Extrême-droite en Suède : trois jeunes électeurs racontent une victoire prévisible

Jeunesse politique en Suède (1/3)

, par Cécile Marchant

Extrême-droite en Suède : trois jeunes électeurs racontent une victoire prévisible
Vänsterpartiet à Uppsala, 10 septembre 2022 - Cécile Marchant Rassemblement du Vänsterpartiet à Uppsala lors d’un festival culturel, le 10 septembre 2022.

Reportage. Eric, Daniel et Axel sont étudiants à Uppsala, en Suède. À la suite des dernières élections, ils ont partagé avec le Taurillon leurs sentiments sur la vie démocratique de leur pays. Ils racontent les rapports entretenus par la jeunesse suédoise avec la politique, de leur éducation aux isoloirs.

Un mot d’introduction

À peine arrivée en Suède en septembre 2022, mon rêve d’exceptionnalisme suédois s’est heurté au score historique de l’extrême-droite. Ma vision du « meilleur pays du monde », a semblé s’effondrer en même temps que celle du reste de l’Europe, où la nouvelle retentissait avec surprise. Le pays, grand performeur en matière de politiques sociales et environnementales, a pris l’habitude de se hisser en haut des classements internationaux, et rayonne encore de ses 80 longues années de gouvernement social-démocrate. Pourtant, ici, tous s’attendaient au succès de Jimmie Åkesson. Saisie par le contraste entre la surprise de l’Europe et le calme averti des Suédois.es, je décidais de creuser.

Pour le Taurillon, je suis allée à la rencontre de trois étudiants suédois à Uppsala. Eric, Daniel et Axel ont accepté de répondre à mes questions. Au fil des entretiens, ils dressent un portrait de la culture politique suédoise, de la nature du débat public dans le pays, de la place occupée par la jeunesse et de la façon dont s’informent et se forment les jeunes citoyen.ne.s. Ces entretiens ont donné vie à la série d’articles Jeunesse politique en Suède, qui démarre ici par le choc – ou non – des élections de 2022.

Élections 2022, ou la victoire de l’extrême-droite

Loin de « l’exceptionnalisme suédois » et des 80 ans de gouvernement social-démocrate, le parti d’extrême-droite suédois Sverigepartiet rafle 20,54% aux élections parlementaires. Depuis le 11 septembre 2022, il est ainsi le second parti du Riksdag, juste derrière les sociaux-démocrates Socialdemocrats. Des résultats qui choquent en Europe, mais n’ont pourtant pas étonnés Eric et Axel, 22 ans, et Daniel, 23 ans.

En 2016, Daniel avait déjà parié que le parti de Jimmie Åkesson se placerait deuxième aux élections de 2022. Une prédiction qui s’est réalisée six ans plus tard. 2016, c’est aussi l’année qu’Eric identifie comme une rupture dans la vie politique de son pays. D’après lui, l’arrivée de Donald Trump au pouvoir aux États-Unis aurait retenti jusqu’en Scandinavie, au point de diviser le débat public. L’étudiant de l’Université d’Uppsala décrit une polarisation du paysage politique, avec un clivage gauche/droite de plus en plus marqué, des électeurs plus radicaux et, surtout, un dialogue toujours plus difficile. ` “Politics feels like it’s so much more important than it was just five years ago. Since Trump came to power, back in 2016, there’s been a huge divide between right and left-wing where people [with opposite views] can’t even talk to [each other].”

Pour lui, une influence européenne serait aussi en partie responsable de cette bipolarisation, et particulièrement celle de la Norvège et du Danemark où les extrêmes ont gagné en popularité avant la Suède. Dernier facteur évoqué : les réseaux sociaux et leurs algorithmes, qui enferment leurs utilisateurs dans une bulle des deux côtés du spectre politique, tout en permettant à la violence de gagner du terrain grâce à l’anonymat.

Selon le SNS, on ne peut identifier de dynamique de polarisation systémique en Suède dans les dernières années. Pour autant, l’opposition de droite traditionnelle, le parti des Modérés, s’est effectivement vue rattrapée au fil des années par l’extrême-droite, jusqu’à se laisser dépasser en 2022. Partisan des Modérés, Eric s’en désole autant que ses deux amis chrétiens-démocrates. Les étudiants avancent une explication de ce changement d’équilibre.

Des résultats symptomatiques d’une fracture entre villes et campagnes

« SD is very typical of Swedish politics in the sense that they’re symptomatic. […] they just represent a very angry group of people in Sweden that feel like they have been left out from the political discussion for the recent 20 years or so. […] The voice of the people on the country side… nobody gives a shit, basically.” – Daniel

Axel, Daniel et Eric insistent sur la fracture entre zones urbaines et rurales. Pour eux, il s’agit du clivage le plus important du paysage politique suédois, fondamental dans la répartition des différentes opinions politiques au sein de la population. Les campagnes seraient plus conservatrices, au point qu’une scolarité dans un lycée rural serait déterminante et orienterait le futur vote des élèves qui le fréquentent vers la droite de l’échiquier politique, analysent les étudiants.

Un ressenti que soutient l’économiste Charlotta Mellander au micro de la Sveriges Radio à propos des élections 2022 : « The Sweden Democrats won many new votes in the country side compared to the Social Democrats whose popularity increased in bigger cities”. D’après elle, les Démocrates de Suède ont de fait plus de soutien en zone rurale. C’est également le cas des sociaux-démocrates, à la différence que les nouveaux soutiens de ces derniers se situent quasi-exclusivement en ville. Le Parti de Gauche, les Verts et les Modérés sont, eux, plus fortement soutenus en zone urbaine.

Pour Daniel, les Démocrates de Suède sont particulièrement soutenus dans les campagnes car ils s’adressent à un public délaissé par une politique de citadin.e.s, notamment sur les thématiques environnementales et énergétiques. Plus encore, l’étudiant estime que ce sentiment “d’être vus” convaincraient des électeurs pourtant ignorants du programme politique du parti : “[Jimmie Åkesson] just goes around to small communities and says ‘I know you exist”, and people just feel like “He acknowledges that I exist, no other politician does that !”, and that’s why they get votes. People don’t have a clue what they’re voting for. They’re just voting for that feeling.” Un populisme qu’Axel qualifie de “very trumpist in that way.”

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