Une présidence polonaise du Conseil de l’UE, axée sur la géopolitique !
Le 1er janvier 2025, à minuit, alors que tout le monde célébrait le Nouvel an, la Pologne a entamé son mandat à la présidence du Conseil de l’Union européenne. La présidence de cette institution indispensable de l’Union, qui réunit tous les ministres des États membres, tourne tous les six mois d’un État membre à l’autre. C’est principalement symbolique étant donné qu’une présidence de 6 mois ne peut pas accomplir grand-chose au niveau institutionnel européen. Néanmoins, la présidence tournante du Conseil permet au pays-président de choisir les priorités européennes, en contrôlant le calendrier des négociations et en faisant pression sur les politiques les plus importantes.
Le gouvernement polonais, qui assure la présidence du Conseil pour la Pologne, a déjà présenté son agenda et de facto ses priorités. Parmi ces dernières, on retrouve la défense et la sécurité de l’Europe, la lutte contre la désinformation, la migration aux frontières extérieures de l’UE, et la transition écologique. En lisant les annonces antérieures et en consultant le site web officiel de la présidence, on comprend vite qu’elle est sa principale boussole : la présidence polonaise se veut géopolitique. L’accent principal sera mis sur la souveraineté européenne, un concept très français jusque récemment… Comment pourrait-il en être autrement au vu des situations polonaise et européenne : une guerre de presque trois ans à ses frontières orientales, l’influence grandissante de la Russie, de la Chine et de la Turquie dans les Balkans occidentaux, la situation délicate au Moyen-Orient, la réélection de Donald Trump et d’autres nombreux défis mondiaux.
Au milieu de la reconfiguration mondiale, l’UE et son attitude pacifique se sentent laissées pour compte, en décalage avec un monde redevenu belliqueux. Si les présidences précédentes avec leurs slogans ambitieux (la présidence hongroise de 2024 a copié Trump en proposant “Make Europe Great Again”) ont essayé de résoudre cette situation, aucune d’elles n’en a fait une priorité. La Pologne veut que cela change, en menant l’Europe dans ses premiers pas pour devenir un véritable acteur international. Va-t-elle y parvenir ? Il est encore tôt pour le dire mais ce que l’on peut dire c’est que la Pologne a toutes les cartes en main pour cela… à l’exception d’une élection présidentielle qui pourrait inciter les personnalités politiques polonaises à choisir l’agenda politique national au détriment de l’européen.
Les Polonais se rendent aux urnes
La Pologne va vivre un scrutin national pour élire son président en mai 2025. Le président actuel Andrzej Duda, du parti nationaliste et ultraconservateur Droit et Justice (PiS), est inéligible car il a déjà fait deux mandats en tant que président de la République polonaise. Le PiS a donc dû choisir un autre candidat : le conservateur et ancien président de l’Institut de la mémoire nationale affilié au PiS, Karol Nawrocki. Son principal adversaire, qui est aussi le favori du scrutin, est Rafał Trzaskowski. Le candidat de la Plateforme-civique (KO), le parti libéral de Donald Tusk, est le maire de Varsovie et à son apogée dans les sondages d’opinion avec 36,2% pour le premier tour et 56% pour un éventuel second tour face à Karol Nawrocki.
Cette élection peut être le second pas dans une nouvelle ère de démocratie polonaise. Après le succès de la coalition libérale de Tusk aux élections législatives de 2023 et les actions réformatrices d’un an contre la mainmise du PiS sur la sphère publique et privée, l’élection d’un président libéral et pro-européen pourrait changer l’état de la démocratie en facilitant les actions et les politiques du gouvernement de Tusk. En effet, si le président n’est pas le principal acteur politique, il peut utiliser son droit de véto ou ralentir les politiques gouvernementales adoptées conjointement par le gouvernement et le parlement à majorité libérale. Un président libéral consoliderait la démocratie polonaise et la position pro-européenne du pays.
Mais à l’heure où le gouvernement et l’administration publique polonais doivent présider et diriger le Conseil de l’UE, une campagne politique n’est pas un atout. Avec un monde politique plus préoccupé par les élections que par les décisions de l’UE, la présidence polonaise pourrait tourner au chaos. Comme ces dernières années l’ont montré, les élections nationales ne stoppent pas le processus de décision de l’UE mais peuvent le freiner considérablement. Les fonctionnaires de l’UE et chefs de gouvernement semblent toutefois assez confiants : même si la présidence polonaise échoue en raison du contexte politique national, elle est appelée à faire mieux que celle qui l’a précédée, la laborieuse présidence hongroise.
Un nouvel équilibre pour l’Europe et la Pologne
En tant que pays de l’Est, certains seraient tentés de dire que la Pologne n’a pas beaucoup de poids dans l’UE et qu’elle ne mérite pas d’être mentionnée, car d’autres pays de l’UE peuvent être considérés comme plus puissants. Mais ce serait une incompréhension de la nouvelle situation du pouvoir en Europe. Depuis 2022 et la guerre en Ukraine, les États membres d’Europe centrale et orientale ont gagné en crédibilité en assumant un fort soutien à Kyiv et une méfiance absolue à l’égard de la Russie alors que les États membres d’Europe de l’ouest étaient moins enclins à couper les ponts avec la Russie de Poutine. Finalement, l’UE a parlé plus ou moins… grâce aux actions et au lobbying des pays d’Europe centrale et orientale, et particulièrement de la Pologne.
Ce gain de pouvoir sur la scène européenne est associé à l’un des taux de croissance économique les plus élevés de l’UE (5,4% en 2022, 3% attendu pour 2024), ce qui permet d’importants investissements dans les secteurs de la transition énergétique et de la défense, deux secteurs principaux de la véritable souveraineté. À propos de défense, Varsovie souhaite dépenser 37 milliards d’euros pour la défense, un record pour le pays et dans l’UE, car cela représente presque 5% du PIB polonais. Ces investissements dans le secteur de la défense placent le pays comme la première armée de l’Union en termes d’effectifs et d’équipement moderne. Actuellement, l’armée polonaise est plus forte que l’armée allemande et peut rivaliser avec l’armée française. Cette nouvelle situation fait de la Pologne un partenaire incontournable pour toute discussion sur la sécurité du continent, voire même le premier interlocuteur. La Pologne s’impose comme le premier pays d’Europe de l’Est, dans une Union européenne désormais centrée sur l’Est.
La présidence polonaise du Conseil peut-elle changer l’UE ? Ce n’est pas certain. Mais la Pologne peut-elle changer l’UE, l’équilibre interne des pouvoirs et les institutions européennes ? La question n’est plus d’actualité... parce que la Pologne l’a déjà fait.
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