyens tout en résistant et en se battant, même si ce n’est pas le moment d’un point de vue électoral, contre les discours populistes quelque soit leur provenance.

Comment les Portugais se font-ils entendre et de quelles manières les protestations se passent-elles ?

VM : Si la participation politique a diminué, il existe évidemment toujours de nombreux débats politiques animés surtout à la télévision. Par ailleurs, les manifestations et diverses actions de protestation se sont toujours déroulées sans violence et avec très peu d’« escarmouches » (rien à voir, par exemple, avec ce qu’il se passe en Grèce). La démocratie portugaise est donc une « démocratie tranquille ».

Quel est le sentiment des Portugais vis-à-vis de l’Union européenne ? Ont-ils encore confiance en l’UE ?

VM : De récentes études d’opinion montrent un fort mécontentement des Portugais à l’égard de l’Europe. C’est une conséquence directe de la grave crise sociale que le pays traverse main dans la main avec l’Union européenne œuvrant, par le biais de la Commission, à la fameuse Troïka. Pourtant les Portugais ont accepté, après de compréhensibles et légitimes contestations, les efforts qu’on leur a demandés avec un civisme remarquable et un immense sentiment de citoyenneté. Il s’agit d’un courage que la démocratie portugaise et ses institutions politiques ne peuvent ni dévaloriser, ni galvauder. Dès lors, bien que les Portugais soient légitimement « en colère » contre l’Union, qui après tout ne leur apporte pas toujours de bonnes nouvelles, ils n’en sont pas au point de demander le divorce. Ils ont pleinement conscience que c’est seulement en restant dans l’UE et en participant à ses institutions politiques (Parlement, Conseil et Commission) que le Portugal et les Portugais seront en mesure de reprendre le chemin du progrès et de la croissance rendu possible par la Révolution du 25 avril d’il y a 40 ans. De cette manière, l’idée selon laquelle il n’existe aucune solution hors de l’Union est presque devenue consensuelle.

Vous noterez, encore une fois, qu’il n’existe parmi nous aucun parti nationaliste anti-européen et que lors des prochaines élections européennes on ne devrait enregistrer aucun renforcement significatif de la gauche anti-européenne. Sous cet angle aussi, la République portugaise traduit une maturité démocratique remarquable.

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